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Le rapprochement n’occulte pas les différences

Chérif Albert, Mardi, 20 novembre 2012

Le premier ministre Recep Tayyip Erdogan a effectué une visite au Caire, afin de renforcer les liens entre les deux pays. Un partenariat entre deux gouvernements islamistes qui pourrait s’étendre au-delà de l’aspect économique.

Turquie

Accompagné par une importante délégation ministérielle et d’hommes d’affaires, le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan est arrivé samedi en Egypte pour une visite destinée à renforcer les liens entre les deux pays. Mais l’aspect essentiellement économique de la visite s’est retrouvé éclipsé par le conflit à Gaza, Le Caire et Ankara critiquant vivement Israël pour ses attaques dans l’enclave palestinienne.
Pour le régime égyptien issu du mouvement des Frères musulmans, historiquement proche du Hamas palestinien qui contrôle la bande de Gaza, la défense de Gaza est aussi idéologique que politique. La Turquie, autrefois proche alliée d’Israël, est en froid avec l’Etat hébreu depuis que des commandos israéliens ont tué 9 ressortissants turcs qui tentaient de briser le blocus de Gaza à bord d’un ferry turc chargé d’aide humanitaire en mai .
Mais la rhétorique anti-israélienne et la défense de la cause palestinienne ont été également utilisées par le Parti pour la justice et le développement (AKP) pour renforcer la popularité de la Turquie dans le monde arabe.
Devant un auditoire enthousiaste à l’Université du Caire, Erdogan a ainsi félicité le président Morsi pour avoir rappelé son ambassadeur en Israël, à la suite des bombardements israéliens de la bande de Gaza. « La Turquie continuera de se battre sur la scène internationale pour nos frères palestiniens. Je félicite la jeunesse et le peuple égyptien pour sa révolution ! », a lancé le dirigeant turc. Ce à quoi les étudiants répondaient : « L’Egypte et la Turquie marchent main dans la main ! ».
A la différence du modèle de modernisation imposé par une élite militaire laïque qu’offrait le Kemalisme, la Turquie d’Erdogan est admirée en Egypte et dans d’autres pays du Moyen-Orient, comme un Etat qui a su concilier un islamisme conservateur avec un libéralisme politique et une prospérité économique, et qui a réussi à montrer aux peuples de la région que leur choix ne se limite pas entre l’islam et la dictature.
La Turquie, alors que son espoir d’adhérer à l’Union européenne semble affaibli, s’est tournée vers son voisinage moyen-oriental pour construire un nouveau partenariat économique et de nouvelles alliances politiques. Côté égyptien, la difficile situation économique, semble favoriser un accueil bienveillant au bras tendu de la Turquie laquelle a promis une aide de deux milliards de dollars.
Ambiguïtés et « axe sunnite »
Mais les affinités islamistes entre les deux partis au pouvoir, Liberté et justice dont est issu le président égyptien et l’AKP, malgré leurs trajectoires dissemblables, ont donné lieu à des ambiguïtés relatives à une éventuelle création d’un axe sunnite dans la région. Ce qu’Ankara, diplomatiquement active en Iraq, en Syrie et en Iran, a tout intérêt à exclure.
« Je souhaite que les Frères musulmans sortent carrément de ce dialogue (avec la Turquie), parce que le fait de limiter les relations avec ce pays aux Frères musulmans est une fausse lecture », souligne l’écrivain islamiste Fahmi Howeïdi. « D’ailleurs les propos mêmes d’Erdogan sont assez clairs. Il a insisté sur le fait d'avoir affaire avec un régime démocratiquement élu, ce qui signifie que si un parti libéral comme le Wafd remportait les prochaines élections, cela ne risque pas de modifier la nature de cette relation », estime-t-il.
« A mon avis, il existe d’importantes différences entre le régime turc qui est avant tout laïque, et le nouveau régime en Egypte qui ne se revendique pas de la laïcité. Sur le plan politique, le parti d’Erdogan a derrière lui 4 décennies d’expérience. C’est un parti qui a décidé de travailler au service de sa société. Cette expérience fait défaut au mouvement islamiste en Egypte qui, lui, s’intéresse à prêcher les gens », souligne Howeïdi.
Il n’en reste pas moins que pour les Frères musulmans, il s’agit d’un exemple à suivre. « Pour nous, l’AKP est l’exemple d’un parti islamiste qui a réussi à gagner un large soutien populaire grâce à sa bonne performance politique et économique », affirme Hamdi Hassan, cadre de la confrérie des Frères musulmans.
Ce qui ne l’empêche pas d’admettre la « différence des versions ». « Chaque pays a ses circonstances et sa propre conception de la charia et de son application », dit-il. « Mais ce qui nous intéresse là, c’est qu’il ne suffit pas d’appeler à l’application de la charia tout en laissant insatisfaites les demandes du peuple et son aspiration à une vie digne, ce serait donner le mauvais exemple. Les accomplissements palpables sont plus importants que les slogans », insiste Hassan. Déjà une leçon qui justifie le discours sur le « rôle modérateur » que pourrait jouer la Turquie dans ses échanges avec les régimes islamistes de la région. Ce qui explique pourquoi aux Etats-Unis, l’on appelle l’administration Obama à capitaliser sur la diplomatie active d’Erdogan dans le management de la transition politique dans les pays du Printemps arabe. Pour l’Occident, c’est un modèle de loin préférable à celui qu’offriraient l’Iran ou l’Arabie saoudite .
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