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25 janvier: Comment la révolution a changé l'Égypte

Samar Al-Gamal, Mardi, 19 janvier 2016

Cinq ans après une révolution populaire qui a éjecté un président en exercice, la vie politique reste marquée par le 25 janvier. Les Egyptiens occupent désormais une place importante au sein de l'équation politique.

L’irréversible processus
(Photo : Reuters)

L’irréversible processus

Il y a cinq ans, le 25 janvier et jusqu’au 11 février, les Egyptiens étaient sortis sur la place Tahrir pour protester. Le mouvement se propage et mène à la destitution du chef de l’Etat. Les manifestants, par dizaines de milliers, n’auraient assurément pas, au début de leur mouvement, imaginé une telle chute du président qui a gouverné le pays pendant une trentaine d’années.

« La révolution l’a chassé du palais et l’a placé en prison », ainsi résume le politologue Diaa Rachwan. C’est d’ailleurs le changement majeur qu’aurait produit cette révolution dans la société égyptienne. Pour la première fois, les Egyptiens sont devenus partie prenante de l’équation du pouvoir. « C’est la première fois depuis la fondation de l’Egypte moderne par Mohamad Ali que le changement à la tête du pouvoir se fait du bas vers le haut et non pas du haut vers le bas à travers les appareils de l’Etat ou la famille régnante », explique le chercheur et ancien député Amr El-Shobaki. C’est peut-être même une première dans l’histoire de l’Egypte tout court. Jamais les Egyptiens n’étaient partie prenante dans l’intronisation ou la destitution de la tête du pouvoir.

« Le problème de l’Egypte était son pharaon, le pharaon intouchable identifié à Dieu, alors qu’aujourd’hui, c’est le pharaon avec tous ses appareils qui a peur. C’est l’accomplissement de janvier et c’est irréversible », renchérit Rachwan, qui critique ceux qui parlent « d’un avortement de la révolution et d’un retour des appareils de l’Etat à l’ère de Moubarak ». Preuve en est, selon lui, la récente déclaration du président de la République à l’occasion d’un meeting célébrant la naissance du prophète. Ce dernier a affirmé que « si le peuple veut mon départ je partirai sans manifestation ». « Un président qui était à la tête de la plus forte institution, l’armée, et qui se dit prêt à abandonner le pouvoir. Le fait même de le dire est inouï », ajoute Rachwan. En effet, sous Moubarak, les Egyptiens étaient placés à l’écart de la politique, le régime les prenait à la légère et eux avaient choisi de subir. Ceci se traduisait surtout par une forte abstention dans presque toutes les échéances électorales.

« Ils n’étaient pas sortis réclamer le socialisme sous Nasser ou le pluralisme sous Al-Sadate », précise El-Shobaki. Partisans et opposants du régime actuel s’accordent sur ce constat. Le caractère sacré du dirigeant est tombé même si cela a été à des degrés différents en fonction du contexte. Rabab Al-Mahdi, professeure de sociologie politique à l’Université américaine du Caire, donne l’exemple de la réaction des Egyptiens au lendemain de la défaite militaire de 1967 où il n’était pas question de critiquer les décideurs ou les questionner sur les raisons de cette défaite, alors qu’aujourd’hui, et sous la guerre contre le terrorisme, les critiques se font entendre et l’Etat est appelé à répondre.

« L’idée du contentement permanent du peuple vis-à-vis du président n’est plus. Cette situation, qui prévalait sous Moubarak et qui n’était pas due à une satisfaction de sa performance mais à une absence de l’exaspération, a été brisée », explique Al-Mahdi. Aujourd’hui, les Egyptiens comprennent que leur voix compte et qu’elle coûte cher en plus. Ils ont fait tomber un premier président en 2011 puis un second deux ans plus tard. Le 25 janvier a ainsi marqué le retour des Egyptiens sur la scène en disant : « Attention, dorénavant c’est notre affaire ». Le régime n’a plus la haute main sur le citoyen. Ce changement, d’après les observateurs, ne s’est pas traduit par une réforme des institutions de l’Etat et de son appareil administratif.

L’irréversible processus
Place Tahrir cinq ans après. (Photo : Mohamad Hassanein)

Dans les détails, l’impact de la révolte du peuple égyptien s’est étendu autrement. « Le 25 janvier a tenté de pousser le pays vers un vrai pluralisme politique et non de façade, comme ce fut le cas sous Al-Sadate puis Moubarak. Les partis sont désormais créés par simple notification, et l’idée de l’existence primordiale d’un grand parti, à l’instar de l’Union socialiste ou du PND (Parti National Démocrate, au pouvoir sous Moubarak) n’est plus de vigueur », indique Ahmad Abd-Rabbo, maître-assistant de politique comparative à l’Université du Caire, et professeur visiteur à l’Université de Denver aux Etats-Unis. « Même la tentative des Frères musulmans de reproduire un PND de la confrérie a échoué, et les énièmes démarches de l’Etat pour créer une coalition rassemblant la grande majorité se sont écroulées. Il n’y a plus ce parti de l’Etat ». Cette situation compliquée crée un « espace vide où l’Etat a perdu son parti et l’opposition est incapable de créer de vrais partis », résume Abd-Rabbo.

« Le 25 janvier a en même temps ouvert l’appétit des islamistes pour arriver au pouvoir après de longues années de travail secret. Confrérie officielle, parti public, un président à la tête de l’exécutif, des partis de salafistes ou d’anciens djihadistes, avant de perdre rapidement et en 2 ans leur popularité, une mission que Nasser avait tenté en vain d’accomplir de 1954 à 1970 », précise Al-Mahdi. Selon elle, les Frères pensaient qu’ils pouvaient diriger le pays à la moubarakienne, mais n’avaient pas assimilé l’expérience acquise du 25 janvier. Une date qui a marqué un changement mais sans poursuite de changement. Beaucoup d’erreurs de la part des partis politiques, de l’élite, des révolutionnaires, des islamistes, des dirigeants, c’est ce que notent les observateurs en parlant du printemps égyptien.

Des erreurs qui ont soulevé un mouvement hostile à ce moment historique du 25 janvier le réduisant à un complot monté de tous bords par les Etats-Unis ou l’Iran en passant par le Hamas en Palestine, la 5e colonne ou encore les guerres de 6e ou 7e génération. « S’il n’y avait pas eu janvier 2011, Moubarak serait toujours au pouvoir et Sissi à la retraite puisqu’il aurait dépassé les 60 ans », s’indigne Rachwan. Cinq ans après la révolution, nous sommes toujours dans le démantèlement d’une société compliquée gonflée par la corruption et la peur, comme l’explique le psychiatre Khalil Fadel dans son nouveau livre La Grande confession. Les Egyptiens : ce qu’ils ont subi et ce qu’ils ont fait 2011-2015 (lire page 5). Ce sont là des conséquences de la transition. Selon Abd-Rabbo, la révolution de janvier en elle-même est « une longue transition ».

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