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Remaniement: Du bon ... et du très mauvais

Aliaa Al-Korachi et Héba Nasreddine, Mardi, 15 janvier 2013

Plusieurs grands projets législatifs introduits par la Constitution provoquent de vives polémiques. Certaines réformes s’annoncent nécessaires mais particulièrement impopulaires, d’autres touchent aux libertés fondamentales des citoyens, restreignant leurs droits à manifester et à s’organiser en sociétés civiles. Aperçu.

le Conseil consultatif
Certaines lois devront passer par le Conseil consultatif, tandis que d'autres attendent le nouveau Parlement. Photo: Reuters)

Droit à manifester : dangereuses restrictions

C’est l’un des projets de loi les plus attendus et qui suscite l’une des plus fortes polémiques. Il faut dire qu’au cours de ces deux dernières années, les manifestations ont été monnaie courante dans la plupart des grandes villes égyptiennes. Composé de 26 clauses, ce projet de loi rend obligatoire l’obtention d’une autorisation préalable de la part du ministère de l’Intérieur, trois jours avant la manifestation. Les organisateurs devront déterminer la date, le lieu, l’itinéraire, ainsi que les raisons ayant conduit à la manifestation. Il leur sera interdit de bloquer les routes et les chemins de fer, ainsi que d’entraver la circulation. Enfin, ils devront respecter des horaires de manifestation, à savoir de 7h à 19h.

L’interdiction de manifester est autorisée en cas de danger. Si tel est le cas, les forces de sécurité auront le droit de disperser les manifestants à l’aide de canons à eau, de grenades lacrymogènes et de bâtons électriques. De tels agissements seront aussi autorisés si les horaires de manifestations sont dépassés, ou si celles-ci perturbent l’ordre public ou nuisent à l’unité nationale. Des critères bien flous ...

En revanche, la loi donne aux manifestants le droit de recourir au juge pour décider, d’urgence, du maintien ou non de la manifestation. Quant au droit de grève, il est garanti mais limité à l’intérieur des établissements. Il doit suivre une

demande de la part des ouvriers au moins quatorze jours avant. Il ne doit nuire ni à la production, ni à l’économie nationale. Le texte prévoit aussi de durcir les sanctions en imposant une peine de prison de trois mois et une amende allant de 20 000 à 50 000 L.E. à l’encontre des contrevenants, et d’un an de prison et d’une amende de 30 000 à 100 000 L.E. à toute personne accusée d’avoir incité à violer ces dispositions.

Les soukouk : une loi consensuelle hormis sur la question de la souveraineté

Ce projet de loi a été élaboré de toutes pièces par le Parti Liberté et justice, afin de faire sortir le pays de la crise économique qu’il affronte depuis 2011. Le texte autorise et régule l’émission de soukouk (obligations islamiques) par le gouvernement. Le but est d’attirer de nouvelles liquidités, notamment en provenance du Golfe. Cela devrait permettre d’injecter d’énormes sommes dans l’économie et de remédier au déficit budgétaire.

Les soukouk sont des certificats financiers charia-compatibles, qui rassemblent les actions et les obligations échangées en Bourse et qui sont soumis à un taux d’intérêt variable basé sur le partage des profits et des pertes. Le projet de loi autorise le gouvernement à émettre des soukouk en livres égyptiennes ou en devises étrangères par le biais d’actions.

Mais les divisions politiques internes semblent ralentir la promulgation d’un tel projet. Par exemple, l’Académie des recherches islamiques, dépendant d’Al-Azhar, craint que les actifs de l’Etat ne soient par la suite détenus par des étrangers. Ce qui pourrait menacer la souveraineté du pays.

Assurance maladie : économies et privatisations en perspective

Le ministère de la Santé met la touche finale à son nouveau projet de loi sur l’assurance maladie, en vue de le présenter au Conseil consultatif. Sur le papier, la loi semble vouloir supprimer les nombreux avantages dont bénéficient les assurés, notamment en faisant augmenter leurs contributions. Si la loi est appliquée, les bénéficiaires devront assumer une hausse généralisée du prix des traitements. Chaque examen coûtera dix livres supplémentaires, les médicaments augmenteront en moyenne de cinq livres, les analyses de 10 % et les chimiothérapies et opérations chirurgicales de 20 %.

Pour les opposants, ce projet de loi va à l’encontre du principe de l’assurance maladie en tant que service gratuit fourni par l’Etat. Ils s’alarment contre une éventuelle privatisation des services de soins, rendant les citoyens simples consommateurs. Ces craintes semblent être justifiées au regard de l’article 11 du nouveau projet. Celui-ci prévoit, en effet, de créer un organisme national chargé de réglementer et de contrôler l’application des différents services de santé, sans toutefois définir sa nature ou sa structure. Cet article ouvre la porte aux entreprises privées. Malgré tout, le projet prévoit l’extension de l’assurance santé à tout le peuple égyptien « au cours des quinze prochaines années, et cela selon trois phases géographiques successives ». Quant aux hôpitaux, aucune solution concernant leur dégradation et leur financement n’est avancée …

Retraites : passage de l’âge minimum de 60 à 65 ans

Le point phare de la nouvelle loi est le recul de l’âge de la retraite de 60 à 65 ans. Selon les opposants à cette loi, dont fait partie l’Union générale des retraités, la mesure contribuera à élever le taux de chômage égyptien en réduisant les chances d’emploi pour les jeunes diplômés. Autre point important : la mise en place d’une « police d’assurance », qui permettra aux personnes âgées ayant le plus cotisé de percevoir une retraite à la hauteur de leurs cotisations. En parallèle, le projet augmente la durée de cotisation de 240 mois à 360. Enfin, le projet durcit les sanctions économiques envers les retraites prématurées, sans tenir compte des cas particuliers. Le projet de loi, fruit d’une coopération entre le ministère des Finances et l’Organisme des assurances sociales, a provoqué l’indignation d’associations. L’Union générale des retraités, à laquelle sont annexés 43 sous-syndicats, s’est opposée à cette « attaque flagrante du droit des retraités, les privant des quelques avantages donnés par l’ancienne loi ». Selon eux, ce projet « a été rédigé sans concertation préalable avec l’avis des retraités, pourtant les plus concernés ! ».

