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Géopolitique du chiisme

Amira Samir et Hana Afifi, Mardi, 21 avril 2015

Concentrés en Iran et dans plusieurs pays du Moyen-Orient, les chiites sont en cohabitation difficile avec leurs coreligionnaires sunnites. Leur histoire est indispensable à la compréhension des tensions régionales.

Géopolitique du chiisme

Le Hezbollah
Des partisans du Hezbollah lors d'un discours de Hassan Nasrallah.

La géographie du chiisme se concentre surtout dans la région du Moyen-Orient. Le « croissant chiite » s’étend de l’Iran au Liban en passant par l’Iraq, la Syrie et les pays du Golfe.

Cette présence chiite est omniprésente dans les rapports entre l’Iran et les communautés chiites existant dans ces pays. « L’Iran aide généreusement les chiites de tous les pays, surtout ceux du Moyen-Orient pour avoir des partisans partout si un jour, la terre du chiisme, soit l’Iran, est attaquée. Mais ces communautés chiites peuvent aussi provoquer des troubles dans leurs propres pays », explique Yousri Al-Azabawi, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.

Les chiites, dont 90 % sont iraniens, sont estimés entre 10 % et 15 % des musulmans de la région. Avec 40 millions de chiites (contre 120 millions de sunnites), le Pakistan représente le deuxième pays chiite après l’Iran. Au Liban, les chiites sont devenus, ces dernières années, la communauté religieuse la plus nombreuse, ce qui explique les tensions politiques profondes dont témoigne ce petit pays. Le parti chiite du Hezbollah est un grand allié de l’Iran (lire encadré). En Syrie, la famille du président Bachar Al-Assad est en effet issue de la minorité alaouite, une faction chiite qui représente 11 % de la population. Dans ce pays, la minorité chiite au pouvoir ne cache pas ses relations avec Téhéran qui, de son côté, continue à soutenir le régime de Bachar dans sa sanglante répression contre ses opposants sunnites.

Téhéran peut aussi compter sur le régime de Bagdad, également chiite. En effet, l’Iraq est un lieu historique du chiisme, comme en témoigne le nombre des monuments chiites qui s’y trouvent, notamment à Najaf et Karbala. Les chiites iraqiens sont arrivés au pouvoir après des décennies de répression sous l’ex-président Saddam Hussein.

A Bahreïn, les chiites sont aussi majoritaires. Ils représentent près de 60 % de la population et sont classés comme « opposants » au pouvoir sunnite. Dans la foulée du « Printemps arabe » de 2011, les chiites de Bahreïn ont réclamé des réformes sociales lors d’une série de manifestations et de grèves qui ont été réprimées par une intervention militaire menée avec l’aide de l’Arabie saoudite. Depuis, les tensions s’exacerbent par intermittence entre les sunnites et les chiites du pays.

L’Arabie saoudite témoigne aussi, depuis des années, de contestations de la part de sa minorité chiite concentrée notamment dans l’est du royaume. « Des manifestations chiites éclatent de temps en temps dans cette province pétrolière stratégique avant d’être réprimées par les autorités saoudiennes. L’Arabie saoudite et le Royaume bahreïni accusent Téhéran d’être derrière ces troubles », explique Yousri Al-Azabawi.

Les chiites ont également une forte présence au Yémen. Ils constituent près de 45 % de la population. Le président déchu Ali Abdallah Saleh, qui a dirigé le pays pendant 30 ans, appartient à la communauté chiite des Zaidis. Les conflits en cours entre les Houthis et l’alliance militaire dirigée par l’Arabie saoudite sont souvent qualifiés de guerre par procuration où l’Iran est omniprésent.

Dans les autres pays du Golfe, le nombre des chiites varie, mais les tensions sont peu profondes. Au Koweït, ils représentent plus de 21 % de la population, contre 13 % aux Emirats arabes unis et 10 % au Qatar.

Le Hezbollah

Les chiites représentent environ 29 % de la population au Liban. Les Libanais chiites vivent surtout dans le sud du pays, sur une surface d’environ 10 % du territoire près de la frontière avec Israël. Le système politique libanais est tel que le premier ministre doit être musulman sunnite et le président de l’assemblée nationale doit être musulman chiite. Les chiites au Liban sont politiquement représentés par le Hezbollah dirigé par Hassan Nasrallah et le parti Amal. Le Hezbollah est soutenu politiquement et financièrement par l’Iran et est un allié du régime chiite d’Al-Assad. Beaucoup de membres du Hezbollah considèrent l’actuel guide suprême de la révolution islamique en Iran, l’ayatollah Ali Khameini, comme leur guide spirituel.

Fondé en 1982 suite à l’invasion israélienne du Liban, le Hezbollah se charge de la protection des chiites, mais fait de la défense de tout le Liban contre les menaces israéliennes sa première raison d’être.

En 2006, le parti signe un protocole d’entente avec le parti chrétien du général Michel Aoun.

Aujourd’hui, les chiites représentent l’une des coalitions politiques les plus importantes, celle du « 8 mars ». Elle compte principalement le Courant patriotique libre, chrétien maronite, le mouvement Amal, chiite, et le Courant Marada, en plus du Hezbollah et d’autres formations. Il est opposé au bloc du « 14 Mars ». Celui-ci compte notamment le Mouvement du Futur, un mouvement sunnite dirigé par Saad Al-Hariri et les Forces libanaises du chrétien maronite Samir Geagea. Ce dernier bloc est soutenu par l’Arabie saoudite. Les élections législatives de 2009 se sont soldées par la victoire de la coalition du 14 Mars. Cependant, la coalition du 8 Mars reste assez puissante pour peser sur la vie politique. Entre juin 2011 et mars 2013, le Hezbollah participe de nouveau au gouvernement présidé par Najib Mikati.

Le cas iraqien

L’Iraq est un pays à majorité chiite. D’après un recensement effectué en 2009, entre 19 et 22 millions d’Iraqiens sont chiites, soit entre 65 et 70 % de la population iraqienne et 12% de la population mondiale. Jusqu’en 2003, le pays était dirigé par le président sunnite Saddam Hussein. Depuis la chute de ce dernier, des conflits sectaires ensanglantent le pays. Des milices sunnites et chiites se font toujours la guerre, les unes soutenues par l’Arabie saoudite, les autres par l’Iran.

C’est à Karbala en Iraq qu’Al-Hussein, le petit-fils du prophète Mohamad, fut assassiné en 680 par les partisans du calife omeyyade Yazid ben Muawiya. Pour les chiites, la succession du prophète devait être réservée à sa descendance (lire page 4). Ali ben Abi Taleb, le père d’Al-Hussein, avait quitté Médina pour s’établir à Koufa (au sud de Bagdad), devenu, depuis, un sanctuaire du chiisme. Après l’assassinat d’Al-Hussein, le siège du califat a été transféré à Damas sous les omeyyades sunnites, puis à Bagdad sous le règne des Abbassides, également sunnites, en l’an 750.

Dans le passé, mais encore aujourd’hui, les conflits politiques entre sunnites et chiites sont souvent déguisés en conflits doctrinaux.

Après des décennies d’oppression, les chiites iraqiens ont accédé au pouvoir. Un système de quota à la libanaise répartit les postes de l’exécutif entre les trois principales communautés. Ainsi, le président est kurde, le premier ministre est chiite, et le président du parlement sunnite. Chacun des trois est assisté par deux adjoints, appartenant aux deux autres communautés.

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