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Le timbre et le chien qui veut s’attraper la queue

Najet Belhatem, Mardi, 16 septembre 2014

Quel lien y a-t-il entre l’impression et la diffusion d’un timbre qui reprend une illustration du Canal de Panama au lieu du Canal de Suez et cette guerre s'annonçant contre l’Etat islamique ? Apparemment rien, et pourtant ...

Dans le quotidien Al-Masry Al-Youm, May Azzam signe un éditorial sur ce fameux timbre à l’honneur du creusement d’un second canal à Suez. « Ce qui s’est passé est une forme de gaspillage de l’argent public à cause de la précipitation. Ce qui est dangereux, ce n’est pas l’erreur de publier un tel timbre, mais c’est de passer sous silence l’ignorance du responsable qui en est la cause et à qui on doit demander des comptes pour que ce genre d’erreur ne nuise pas à l’Egypte ». Or, l’erreur n’est pas celle d’une seule personne, mais de tout un système.

C’est un internaute égyptien, Hani Al-Masry, un professionnel des dessins animés, qui a révélé cette erreur au grand jour. « Si l’on comprend bien, tous ceux par qui le timbre est passé n’ont rien remarqué et ont donné leur aval … Ou ils sont complètement ignorants ou complètement lâches et n’ont pas un soupçon de responsabilité », avait-il posté sur sa page Facebook. « La majorité des internautes se sont moqués de l’ignorance de l’Organisme de la poste. Et d’autres ont accusé des parties étrangères et n’ont pas exclu les Frères musulmans d’être à l’origine de cette gaffe pour porter atteinte à la réputation de l’Egypte. Plusieurs journaux et sites Web ont repris l’information à partir du post de Hani Al-Masry sans qu’aucun responsable daigne donner des explications. Mais le timbre a finalement été retiré de la circulation ».

Quel rapport donc avec cette guerre contre l’Etat islamique qui s’annonce et où Washington est en train de rallier les pays arabes ? C’est l’ignorance, l’état de déliquescence intellectuelle et culturelle. C’est un système éducatif ancestral qui n’arrive pas à se défaire de ses carcans. C’est une modernité de façade et un système d’idées que les pouvoirs irriguent de gaz carbonique de peur de voir l’oxygène raviver les esprits. Et pour ce faire, tous les moyens sont bons, de l’instrumentalisation de la religion, à celle de la peur du terrorisme ou de l’anarchie.

« Que l’on se souvienne et que l’on réalise, avant qu’on ne nous pousse encore à demander davantage d’armées étrangères pour liquider l’Etat islamique et les autres organisations terroristes, que cela ne se fera que par processus démocratique et que le retour à la paix civile passe par la fin des injustices », écrit l’analyste Amr Hamzaoui dans le quotidien Al-Shorouk. Dans le quotidien Al-Ahram, son PDG Ahmad Al-Sayed Al-Naggar écrit dans son éditorial : « Parmi des forces terroristes qui ont été rabattues vers la Syrie est sorti du lot le groupe de l’Etat islamique d’Iraq et de Syrie, Daech. Et ce groupe n’aurait jamais pu prendre de l’ampleur sans les aides énormes provenant de l’argent du pétrole et des associations salafistes basées essentiellement dans les pays du Golfe, sous les yeux des Etats-Unis. Si l’objectif est de détruire l’Etat syrien, les forces des alliés vont l’attaquer sous le couvert de la lutte anti-terroriste. L’Egypte qui fait face, elle aussi, au terrorisme du groupe Beit Al-Maqdes est concernée par la lutte anti-terroriste, mais elle doit rester en retrait par rapport à cette guerre contre l’Etat islamique si la guerre vise l’Etat syrien en tant que tel, même si elle est entièrement d’accord avec la nécessité de combattre l’Etat islamique qui s’est retourné contre ses pourvoyeurs de fonds ». Le seul mérite de l’Etat islamique, si l’on peut utiliser ces termes, c’est d’afficher au grand jour toutes les contradictions et cette guerre, pour l’imager, ressemble à un chien qui veut s’attraper la queue.

Dans le quotidien Al-Tahrir, Ahmad Abd-Rabbo revient sur une phrase qui est sur toutes les lèvres : « Pas grave, au moins nous ne sommes pas l’Iraq ou la Syrie ». Il écrit : « Il est de notoriété actuellement en Egypte que lors de toute discussion sur les politiques du pouvoir, de vite clore celle-ci par la phrase : au moins ce n’est ni la Syrie, ni l’Iraq. Ce genre d’argumentation est devenu une mode parmi les responsables dans la société égyptienne. Quelles que soient les erreurs commises par le régime, on vous rappelle à l’ordre et on vous fait remarquer, vous qui crachez sur notre bénédiction, que nous devons être reconnaissants parce que nous ne subissons pas le même sort que la Syrie ou l’Iraq ! ». Et d’ajouter : « Ce qui se passe actuellement en Egypte est le même sort choisi par le pouvoir politique dans les deux pays cités, où on a opposé la sécurité à la liberté, au gagne-pain et à la démocratie. Croyez-vous encore que nous subirons un autre sort ? ». Le célèbre juriste et homme de loi Nour Farahat fait le même constat dans un commentaire publié sur sa page Facebook : « Ceux qui opposent faussement les nécessités de préserver l’Etat sous couvert qu’il est confronté aux dangers de la désagrégation, au respect des libertés, des droits de l’homme et des valeurs démocratiques, sont en train de poser les fondements du fascisme ».

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