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Doha-Le Caire : L’apaisement

May Al-Maghrabi, Mardi, 25 novembre 2014

Un accord de réconciliation entre l'Egypte et le Qatar a vu le jour cette semaine. Selon les observateurs, son succès dépendra de la réévaluation par le Qatar de sa politique régionale et de son soutien aux Frères musulmans. Analyse.

Doha le Caire
A l'appel de l'Arabie saoudite, l'Egypte accepte la réconciliation avec le Qatar. (Photo : Reuters)

A l’appel du roi Abdallah d’Arabie saoudite, l’Egypte a accepté cette semaine une réconcilia­tion avec le Qatar, après des mois de brouille politique. Selon le roi Abdallah, ce processus de réconcilia­tion entre le Qatar, d’un côté, et les pays du Golfe et l’Egypte, de l’autre, vise à mettre un terme aux différends entre les pays arabes et à resserrer les rangs face aux défis futurs. « J’appelle l’Egypte à se joindre à nous sur la voie d’un retour à la solidarité arabe », a souligné le roi Abdallah dans une déclaration publiée par le cabinet royal.

Une initiative à laquelle l’Egypte n’a pas tardé à répondre favorable­ment. Dans un communiqué, la prési­dence a estimé que cette évolution ouvrait la voie à une nouvelle ère dans ses relations entre les pays arabes. « Nous regardons vers l’avenir et tournons la page des différends qui nous ont opposés », a dit le communi­qué de la présidence égyptienne. Dans une référence à la chaîne qatari Al-Jazeera, le communiqué ajoute : « Le peuple égyptien et ses dirigeants sont convaincus de l’approche posi­tive que les médias arabes adopteront pour soutenir cet accord et fournir un environnement positif pour mettre fin aux divisions ».

Les relations, déjà tendues entre l’Egypte et le Qatar sous Moubarak, se sont envenimées depuis le 3 juillet et la destitution de Mohamad Morsi. Allié des Frères musulmans, le Qatar est considéré comme l’un des princi­paux bailleurs de fonds des Frères musulmans en Egypte. Doha a abrité sur son territoire les cadres en fuite de la confrérie et a tiré à boulets rouges sur le nouveau régime, le qualifiant de « putschiste ».

Mais l’Arabie saoudite et les autres pays du Golfe soutiennent la révolu­tion du 30 juin et le régime d’Al-Sissi. Sur fond de crise, l’Egypte avait donc rappelé son ambassadeur au Qatar. Le 5 mars dernier, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et Bahreïn avaient aussi rappelé leurs ambassadeurs à Doha, accusant le Qatar de s’ingérer dans leurs affaires et de mener une politique déstabilisatrice dans la région en raison de son soutien à la mouvance islamiste. Suivant les pas de l’Egypte, les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite avaient aussi décla­ré organisation terroriste la confrérie des Frères musulmans.

Mi-novembre, les monarchies arabes du Golfe sont, cependant, par­venues à un accord lors d’une réunion entre les ministres des Affaires étran­gères des pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG). Suite à cette réconciliation, l’Arabie saou­dite, les Emirats arabes unis et Bahreïn ont accepté de renvoyer leurs ambassadeurs à Doha. Les pays du Golfe s’étaient, en outre, mis d’ac­cord sur un mécanisme d’application de cet accord de réconciliation.

Quelle ligne pour le Qatar ?

Le Qatar va-t-il opérer un véritable changement de sa politique régionale, notamment en ce qui concerne son soutien aux Frères musulmans ? L’Egypte, qui vient de rejoindre l’ac­cord des pays du Golfe, n’a pas encore formulé de position claire. « Il faut attendre et voir », a déclaré le président Abdel-Fattah Al-Sissi, jeudi dernier, dans un entretien accordé à France 24.

