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L’Iraq au coeur des convoitises

Aliaa Al-Korachi, Jeudi, 18 février 2016

L'Iraq est aujourd'hui au centre de conflits régionaux motivés essentiellement par les convoitises politiques et économiques des pays voisins.

L’Iraq au coeur des convoitises
Le ministre des Affaires étrangères iraqien, Ibrahim Al-Jaafari, reçoit le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohamad Javad Zarif, à Bagdad en juillet 2015. (Photo : Reuters)

« Nous ne voulons pas que notre peuple soit victime d’un Holocauste à cause des conflits régionaux », a lancé le premier ministre iraqien, Haider Al-Abadi, lors de sa rencontre avec les étudiants à Bassourah le mois dernier. L’Iraq est, en effet, au coeur des convoitises politiques et économique des pays voisins. Ces pays ont profité de la vacance de pouvoir créée par l’occupation américaine en 2003, puis d’un large vide sécuritaire en juin 2014 qui a donné lieu à l’apparition de Daech (EI) pour étendre leur influence. Selon Malek Aouni, rédacteur en chef de la revue Al-Siyassa Al-Dawliya, l’invasion de l’Iraq a été « le prélude à un plan de George W. Bush visant à redessiner la carte du Moyen-Orient à travers une intervention américaine directe. Basé sur un quota sectaire, ce plan a donné lieu au lancement d’une énorme force sectaire qui était déjà présente, dans un état latent, dans toute la région ». L’Iraq est l’une des ramifications des rivalités entre l’Arabie saoudite et l’Iran, au même titre que le Yémen, le Liban ou encore la Syrie. Pour Walid Khaziha, professeur de sciences politiques à l’Université américaine (AUC), ces deux puissances régionales veulent « jouer sur les contradictions internes du pays ».

L’Iran, le plus influent

« Téhéran a réussi à devenir le pays le plus influent en Iraq en y renforçant sa présence à plusieurs niveaux : idéologique, politique, économique et militaire », explique Mohamad Abbas, spécialiste des affaires iraniennes au Centre des Etudes Politiques et Stratégique (CEPS) d’Al-Ahram. « En plaçant en tête du pouvoir les alliés de Téhéran, Washington a remis à l’Iran les clés de l’Iraq », poursuit-il. « Un Iraq fort n’est pas une option pour Téhéran, car il pourrait menacer sa sécurité nationale, comme ce fut le cas à l’époque de Saddam Hussein, qui avait à l’époque entraîné son pays dans une guerre sanglante de huit ans contre l’Iran. Téhéran, de son côté, voulait exporter sa révolution islamique », ajoute Abbas. Unifier les chiites d’Iraq pour transformer leur importance démographique en influence politique est l’une des stratégies de l'Iran qui, jusqu’à présent, semble avoir réussi. Téhéran a contribué ainsi à la formation de l’Alliance nationale chiite, qui comprend les plus grandes formations chiites comme le « Citoyen », bloc du Conseil suprême islamique dirigé par Abdul-Aziz Al-Hakim, le groupe « Ahrar » qui représente le mouvement sadriste dirigé par Moqtada Al-Sadr, et la liste de « L’Etat de droit » dirigée par l’ancien premier ministre, Nouri Al-Maliki. Le soutien électoral est un autre outil d’influence iranienne, comme l’indique une étude publiée récemment par le Centre régional pour les études stratégiques du Caire. Cette étude estime que l’Iran a déployé des efforts pour influencer le résultat des différents scrutins en Iraq, en soutenant financièrement ses candidats préférés et en les incitant à former une liste unique, afin d’éviter l’effritement des voix.

Du point de vue économique, l’Iran bénéficie d’une grande présence dans plusieurs secteurs industriels, d’investissement et du tourisme en Iraq. Il est devenu le principal partenaire commercial de l’Iraq, et son plus grand investisseur avec près de 12 milliards de dollars d’investissements. A travers ses programmes télévisés diffusés sur sa chaîne satellite Al-Aalam, qui a vu le jour après l’invasion américaine de l’Iraq, l’Iran a pu également influencer les Iraqiens.

Sur le plan militaire, les milices chiites ont été entraînées par Téhéran et équipées d’armes Made in Iran. Parmi ces milices, les forces de la « mobilisation populaire » sont les plus puissantes. De plus, l’Iraq a reconnu officiellement la présence d’un conseiller militaire de Téhéran sur le territoire iraqien.

Riyad, de son côté, n’a pas réussi à étendre son influence en Iraq avec autant d’ampleur. Sa priorité est la Syrie et non l’Iraq. La politique étrangère saoudienne, note Abbas, se base sur l’idée que « le conflit actuel en Syrie n’est qu’une extension de la rivalité saoudi-iranienne, qui a commencé après la chute du régime de Saddam en 2003. Sortir la Syrie du cercle de l’influence de l’Iran est plus prioritaire pour Riyad qui lui consacre presque tous ses efforts, pour compenser ses pertes face à la montée en puissance de l’Iran en Iraq ». Selon Aouni, Riyad tente de former « une garde nationale sunnite » constituée de tribus sunnites, pour contrer les forces de mobilisation populaires chiites.

La Turquie est un autre acteur qui est sur la même longueur d’onde que l’Arabie saoudite, ayant comme intérêt commun de faire face à l’hégémonie iranienne. Les ambitions régionales de la Turquie en Iraq sont encore plus fortes que celles de Riyad. A titre de comparaison, l’influence turque dans le nord iraqien est plus importante que celle de l’Iran dans tout le reste du pays. Dans la ville d’Erbil, la capitale du nord, à majorité kurde, les entreprises turques représentent les deux tiers des entreprises étrangères opérant dans cette région.

Les yeux d’Ankara sont également braqués sur le pétrole de Mossoul. C’est ce qui explique sa création d’une base militaire dans cette province sous prétexte d’entraîner les Peshmergas kurdes dans le nord de l’Iraq pour aider à libérer Mossoul des mains de Daech. Mais selon Aouni, l’objectif principal d’Ankara serait d’« essayer de provoquer une fissure entre les Kurdes d’Iraq et de Syrie en fournissant aux premiers un incubateur régional pour leur nouvel Etat émergent en contrepartie de leur détachement des Kurdes syriens du Parti de l’Union démocratique du Kurdistan qu’Anakara considère comme un prolongement du parti travailliste kurde en Turquie ».

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