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L’unité nationale compromise

Amira Samir, Mardi, 30 juin 2015

La formation d'un nouveau gouvernement palestinien relance le débat sur la place qui sera accordée aux différentes factions, dont le Hamas, et le retour des tensions avec le Fatah.

L’unité nationale compromise
Le gouvernement d'union avait été formé en 2014 par le Fatah et le Hamas. (Photos : Reuters)

Le nouveau gouvernement palestinien devrait être formé dans les prochains jours. C’est ce qu’annonce l’Autorité palestinienne. Le président palestinien, Mahmoud Abbas, a chargé Rami Hamdallah, le premier ministre « démissionnaire », de former un nouveau gouvernement d’union nationale, sans pour autant expliquer pourquoi il a demandé au gouvernement de démissionner, puisque c’est la même personne qui le formera. Selon des politologues, la décision de Abbas ne vise pas le gouvernement lui-même. La dissolution du gouvernement intervient suite aux contacts indirects que le Hamas, « court-circuitant » l’Autorité palestinienne, aurait eu avec Israël pour tenter de conclure une longue trêve dans la bande de Gaza. « Les déclarations de sources au sein du Hamas, selon lesquelles le mouvement islamiste et Israël ont noué des contacts indirects pour échanger des idées sur une trêve à long terme dans la bande de Gaza, ont choqué Abbas et l’ont poussé à demander au gouvernement de démissionner. Du coup, les tensions sont montées entre le Fatah et le Hamas. Le gouvernement d’union nationale n’a pas duré », explique Gamal Al-Fadi, professeur de sciences politiques.

Le président palestinien tirerait ainsi les conséquences des dissensions palestiniennes et de l’incapacité du gouvernement actuel à exercer son autorité dans la bande de Gaza, car le Hamas ne semble pas disposé à céder le pouvoir. « Mahmoud Abbas souhaiterait remplacer le gouvernement formé de technocrates soutenus par les deux rivaux, le Fatah et le Hamas, mais non-affiliés officiellement aux deux principaux mouvements palestiniens, par un gouvernement plus étendu qui regroupe toutes les factions palestiniennes dont le Hamas et le Djihad islamique », souligne le politologue palestinien, Ossama Chaath. (Lire entretien page 4).

Sceller la réconciliation

Le gouvernement d’union nationale palestinien, qui vient de démissionner, avait été mis sur pied il y a tout juste un an, sous l’égide de l’Autorité palestinienne, dans le but notamment de sceller la réconciliation entre les deux grands rivaux palestiniens, le Fatah, le parti du président palestinien Mahmoud Abbas et le Hamas, au pouvoir dans la bande de Gaza. Il regroupait donc des représentants des différentes factions palestiniennes. Sa démission semble augurer d’une rupture plus profonde encore. Car les factions palestiniennes ne sont pas d’accord sur cette dissolution.

Le mouvement de résistance islamique, le Hamas, a officiellement refusé la dissolution du gouvernement dont il fait partie. Il a aussi rejeté l’intervention de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) dans la formation du nouveau gouvernement, en soulignant que la direction provisoire, qui regroupe toutes les factions palestiniennes, est la seule instance autorisée à former le gouvernement. Pour rappel, cette direction provisoire a été formée en mai 2011 suite à un accord de réconciliation signé au Caire entre le Hamas et le Fatah (Lire entretien page 5). Dans un communiqué de presse, Fawzi Barhoum, porte-parole du mouvement, a rejeté toute formation unilatérale d’un nouveau gouvernement palestinien, soulignant que tout nouveau gouvernement devrait être formé en coordination et en consultation avec le Hamas et les différentes factions palestiniennes. « Tout changement dans le gouvernement, sa dissolution, l’acceptation de sa démission ou la formation d’un nouveau gouvernement doivent passer par un accord national entre toutes les factions palestiniennes. Ces dernières doivent débattre de cette question très importante pour tous les Palestiniens, et pas seulement pour le président Abbas ou le Fatah », précise-t-il. Néanmoins, Rami Hamdallah a immédiatement entamé ses consultations avec les différents mouvements palestiniens. Et Azzam Al-Ahmad, figure du Fatah, est en charge des négociations avec le Hamas, mais sa visite à Gaza a été annulée.

