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Coupures de presse: L’art de ruminer des débats ancestraux

Najet Belhatem, Mardi, 06 novembre 2012

Chaque semaine la presse passe au peigne fin les actes et faits du courant islamiste toutes tendances confondues. Et ce dernier, à la grande joie des rédactions, ne tarit pas d’informations souvent assez saugrenues.

Cette semaine, focus sur le courant salafiste avec notamment l’article de Fahmi Howeidi dans le quotidien Al-Shorouk, où il parle de l’interdiction d’un concert musical, dans le gouvernorat de Minya (Haute-Egypte), d’une troupe musicale composée de musulmans et de coptes. L’argument était que le concert est un acte « de prosélytisme (chrétien) via la musique et la chanson qu’ils interdisent. Cela s’est passé seulement un jour après l’apparition du groupe Al-Nahy an al-monkar wa al-amr bel maarouf (ndlr : intégralement, interdiction du mal et ordonnance du bien. Groupe à l’instar de groupes similaires existant en Arabie saoudite) à Kafr Al-Cheikh dans le Delta. Le groupe a distribué des tracts qui se mêlent directement de l’accoutrement des personnes et de leur vie au quotidien, et qui prévient que le mal sera combattu par la force s’ils y sont contraints. Ce qui a coïncidé avec l’appel de quelques salafistes à une manifestation pour l’application de la charia sous prétexte que l’assemblée constituante pour la Constitution avait abandonné le concept. Puis nous avons lu dans la presse que l’un des ténors salafistes a fait un discours contre les chiites ». L’auteur continue : « Nous sommes en droit de nous demander si ces groupuscules en Egypte sont unis ou s’ils représentent différents courants dans le carré salafiste qui englobe aujourd’hui plus d’un parti et front et un nombre indéterminé de cheikhs et références. Et comme nous ne connaissons pas exactement la nature et les contours de ce carré, tout ce que fait un salafiste est attribué à l’ensemble ».

L’auteur fait ensuite état d’une remarque, à savoir que les services de sécurité à Minya ont eu recours à l’interdiction du concert suite à l’opposition des salafistes. « Alors que cette interdiction est en contravention avec l’article 56 du code pénal qui stipule la peine de prison pour quiconque crée un groupe interdisant aux institutions de l’Etat de travailler ou porte atteinte à la liberté individuelle du citoyen ».
Toujours dans la même ligne d’idées, Khaled Montasser revient dans le quotidien Al-Watan sur le débat actuel concernant la formule « L’islam est la religion d’Etat ». Il fait mention du fait que, depuis la Constitution de 1923, le débat n’a pas bougé d’un iota. A l’époque aussi les cheikhs intégristes expliquaient la formule d’une manière restrictive : « Notre présent ressemble à notre passé, lorsque Taha Hussein critiquait la position des hommes de religion face à la Constitution de 1923. Le même climat et les mêmes peurs comme si en Egypte nous ruminions nos questions et vivions le même instant avec plus d’un scénario, nous courions vite et en faisant du surplace et parfois marche arrière ! ». L’auteur revient sur certains avis de Taha Hussein à l’époque, qui écrivait : « Les cheikhs ont compris que L’islam est la religion d’Etat veut dire que l’Etat doit être un Etat islamique au vieux sens du terme. Ils ont écrit demandant que la Constitution ne soit pas promulguée parce que les musulmans n’en ont pas besoin ». Or, la Constitution de 1923 a été promulguée et là Taha Hussein a écrit : « Voilà la théorie des cheikhs dans la manière d’exploiter le texte : l’islam est la religion d’Etat, dont les rédacteurs de la Constitution n’auraient jamais imaginé qu’il serait exploité et qu’il créerait en Egypte un parti dangereux pour la liberté, voire dangereux pour la vie politique. Les cheikhs disent que la Constitution a énoncé que l’islam est la religion d’Etat et que cela veut dire que celui-ci est chargé de défendre l’islam contre toute atteinte ou tout danger. L’Etat doit donc s’attaquer aux athées et effacer la liberté d’expression totalement dans tout ce qui peut toucher l’islam de près ou de loin. Cela veut dire, selon eux, que l’Etat doit écouter ce que disent les cheikhs à ce propos. Si quelqu’un déclare un avis, compose un livre ou adopte un habit et que les cheikhs voient que cela est contraire à la religion, le gouvernement est dans l’obligation selon la Constitution de les écouter et de punir les contrevenants ». Des écrits de Taha Hussein qui ressemblent ainsi beaucoup au débat actuel sur la Constitution et sur la place de la religion dans ce texte. C’est comme si, en plus d’un siècle, rien n’avait été accompli sur le plan des idées et que le seul changement se cantonnait dans les apparats de la modernité importés de l’étranger et également exploités par les islamistes, allant du micro pour lancer les prêches enflammés jusqu’aux sites Internet pour propager leurs idées. Le débat est le même et on le retrouve toutes les semaines dans les colonnes des journaux, surtout les débats sur les libertés comme le montre si bien l’article de Mohamed Salmawy dans Al-Masry Al-Youm : « Je ne sais pas pourquoi les adeptes de l’islam politique insistent sur le fait de ligoter les libertés dans la Constitution avec des restrictions qui en ôtent le sens ».
La dernière tentative est celle des salafistes qui insistent sur le fait d’insérer la mention « à condition de ne pas contredire les valeurs de la société et l’ordre public », dans le chapitre des libertés qui stipule que toutes les libertés sont garanties !
Dans un article paru dans Al-Tahrir, Khaled Daoud met les Frères musulmans et les salafistes sur un pied d’égalité. Il écrit : « Les Frères musulmans ont tranché et décidé de déclarer la guerre à tous ceux qui s’opposent à la Constitution qu’ils ont concoctée depuis longtemps au siège de la confrérie, à Moqattam. Ils ont aussi montré dans quel camp ils se tiennent en s’alliant au parti salafiste Al-Nour. Le communiqué, qu’ils ont publié soudainement mercredi dernier au nom de la confrérie elle-même et non au nom du Parti Liberté et justice, utilise ce qu’il y a de plus dangereux en leur possession, à savoir faire le chantage à leurs opposants au nom de la religion. Il accuse tout simplement toutes les forces qui défendent l’Etat citoyen en Egypte d’être impliquées dans une campagne injuste qui porte atteinte à l’identité islamique de l’Egypte ». Cette bataille entre les idées prônant un Etat citoyen et celles préconisant un Etat religieux qui s’étend depuis le début du XXe siècle ne s’achèvera pas du jour au lendemain.
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