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Défendre la liberté de parole

Sameh Sami, Jeudi, 25 février 2016

En 1978 Hassanein Heikal est convoqué par la justice pour avoir diffamé le nom de l’Egypte. Il évoquera les détails de cette affaire dans un livre, 26 ans après.

Défendre la liberté de parole
Les funérailles de Heikal.

Hassanein Heikal dévoile les faits d’une enquête politique qui l’a mis entre les mains d’un « procureur socialiste » (c’est la dénomination donnée à ce magistrat sous le régime socialiste de Nasser) à l’été 1978. La publication de cette enquête, plus ou moins secrète, reflétait une volonté de briser le silence d’un côté, et d’apporter une réponse à ses adversaires qui menaient des campagnes médiatiques contre lui de l’autre. Le titre principal est Omr Men Al-Kotob (une vie en livres), qui regroupe une série d’ouvrages, et en sous-titre : les détails d’une enquête politique devant le procureur socialiste.Mais avant de passer en revue quelques-unes de ses réponses, qui constituent un plaidoyer éloquent du maître du journalisme arabe, il importe de souligner sa position courageuse et sa critique acerbe du rôle même du procureur et des limites de son pouvoir. « J’ai quelques réserves autour de toute la question, concernant la forme et le contenu ! Qu’ai-je fait ? Je n’ai fait qu’exprimer mon point de vue sur des questions fatidiques pour mon peuple et ma nation. Je l’ai fait à travers l’écriture, mon unique métier pendant toute ma vie. Il est vrai que je l’ai fait en dehors de l’Egypte, mais c’était parce qu’on m’a privé de publication. Pourtant, je n’ai pas quitté l’Egypte et préféré — malgré tout — y rester. Cela veut dire qu’en plus d’une loyauté absolue pour l’Egypte, je me suis soumis à ses lois. En plus, j’ai, comme beaucoup d’autres en Egypte, un point de vue dans toute l’affaire du procureur général socialiste, quelles que soient les qualités de la personne qui occupe ce poste. A mon avis, toute cette affaire est un ajout/surplus au système judiciaire en Egypte, je ne sais plus où nous l’avons cherché. J’aurais envisagé lorsqu’on a créé ce poste qu’il se consacre à certaines compétences, comme le fait de protéger les acquis socialistes des employés, des paysans et des pionniers du prolétariat. C’est ce que dénote la description du poste en tant que tel. Mais la spécialisation s’étend aujourd’hui à d’autres sujets, à savoir la liberté d’expression, garantie par la Constitution, père de toutes les lois ». Quant à l’enquête politique menée avec Heikal pour avoir exprimé son avis critique hors du pays, elle comprend dix sessions dont chacune a duré près de trois heures. Chaque session occupe un chapitre du livre portant des titres comme : « L’Egypte et le conflit israélo-arabe, la position de l’Union soviétique et les Etats-Unis, qui des deux est le plus apte à aider les Arabes ? » ou « Les erreurs de Abdel-Nasser, pourquoi attend-on le comité de l’histoire ? ».

Défendre la liberté de parole
Avec le chanteur Abdel-Halim Hafez et Ali Amin.

L’enquête a commencé par une question adressée à Heikal : « Croyez-vous en une idéologie précise ? ». Heikal a répondu : « Je pense que mes croyances sont celles de la Révolution égyptienne, la Révolution de 1952 ». Dans une autre partie de l’enquête, le procureur lui dit : « D’après ce que vous avez mentionné dans vos articles, l’on se rend compte qu’Israël et Kissinger sont sortis gagnants. Est-ce que l’Egypte a bénéficié d’un quelconque acquis ? ». Heikal répliqua : « L’Egypte est certainement sortie avec des acquis, avec la récupération de certains champs de pétrole à Abou-Rédiss et Balaïm ». « Et pourquoi n’avez-vous pas mentionné les acquis de l’Egypte ? Le fait d’ignorer les gains de l’Egypte ne pourrait-il pas donner l’impression que l’on accuse la politique égyptienne de passivité ? », lui demande le procureur. « J’ai refusé à toutes les occasions, orale ou écrite, toute tentative d’accuser l’Egypte de passivité ou de trahison. J’ai repoussé, par tous les moyens dans mes articles, toutes ces fausses allégations. Etant bien clair dans la différence entre cela et la différence de points de vue, qui est au coeur de tout dialogue. Ce qui m’importait en premier lieu était le rôle de l’Egypte, ses intérêts stratégiques et sa sécurité stratégique sur le long terme », annonce Heikal.

L’enquête politique continue des heures et des heures reflétant la culture de l’enquêteur et de celui qui répond. Et quel a été le résultat des trois mois, des trente heures d’interrogations ? « Je ne sais pas », dit Heikal. Et il ajoute : « Tout ce que je sais c’est que je n’ai jamais porté atteinte à l’Egypte ».

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