Le Hamas se dit prêt à participer au gouvernement, mais a appelé le président Mahmoud Abbas à remplacer le gouvernement de technocrates soutenus par un autre gouvernement plus « politique » incluant toutes les factions pour faire face à l’occupation israélienne. Quant aux dirigeants du Djihad islamique, ils affirment qu’ils ne s’opposeront pas au prochain gouvernement. « Le gouvernement d’union nationale doit comprendre des représentants des 13 factions palestiniennes. Il faut aussi garantir le consentement de toutes ces parties sur ce nouveau gouvernement, parce que dans l’ancien, il n’y avait pas de consentement entre la Cisjordanie et la bande de Gaza », explique Saïd Nakhla, un des dirigeants du Djihad islamique, en se demandant si le prochain gouvernement sera pour toute la Palestine ou uniquement pour une catégorie des Palestiniens.

Le Fatah, parti du président Abbas, soutient manifestement la dissolution du gouvernement et la formation d’un nouveau sans condition. Les points de vue des autres factions palestiniennes varient entre partisans du Fatah et Abbas, et partisans du Hamas.

Des perspectives sombres

Mais la formation d’un nouveau gouvernement pose la question de la place qui sera accordée aux différentes factions dont le Hamas, considéré comme une organisation terroriste par les Etats-Unis, l’Union européenne et par Israël, d’autant plus que le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a déclaré à la presse avoir été informé par Abou-Mazen (Abbas) que seules les factions reconnaissant Israël participeront à ce nouveau gouvernement, ce qui exclut de facto le Hamas. « Il m’a précisé que dans ce gouvernement d’union nationale ne pourraient siéger que des femmes et des hommes qui reconnaissent Israël, qui renoncent à la violence et qui sont en accord avec les principes du Quartette pour le Proche-Orient », a indiqué Fabius.

Ainsi, le mouvement du Hamas, qui rejette d’ores et déjà la formation unilatérale du gouvernement sans coordination ni consultation avec lui et avec les factions palestiniennes, ne veut pas entendre parler d’un exécutif soutenant les propositions du Quartette, dont la reconnaissance de l’Etat d’Israël. « Pour le Hamas, tout gouvernement adhérant aux conditions du Quartette ou d’autres initiatives politiques non-consensuelles n’a rien à voir avec l’accord de réconciliation entre Palestiniens », affirme Sami Abou-Zahri. Pourtant, Abbas a déclaré dimanche que le Hamas a jusqu’à mardi pour se joindre à un nouveau gouvernement d’unité. L’ultimatum de Abbas est intervenu lors d’une interview avec la chaîne de télévision saoudienne Al-Arabiya.

Les parties palestiniennes se sont donc mises d’accord pour ne pas être d’accord. Ahmad Awad, politologue spécialiste des affaires palestiniennes, prévoit l’exclusion de certaines factions du prochain gouvernement. « La divergence des points de vue et la méfiance entre les deux rivaux, le Fatah et le Hamas, rendent la situation trop compliquée et annoncent l’échec de n’importe quel prochain gouvernement », estime-t-il. Awad prévoit la formation du nouveau gouvernement d’union nationale en Cisjordanie et le « retour » du gouvernement du Hamas à Gaza. « Ce n’est pas une union nationale. La réconciliation reste un voeu pieux », indique-t-il. En effet, les doutes quant à la stabilité du gouvernement d’union formé en 2014, pour mettre fin à des années de dissensions ayant quasiment tourné à la guerre civile en 2007 entre le Fatah et le Hamas, avaient commencé à émerger dès l’annonce de sa formation. La démission de l’ancien gouvernement et la formation d’un nouveau risquent de s’ajouter aux profondes incertitudes du moment et à l’incapacité à gouverner la bande de Gaza.

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