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Rêve avorté ou cauchemar écourté?

Chérif Albert, Mardi, 27 janvier 2015

Quatre ans sont passés depuis le 25 janvier 2011, sans que les Egyptiens parviennent à une appréciation consensuelle des événements de cette journée, et encore moins de ses conséquences à court ou long termes.

« D’où est venu cet amour, cette solidarité qui a réuni les Egyptiens pendant 18 jours ? ... Comment ces derniers, assiégés par les services de sécurité et des hommes de main, partageaient les repas, se protégeaient, alors que la bataille du chameau battait son plein ? Et j’en passe sur l’absence de harcèlement sexuel, sur le respect du rôle des femmes et leur droit de s’exprimer en tant que citoyennes à part entière, sur la chorale de l’église évangélique, toute proche, venue chanter Bénit notre pays, malgré une réalité confessionnelle ayant sévi sous le président déchu… Les histoires abondent », se souvient nostalgique l’activiste Khaled Daoud, dans sa chronique dans le quotidien Al-Tharir, en référence aux jours précédant la chute de Hosni Moubarak.

Plus amer, Nagueh Ibrahim, une figure islamiste, livre sur les pages du quotidien Al-Shorouk ses « contemplations » du 25 janvier: « L’amour rassemblait les couleurs du drapeau égyptien, la place Tahrir était assez grande pour rassembler tout le monde: Frères, salafistes, chrétiens, socialistes et libéraux (…). Aujourd’hui, on ne se supporte plus, chacun souhaite la destruction de l’autre ». S’attardant sur cet état de polarisation qui a lézardé la masse, Ibrahim regrette « l’extinction de la flamme révolutionnaire, en partie à cause de l’absence d’un leader », en partie aussi à cause de « l’adolescence politique » des uns et de « l’opportunisme » des autres.

Toujours dans Al-Shorouk, le Nassérien Abdallah Al-Sennawy accorde plus d’importance à la justice transitionnelle, estimant impossible d’aller de l’avant sans en avoir fini avec les années Moubarak. « Ce qui brouille la vision et perturbe la politique, c’est le fait de ne pas savoir au juste ce qui s’est passé: comment ce pays a-t-il été systématiquement détruit, pillé, violé, comme jamais ? ». Exemple à l’appui: « La remise en liberté des fils de l’ex-président Moubarak, pour avoir atteint la période maximale de détention provisoire est compatible avec la loi, pas avec la justice. Tout comme l’emprisonnement des jeunes révolutionnaires pour avoir bravé la loi sur la manifestation ». Al-Sennawy conclut: « Les peuples ne meurent pas pour que le passé renaisse, les régimes se clonent et la justice meurt ». Pour lui, seule la justice est susceptible de tourner la page du passé, avec ses politiques et ses figures, « c’est à la fois une condition requise pour la stabilité de l’Etat et pour la victoire de la révolution ».

Autre constat d’échec: sous le titre « Les non-dits de la révolution », Ahmad Abd-Rabbo écrit dans le même journal: « Les intrigues contre la révolution, ses valeurs et ses slogans ont débuté avec les islamistes pour culminer en un coup », non pas un coup d’Etat, mais plutôt un coup des forces civiles avec la bénédiction du peuple, pour renvoyer la balle à l’Etat après l’échec des révolutionnaires à introduire un vrai changement dans le quotidien des gens. « La révolution a perdu face aux structures profondes: l’Etat, Al-Azhar, l’Eglise, les partis politiques classiques, la confrérie des Frères musulmans, la bureaucratie, tous ceux qui ont pressenti le danger d’une révolution susceptible d’ébranler leur mainmise sur les ressources et les valeurs ».

Aux antipodes de ces bilans plutôt gris, le rédacteur en chef d’Al-Shorouk, Emadeddine Hussein, estime pour sa part que la meilleure manière de célébrer l’anniversaire de la révolution est de prôner l’espoir en des lendemains meilleurs. « Tôt ou tard, les vestiges du régime de Hosni Moubarak disparaîtront, et il en sera de même pour les Frères musulmans… Ceux qui resteront, ce sont les jeunes, et le meilleur que l’on puisse faire pour eux, c’est d’oublier le passé et de s’occuper de ce qui les préoccupe », prédit-il. « Au lieu de s’engager dans des discussions byzantines, il vaut mieux cultiver l’espoir chez les plus jeunes. C’est l’espoir qui peut tuer l’extrémisme et le terrorisme … », ajoute-t-il.

Faisant grimper d’un cran la dose d’optimisme, l’éditorialiste Salah Issa promet dans Al-Masry Al-Youm une célébration pas comme les autres. « Pour la première fois, les Egyptiens accueillent avec optimisme l’anniversaire de la révolution du 25 janvier, rassurés qu’ils ont entamé leur marche vers l’avenir à pas sûrs, malgré les obstacles, les embûches et les embuscades. Au cours de l’année écoulée, la reconstruction de l’Etat a commencé— un Etat qui était au bord de la décomposition— … et le pays a largement retrouvé sa stabilité politique et sociale après que les services de sécurité ont récupéré leur allure professionnelle ».

Dans un tout autre registre, une chronique signée Abdel-Fattah Abdel-Moneim, dans Al-Youm Al-Sabie, oppose la triple revendication révolutionnaire « Pain, liberté, justice sociale » à un triple complot mené par les Frères, le Hamas et le Hezbollah pour liquider l’appareil sécuritaire et détruire le pays. Cette « trinité maléfique, aidée par les adolescents des mouvements du 6 Avril et des Socialistes révolutionnaires, eux-mêmes formés par des services de Renseignements étrangers, a assuré l’évasion de ses prisonniers dans la foulée du 25 janvier », écrit Abdel-Moneim, reprenant à son compte une « thèse » privilégiée par plusieurs animateurs de talk-shows. « Le mouvement du 6 Avril continue-t-il ce sale jeu, cette fois pour le compte de Morsi, des leaders de la confrérie et de leurs propres prisonniers ? », se demande-t-il.

Dans Al-Youm Al-Sabie toujours, Mohamad Fouda, fait, lui, abstraction de la révolution, en appelant à saisir l’occasion pour « rétablir l’honneur de la police, et faire de ce jour un tournant dans sa relation avec le peuple, surtout dans ces atmosphères chargées de patriotisme ».

Finalement, dans le journal Al-Watan, et dans un style ostensiblement dérisoire, le politologue Moetaz Abdel-Fattah parle de « l’accident » du 25 janvier, « un accident dont nous sommes sortis blessés ». « Nous avons fait une révolution à notre image, tout aussi aléatoire, chaotique, improvisée, insensée, que nous. Avant de se tourner vers ceux qui nous gouvernaient pour les supplier de laisser leurs disciples nous gouverner », écrit Abdel-Fattah. A la question: qui a gagné, il hésite avant de répondre: « Personne. C’était presqu’un accident involontaire, un gros malentendu … Certains sont morts, brûlés ou tués, on a perdu des choses, … l’important, c’est de ne plus le refaire ! ».

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