Corruption : vers une commission nationale chapeautant les organismes actuels

Bien que l’Egypte possède une quinzaine d’organismes censés lutter contre la corruption administrative, plusieurs rapports internationaux placent son indice de corruption dans le tableau d’honneur mondial. Le ministre de la Justice, Ahmad Mekki, a décidé de créer une commission de lutte contre la corruption. Selon l’article 204 de la Constitution, le rôle de la commission sera de « combattre la corruption, régler les conflits d’intérêts, promouvoir les valeurs d’intégrité et de transparence, déterminer les normes et le développement de la stratégie nationale et veiller à leur mise en oeuvre ».

Pour l’heure, aucune information n’a été révélée quant aux moyens d’actions de la commission. On sait néanmoins que cette commission interviendrait en tant qu’organe indépendant et que ses rapports seront transmis directement au Parlement et non pas à la présidence.

Le seul pouvoir confié au président devrait être la nomination pour quatre ans, renouvelables une fois, du chef de la commission après approbation du Conseil consultatif. Ce projet soulève deux majeures interrogations. Premièrement, que deviendront les organismes de contrôle déjà existant ? Et quelle sera l’implication des Frères musulmans au sein de cette nouvelle instance ?

Accès à l’information : pas encore de projet de loi concret

Si aucune loi n’est envisagée concernant le libre accès à l’information, le ministre de la Justice, Ahmad Mekki, a déclaré avoir entamé des discussions sur ce sujet. L’ébauche d’un projet de loi sur la circulation de l’information a même été diffusée sur le site web du ministère. « Il s’agit, pour l’heure, d’idées, et non d’un projet de loi en tant que tel », explique le ministre. Il précise toutefois que cette ébauche « constituera le papier principal devant amener à la promulgation d’une loi ».

La problématique majeure tourne autour de la formation d’un haut conseil de l’information, chargé de surveiller l’accès des citoyens à l’information. Ainsi, les citoyens pourront faire appel contre toute institution refusant de rendre l’information qu’elle possède disponible au public. L’ébauche prévoit néanmoins d’assurer la confidentialité de certaines informations à travers deux classifications : « Secret » et « Top secret ».

La première prévoit l’interdiction d’accès à certains documents, dits confidentiels, pendant une quinzaine d’années. Les informations protégées par la seconde seront indisponibles, elles, pendant trente ans. Les critères qui devraient déterminer la confidentialité des documents restent toujours absents, aussi bien que les sanctions envisagées en cas de divulgation. De plus, le terme de « sécurité nationale », auquel l’accès à l’information ne doit pas s’opposer, est invoqué mais sans être défini.

Elections municipales : augmenter le taux de participation en décentralisant

Un nouveau projet sur la gestion des municipalités est en cours d’élaboration par le ministère du Développement local. Composé de seize articles, le projet vise d’abord à lutter contre la corruption et la centralisation. Un haut conseil pour l’administration municipale sera ainsi créé, afin de surveiller et de gérer les municipalités. Ce conseil ne sera pas indépendant. Présidé par un vice-premier ministre pour la direction municipale, il inclura parmi ses membres le ministre du Développement local, le gouverneur, les chefs municipaux et des urbanistes.

Le projet de loi prévoit de clarifier les relations entre les administrations locales et les organes exécutifs. Il propose une augmentation conséquente du budget des municipalités afin de favoriser leur développement. Il amplifie aussi leurs pouvoirs en leur accordant le droit d’user de tous les outils d’interrogation contre les organismes exécutifs (gouverneurs ou ministres). Le projet vise l’augmentation du taux de participation aux élections municipales, ainsi que leur transparence politique. Les chefs des provinces, des villages et des quartiers, autrefois nommés parmi les membres du PND, seront désormais élus. Enfin, un quota pour les femmes sera imposé.

ONG : contrôle étatique renforcé

Un projet pour amender la loi 84/2002 sur les organisations non gouvernementales est étudié par le ministère des Affaires sociales. Selon les termes de la loi actuelle, les ONG doivent se déclarer auprès du ministère et demander une autorisation si elles souhaitent recevoir des fonds étrangers. La loi confère au gouvernement le droit de refuser ces financements. Les contrevenants risquent un an de prison et une lourde amende. En février 2012, des poursuites judiciaires ont ainsi été lancées contre des ONG accusées de financements illégaux et de travail sans autorisation.

L’Egypte compte environ 40 000 ONG qui travaillent dans plusieurs domaines, du politique au social. Parmi les contrevenantes figure la confrérie des Frères musulmans. Celle-ci mène illégalement des activités tant politiques que sociales depuis plus de 80 ans bien qu’elle ait été officiellement dissoute en tant qu’organisation politique en 1954. Le projet de loi porte sur cinq axes principaux : l’inscription des ONG, leur financement, le statut de l’Union générale des ONG, le statut des ONG étrangères, leur contrôle et leur dissolution. Il interdira notamment la création de branches d’organisations internationales en Egypte sans obtention d’une licence de travail. Il renforcera aussi la supervision des ONG locales par le gouvernement et mettra leurs budgets sous la surveillance de l’Organisme central des comptes. Accueilli chaleureusement par les Frères musulmans, ce projet de loi est rejeté en masse par les activistes qui craignent une restriction de l’indépendance des ONG.

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