Al-Jazeera, considérée comme la voie de politique internationale qatari, n’a jusqu’à présent pas changé sa politique d’un iota. Elle diffuse nuit et jour des manifestations contre le « coup militaire », défend les Frères musulmans, victimes de « la répres­sion sécuritaire » ou promeut la parti­cipation aux manifestations du 28 novembre.

Selon l’écrivain Makram Mohamad Ahmad, si le Qatar a accepté la récon­ciliation avec les pays du Golfe et l’Egypte, c’est pour sortir de son iso­lement du CCG et apaiser les cri­tiques externes et internes. Il indique que les pays du Golfe et l’Arabie saoudite avaient intérêt à réintégrer le Qatar dans leurs rangs pour des rai­sons politiques et économiques, sans perdre un allié régional stratégique comme l’Egypte.

« Toutefois, à la lumière de cette réconciliation, il est prématuré de savoir quelle stratégie adoptera le Qatar sur le long terme. Il incombe, dorénavant, au Qatar de déterminer ses priorités et ses choix politiques et surtout d’arrêter sous couvert d’une chaîne satellite d’inciter à la vio­lence » explique Makram.

Pour sa part, Tarek Fahmi, profes­seur de sciences politiques, estime que cet accord manque d’engagement concret pour le Qatar. « L’Egypte a toujours défendu des relations constructives avec les pays arabes et c’est pourquoi elle accepte la récon­ciliation avec le Qatar. Toutefois, Doha doit faire des actes visant à rétablir la confiance entre les deux pays. Le Qatar est-il prêt à recon­naître la légitimité de la révolution du 30 juin, extrader les accusés réfugiés sur son territoire, arrêter le finance­ment des Frères et des radicaux? Ces questions primordiales détermineront le sort de cet accord », affirme Fahmi.

Le pari des enjeux

Yousri Al-Azabawi, politologue, affiche une vision plus tranchée. Selon lui, le contexte régional et inter­national obligera le Qatar à lâcher sous peu les Frères musulmans. Une réévaluation et une réorientation de la politique régionale du Qatar devrait se mettre en place progressivement. « Doha veut ménager les Etats-Unis et apaiser ses relations tendues avec les autres pays du Golfe, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’il va arrêter immédiatement son soutien aux Frères musulmans », estime Al-Azabawi.

Autre enjeu: aujourd’hui, dans sa guerre contre l’Etat islamique, Washington n’acceptera plus la rela­tion du Qatar avec certaines organisa­tions islamistes extrémistes. « Le sou­tien de Doha aux Frères musulmans se justifiait par des raisons de realpo­litik et non d’idéologie. Il s’agissait de les utiliser comme une courroie de transmission et de diffusion dans la région et au-delà. La chute des Frères musulmans et le recul du soutien amé­ricain à la confrérie inciteront le Qatar, par pragmatisme, à réorienter sa politique et à revoir son engage­ment en leur faveur, pour préserver ses intérêts à long terme en Egypte », décrypte Al-Azabawi.

Reste à savoir quel profit pourra tirer l’Egypte de la reprise des rela­tions avec le Qatar? « Il faut avouer que l’Egypte n’est pas en position de force. La situation économique est dégradée, les tensions politiques internes se poursuivent et les menaces terroristes s’accentuent. Sans comp­ter les crises avec l’Ethiopie et le Soudan. Ces défis colossaux acca­blent l’Egypte et entravent la reprise de son rôle régional. Dans de telles conditions, il était difficile de rejeter l’appel de l’Arabie saoudite, surtout à l’approche de la conférence écono­mique qui sera tenue en mars pro­chain. L’Egypte mise sur cette confé­rence pour redresser son économie. Dans ce contexte, c’est le langage des intérêts qui doit dominer les relations. Le Qatar est l’un des pays du Golfe les plus riches et pourra aider abon­damment l’Egypte. Sur le plan poli­tique, la normalisation des relations avec le Qatar permettra également de cerner le danger que représente la montée du terrorisme en Libye » conclut-il, pragmatique.

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