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Dévaluation : Entre espoir et amertume

Névine Kamel, Mardi, 22 mars 2016

La Banque Centrale d’Egypte a récemment pris une série de mesures pour libérer la politique monétaire, la dévaluation de la livre étant la plus importante et la plus critique. Mais pour que ces décisions portent leurs fruits, davantage est attendu.

Devaluation

Attendue aussi bien que redoutée. Applaudie aussi bien que controversée. La décision prise la semaine dernière par la Banque Centrale d’Egypte (BCE) de dévaluer la L.E. vis-à-vis du dollar continue d’inquiéter la grande majorité des parties concernées, car pour récolter les fruits de la dévaluation, il est nécessaire que cette décision soit suivie par d’autres étapes tout aussi indispensables. « La décision de la BCE garantit une note de classification positive pour l’Egypte », c’est ce qu’a assuré l’agence de notation Moody’s dans un rapport publié deux jours après la décision de la BCE. « Cette décision, qui réduit l’écart entre le prix officiel et celui du marché parallèle, limite la pression sur les réserves du pays en devises étrangères. Les exportations égyptiennes et les investissements directs étrangers sont susceptibles d’enregistrer une relance suite à cette décision », dit aussi le rapport.

La Banque Centrale d’Egypte a dévalué la L.E. d’environ 15 % la semaine dernière et le prix du dollar a atteint 8,95 L.E. dans les banques. La communauté des affaires, les experts économiques et les banques d’investissement, dans la grande majorité, ont salué cette étape. La Bourse, le jour même de la décision, a enregistré son niveau le plus élevé depuis mai 2013.

Moody’s n’est pas le seul à applaudir une telle décision. Chris Jarvis, chef de la mission Egypte au Fonds Monétaire International (FMI), l’a aussi saluée : « Le gouvernement égyptien a fait le choix d’appliquer une politique monétaire flexible, ce qui permettra l’entrée de devises étrangères sur le pays à travers un encouragement des investissements et une relance des exportations ».

La banque d’investissement américaine, JP Morgan, est allée plus loin dans l’optimisme. Elle prévoit que la BCE réduira la valeur de la L.E. vis-à-vis du dollar d’environ 35 % au cours de 2016, y compris la dernière baisse. « C’est le seul moyen de regagner la prospérité économique », explique JP Morgan. Mais, comme le confirme la banque d’investissement, la BCE ne dévoilera jamais son plan. Les règles du jeu impliquent prudence et secret de la part de la BCE. Et c’est ce qu’elle a démontré ces deux dernières semaines. Au début, elle a surpris le marché par la décision de la dévaluation. Ensuite, une autre série des mesures est venue en parallèle : Deux appels d’offres exceptionnels visant à injecter 2 milliards de dollars sur le marché, à deux prix différents. Le premier à 8,85 L.E. et le deuxième à 8,95 L.E. La hausse des taux d’intérêt d’1,5 %, pour atteindre 10,75 % et 11,75 % successivement sur les dépôts et les crédits. Après quoi la BCE a finalement pris sa décision de dévaluer.

Message de confiance

La question qui se pose maintenant est la suivante : cette étape est-elle suffisante ? Est-elle capable de relancer l’économie et d’envoyer un message de confiance au monde extérieur et aux investisseurs ? La réponse n’est pas tranchée. Hani Tewfiq, président de l’Association égyptienne pour l’investissement, souligne la nécessité que le gouvernement lui aussi prenne une série de mesures qui permettront de positiver la dévaluation. « C’est certainement un coup de maître. Il était temps de libérer la politique monétaire pour aller de pair avec les mécanismes du marché libéral. Et cela n’était pas le cas au cours des deux dernières années. Le nouveau gouverneur de la BCE a entamé le chemin. La balle est maintenant dans le camp du gouvernement », dit Tewfiq.

Le gouverneur de la BCE a commencé en février dernier à libérer graduellement le plafond sur les dépôts bancaires pour les particuliers et les entreprises, avant de les annuler il y a deux semaines. Le lendemain de la suppression de plafond, la BCE a surpris le marché par la dévaluation. Trois jours après, est intervenue la hausse des taux d’intérêt.

