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Décryptage d’une société post-révolution

Hana Afifi, Mardi, 19 janvier 2016

« La Grande confession. Les Egyptiens : ce qu’ils ont subi et ce qu’ils ont fait 2011-2015 » est le dernier livre du psychiatre Khalil Fadel. Il y parle de l’état psychologique des Egyptiens après le 25 janvier. Passage en revue.

La Grande confession

« La peur n’est pas nécessairement liée à des raisons particulières dans l’Egypte de la révolution. Le changement lui-même est source de peur, même si ce changement est positif (…). Cependant et malgré les sentiments de peur et l’absence de sécurité, la barrière de la peur a été brisée et les Egyptiens ont acquis une audace inhabituelle », ainsi résume Khalil Fadel, psychiatre et auteur du livre La Grande confession. Les Egyptiens : ce qu’ils ont subi et qu’ils ont fait 2011-2015, qui sort la semaine prochaine au Caire chez la maison d’édition Al-Nahda. Le bouquin qui s’étale dans sa version arabe sur 7 chapitres offre une perspective de ce qui est arrivé aux Egyptiens après la révolution de 2011, en se basant sur des exemples réels de patients ou de personnes, de professions et d’âges différents, interviewés par l’auteur. C’est « une tentative d’écrire l’histoire psychologique et sociale » des Egyptiens durant cette phase, ou une « tentative de comprendre l’Egypte et les Egyptiens », explique Fadel. L’idée en elle-même est née lors d’une réunion à l’ordre des Médecins en 2011. Le début du livre traite d’un moment très spécifique survenu juste après la révolution, et dont les éléments ne sont pas tous encore connus aujourd’hui. Le livre, dédié à Chaïmaa Al-Sabbagh, la jeune activiste tuée l’an dernier par un policier, revient sur les changements psychologiques que les Egyptiens ont subis depuis leur « première tentative de faire tomber un président de son trône », comme titre le premier chapitre. Déjà dans son introduction intitulée « Concepts fondamentaux », Fadel parle de chaos et d’anarchie qui cachent la vraie personnalité des Egyptiens et essaie ainsi de dévoiler les multiples facettes de la société égyptienne cinq ans après la révolution. Une révolution qui, selon lui, a révélé une personnalité égyptienne qu’il qualifie de « pâte étrange » ou de « moulin ». Il jette la lumière surtout sur la violence qui envahit les maisons à travers les médias et les événements chaotiques de la période post-25 janvier, dans ce qui semble être la clé principale du changement psychologique chez les Egyptiens. Fadel écrit : « Les scènes de mise à feu des églises, les tirs de feu dans les rues ont été transmises à ceux qui sont assis sur leur canapé, autant que les scènes de destruction en Syrie et en Iraq, et les scènes de meurtre de Daech. Des scènes qui ont forcé les portes sans permission (...). Les gens ont commencé à se procurer des armes et des chiens de garde et à élever les clôtures de leurs maisons ». Choc, peur, désespoir, radicalisme, agression, relation avec le pouvoir, relations familiales ... Il parle de tout avant de s’arrêter sur le phénomène de « la vénération du leader », surtout dans le cas du président Abdel-Fattah Al-Sissi. Fadel se sert d’événements antérieurs au 25 janvier pour illustrer sa thèse en évoquant la Révolution de 1952 ainsi que la présidentielle de 2014, et le cas de Mahatir Mohamed comme exemple différent de leadership.

A l’aide d’un microscope psychiatrique, Fadel tire ses propres conclusions, soutenues par l’étude de l’expérience personnelle des personnes questionnées. Il croit que « la maladie psychologique s’est propagée » mais, en même temps, « la conscience a augmenté ». Il affirme avoir vu passer dans sa clinique des cas qu’il n’avait jamais vus avant le 25 janvier. L’auteur donne des exemples de personnes qui ont subi des maladaies ou des symptômes psychologiques depuis 2011. Chaque cas est lié à une expérience ayant trait à la révolution du 25 janvier. Il note les symptômes de la maladie dans chaque cas, tout en remontant aux événements sociopolitiques de ces cinq dernières années.

L’un des grands changements que l’auteur a noté est « la différence qui se transforme en discorde ». « L’ébullition et le ton grave ayant caractérisé la société égyptienne après la révolution vont mener probablement à un état de conflit dangereux, si cela n’est pas convenablement géré et orienté », dit Fadel.

Il dresse un rapport sur l’état des Egyptiens d’une façon factuelle et structurée et parle de symptômes qui ne semblent pas étrangers aux Egyptiens qui vivent en Egypte depuis 5 ans. C’est un livre dans lequel beaucoup d’Egyptiens peuvent s’identifier, ceux qui étaient sur la place Tahrir et ceux qui étaient absents. Il donne la parole aux participants et aux partisans de cette révolution, et ne manque pas d’aborder son impact sur le reste de la société. Un amalgame de changements qui semble accablant et où les règles sociales, qui semblaient être des constantes, ont été défiées.

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