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Référendum: La victoire qui divise

Chaïmaa Abdel-Hamid, Lundi, 24 décembre 2012

Le succès du oui au scrutin des 15 et 22 décembre réconforte les islamistes mais inquiète l'opposition. Celle-ci promet toutefois de continuer la lutte et prépare déjà les législatives de 2013.

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(Photos : Bassam Al-Zoghby)

Sans grande surprise, le oui l’a emporté avec 64 % des voix. Et la nouvelle Constitution a été adoptée en Egypte. Mais avec un taux de participation faible, estimé à envi­ron 32 %, ces résultats viennent approfondir le fossé entre les diffé­rentes forces politiques déjà divi­sées bien avant la tenue de ce réfé­rendum.

Lors de la première phase, qui s’est déroulée le 15 décembre dernier, le « oui » l’avait emporté avec 56 % des voix, contre 44 % de « non ». Selon l’opposition et les ONG, les résultats de ce référendum, qui a connu des irrégularités, doivent être annulés.

Les islamistes, eux, y voient une grande victoire. Ainsi, le Parti Liberté et Justice (PLJ), la branche politique des Frères musulmans, dont est issu Mohamad Morsi, s’est félicité des résultats. «peuple égyptien conti­nue sa marche vers la finalisation de la construction d’un Etat démocra­tique moderne, après avoir tourné la page de l’oppression », a annoncé le parti dans un communiqué. « Nous tendons la main à tous les partis poli­tiques et toutes les forces nationales pour dessiner ensemble les contours de la période à venir. J’espère que nous allons tous commencer une page nouvelle », a lancé Saad Al-Katatni, président du PLJ, sur son compte Twitter.

Mais une question se pose : quels sont les scénarios après ce oui ? En dépit de cette « victoire » des isla­mistes, les experts politiques estiment que leur popularité ne cesse de bais­ser. Les crises ne feront que s’ampli­fier. Pour le politologue Abdel-Ghaffar Chokr, président du Centre des études arabo-africaines, « avec l’approbation de ce texte controversé et entaché de fraudes claires, le cou­rant islamiste pense qu’il a gagné. Au contraire, il ne cesse de perdre des points. Cette Constitution va donner lieu à une série de crises ».

Des crises en perspective

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Photos : Bassam Al-Zoghby
En effet, cette Constitution accorde le pouvoir législatif au Conseil consultatif (Sénat) jusqu’à l’élection d’un nouveau Parlement, dans les deux mois suivant l’adoption du texte fondamental. « Nous sommes face à une vraie catastrophe, car ce conseil travaillera exclusivement pour le parti au pouvoir. Il n’y a donc aucune différence entre ce nouveau conseil et celui qui l’a précédé », explique le politologue Hassan Nafea, qui ajoute que la période à venir sera encore plus compliquée (voir interview page 4).

Un point de vue soutenu par Chokr qui affirme que le Front du Salut National (FSN), une coalition de l’opposition, s’attend à ce que les choses s’aggravent. « On peut s’at­tendre très prochainement à des confrontations, car le Conseil consul­tatif va sûrement nous concocter des lois visant à asseoir le pouvoir des Frères musulmans. La loi sur les impôts sera appliquée et les manifes­tations incriminées. Mais une chose est sûre : nous sommes prêts pour faire face à tout cela », ajoute-t-il.

Les choses ne s’arrêtent pas au Conseil consultatif, mais la vraie bataille se déroulera autour des élec­tions parlementaires. Un vrai défi pour l’opposition qui rassemble actuellement toutes ses forces pour remporter cette bataille.

La bataille ne fait que commencer

Le Front du salut national n’a aucune intention d’accepter le résul­tat de ce référendum à cause, d’après lui, « de la fraude, des violations et des irrégularités ». Selon Hamdine Sabbahi, ancien candidat à la prési­dence de la République, les résultats « ne confirment qu’une chose : il n’y a pas de consensus sur cette Constitution ». « Le texte ouvre la voie à une série de lois qui vont balayer les libertés publiques », mar­tèle-t-il. « Le référendum n’est qu’un début ? C’est une bataille parmi d’autres autour de l’avenir de l’Egypte », souligne le FSN dans un communiqué. Celui-ci entend camper sur sa position, alors que des élec­tions législatives sont prévues d’ici deux mois. « Nous maintiendrons notre union et notre cohésion. Nous sommes prêts à participer à toutes les batailles démocratiques », a ajouté Sabbahi, qui appelle les Egyptiens à poursuivre leur lutte.

Selon Nafea, il ne faut pas perdre espoir. L’histoire de la Constitution égyptienne le prouve. Les forces populaires ont jadis obligé le roi Fouad à annuler une Constitution imposée au peuple. Le politologue rappelle ces faits : En novembre 1935, les étudiants de l’Université Fouad Ier (actuellement du Caire), s’étaient rassemblés sur le pont Abbas, pour réclamer l’abrogation de la Constitution dite de 1930 imposée par le gouvernement d’Abdel-Aziz Sedqi et la réinstauration de la Constitution de 1923. Des affronte­ments ont eu lieu sur le pont, et des martyrs sont tombés. Toute l’Egypte était en deuil. Les grèves ont touché les quatre coins du pays et les jour­naux ont décidé de s’absenter des kiosques. Ces pressions ont poussé le roi Fouad à se soumettre à la contes­tation populaire. Il a décidé de réta­blir l’ancienne Constitution. La Constitution de 1923 est considérée comme la première Constitution égyptienne au vrai sens du terme. Elle a été le fruit d’un consensus populaire très large. « C’est l’une des meilleures Constitutions au monde », dit Nafea. Elle représente un exemple édifiant de la formation d’une assem­blée constituante équilibrée. Certains craignent que le résultat du référen­dum ne débouche sur une situation difficile avec un pays divisé et un régime islamiste fragilisé. « Il faut savoir que les islamistes sont conscients de la baisse de leur poids dans la rue. D’ailleurs, ils en sont très touchés », conclut Chokr.

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