Selon Tewfiq, le taux d’épargne en Egypte ne dépasse pas les 10 % du PIB, un taux très inférieur si on le compare à d’autres pays de même croissance. Donc, ajoute-t-il, pour que l’Egypte puisse satisfaire ses besoins, il faut que les investissements représentent 25 % du PIB. L’Egypte est un pays qui importe plus qu’il n’exporte, consomme plus qu’il ne produit et épargne plus qu’il n’investit ... C’est de là que provient le déficit croissant du budget, de la balance commerciale, de la hausse du chômage et de la hausse du prix de dollar. « Ces réalités ont fait de l’Egypte un pays dépendant des dettes et ont contribué à l’effondrement des réserves en devises étrangères au cours des 5 dernières années », dit-il. Le volume des dettes, selon les chiffres du ministère des Finances, est passé de 20 milliards de L.E. à 2 000 milliards de L.E. actuellement. De même, les réserves en devises étrangères ont chuté de plus de la moitié pour s’aligner actuellement à quelque 16 milliards de dollars, contre 36 milliards de dollars avant la révolution de 2011. « Le chiffre des réserves annoncé par le gouvernement n’est pas exact. Pour la simple raison que cette somme présente dans le Trésor de la BCE n’est que des dettes que doit le pays à ses créanciers. Si on soustrait ces dettes, les réserves seront négatives », regrette le président de l’Association égyptienne de l’investissement. Un responsable gouvernemental, qui a requis l’anonymat, a confié à l’Hebdo que si la dévaluation n’est pas accompagnée de mesures visant à engendrer des investissements et des ressources financières capables de relancer l’économie, les indices économiques subiront un vrai choc et le pays assistera à une crise réelle. « Dans le nouveau budget, les comptes du gouvernement, une fois calculés sur le nouveau prix du dollar, subiront une réelle hausse qui amènera à un gonflement du déficit. Si le gouvernement n’aplanit pas vite les obstacles aux affaires et relance la croissance, le pays étouffera », dit-il.

Réforme des affaires

Les exportations, le tourisme et les investissements ont tous enregistré une baisse au cours des 5 dernières années. Selon JP Morgan, le fossé du financement en 2015 est estimé à 12 milliards de dollars, soit 3,1 % du PIB. Un fardeau qui contribuera à la baisse des réserves en devises étrangères de 2,5 milliards de dollars. « La BCE seule ne suffit pas. Le gouvernement doit prendre des mesures permettant la hausse des revenus, d’une part, et la baisse des dépenses, de l’autre », explique Tewfiq. Selon lui, la hausse des exportations et une relance de la production sont obligatoires, et cela ne sera fait qu’avec la réforme de l’environnement des affaires.

« Nous avons besoin d’un programme de réformes clair et précis. Où est la loi d’investissement unifiée ? Où est le guichet unique ? La corruption entrave toute réforme », se demande Tewfiq. Le gouvernement, selon lui, possède plusieurs articles dans le budget, où il pourra limiter les dépenses et augmenter les revenus, les salaires, les subventions, le plus important étant de préciser les priorités des dépenses du gouvernement. En ce qui concerne les subventions, dit-il, un soutien en espèces est beaucoup plus efficace. Il garantit une justice sociale et limite le gaspillage. Quant aux subventions du pétrole, « le gouvernement doit faire le bon choix », dit-il. « A quoi cela sert-il de soutenir par exemple l’industrie sidérurgique qui accumule des gains, alors que d’autres industries, plus importantes et qui emploient des milliers de personnes sont laissées pour compte ? », regrette-t-il. En effet, le gouvernement a soudainement décidé la semaine dernière de réduire le prix du gaz vendu aux usines sidérurgiques de 7 à 4,5 dollars. Le gouvernement avait décidé l’année dernière de réduire les subventions accordées aux usines dans le cadre d’un plan général de suppression des subventions à celles-ci.

En ce qui concerne les revenus, la défiance du système fiscal provoque le gaspillage des ressources de l’Etat. « La valeur des impôts de l’Egypte, comparée à celle des pays de même niveau de développement — Grèce ou Mexique — doit au moins représenter 30 % du PIB, soit un total de 900 milliards de L.E. En Egypte, elle est de 300 milliards de L.E., soit un déficit de 600 milliards de L.E. Des tranches de la société comme les médecins, les avocats, les commerçants, sont exemptées d’impôts alors qu’ils accumulent des gains énormes », dit-il. Et Kamal Abdel-Rahman, professeur d’économie à l’Université d’Alexandrie, de critiquer les priorités des dépenses du gouvernement. « Pourquoi le gouvernement insiste-t-il à financer le projet de la nouvelle capitale administrative, alors qu’il n’arrive pas encore à financer les nouveaux investissements. Les pays financent la création de nouvelles villes pendant la prospérité et non en récession économique », dit-il. Le gouvernement doit donc rapidement revoir ses priorités.

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