Dans le quartier huppé d’Héliopolis à l’est du Caire, se trouve l’hôpital Palestine. Dans la rue, en face de l’hôpital, et sans dire un seul mot, un jeune homme se dirige vers nous et dit : « Vous êtes là pour les Palestiniens ? ». Et sans attendre la réponse, il nous accompagne à la réception et nous fait signe de nous asseoir. A la réception, une banderole accueille les visiteurs où est annoncé le début d’une campagne de don de sang organisée par l’hôpital au profit des Palestiniens blessés. Quelques minutes passent avant l’arrivée d’un homme âgé, barbu, qui salue le photographe et ignore notre présence. Il explique : « Je m’appelle Chawkat. Je vais être votre accompagnateur durant la visite ». L’hôpital accueille 15 blessés palestiniens depuis le 24 juillet. L’un d’eux a complètement guéri, 4 sont morts et 10 sont encore à l’hôpital. Au 4e étage, chambre numéro 20, se trouve Anas.
Il gît dans son lit, couvert d’un drap et affiche un sourire chaleureux. Pendant un instant, on pense qu’il est prêt à se lever et quitter le lit, mais impossible, il a été amputé d’une jambe et souffre d’une fracture de l’autre. Ce n’est pas tout. Anas Kamal est en dernière année à la faculté. Il suit des études d’ingénieur. Son corps est couvert de blessures. « Nous habitons à Beit Hanoun. J’ai soudain entendu le bruit des bombardements et j’ai demandé à mes parents de quitter vite le quartier. Grâce à Dieu, ils ont réussi à s’enfuir avec la voiture. Moi, j’étais en moto.
Il y a eu un énorme boum et après, je ne me souviens plus de rien. Je me suis retrouvé à l’hôpital de Dar Al-Chéfa à Gaza. Mais en raison de l’insuffisance du matériel médical, j’ai été transféré en Egypte », dit-il. Anas est interrompu par son oncle très en colère. « Etes-vous de la chaîne Al-Jazeera ? Pourquoi voulez-vous déformer l'image de l'Egypte ? Pourquoi les journalistes viennent-ils ici ? Tout va bien pour nous ici. Nous sommes passés à la frontière sans passeport, seulement avec la carte d’identité. L’Egypte fait tout ce qu’elle peut pour nous », dit-il en criant. Quelques mètres plus loin au même étage, se trouve la chambre 21.
Les pays arabes, complice avec Israël
A l’intérieur, deux autres jeunes : Mohamad Samir sur un lit, et sur l’autre, Mohamad Ishaq. Le premier vient du quartier de Khan Younès. Il explique : « J’étais dans la rue lorsqu’un missile est tombé juste devant moi. J’ai perdu conscience tout de suite, et j’ai été transféré à l’hôpital. Mais face à la gravité de mes blessures, mon frère a demandé à ce que je sois transféré ailleurs. Les médecins m’ont alors demandé de choisir entre L’Egypte et la Jordanie, et j’ai choisi l’Egypte ». Il reprend : « Je suis resté 4 heures au point de passage de Rafah pour terminer les procédures. Ce qui est trop. Et enfin, je suis là. Je suis amputé d’une jambe et je souffre de blessures un peu partout ». Puis, très en colère, il ajoute : « J’ai un message à transmettre aux présidents et aux rois des pays arabes. Tout ce qu’on affronte à Gaza est la responsabilité des pays arabes. Ils sont tous complices avec Israël par leur silence, sous prétexte qu’ils ne veulent pas soutenir le Hamas qui est, d’après eux, un groupe de terroristes, ce qui n’est pas vrai. Le Hamas a réussi à tuer 50 soldats israéliens durant cette guerre. Je suis avec la résistance populaire, et dès que je rentrerai à Gaza, je vais continuer ce combat ». Là, son collègue Mohamad l’interrompt et se demande : « Que fait le Qatar ? Il a des intérêts avec les Etats-Unis. C’est vrai que le Hamas a de bonnes relations avec le Qatar, mais ce sont des relations basées sur les intérêts, car le Qatar dépense beaucoup d’argent pour la reconstruction des maisons à Gaza. Pourquoi l’Egypte ferme ses frontières et nous punit ? Est-ce de notre faute que le Hamas a soutenu Mohamad Morsi ? La police égyptienne ne sait pas qui est dangereux et qui ne l’est pas pour la sécurité de l’Egypte ». Lui aussi amputé d’une jambe, Mohamad affirme qu’il est prêt à mourir pour l’indépendance de son pays.
Au même étage, toujours quelques mètres plus loin, se trouve le service des soins intensifs. Badr, âgé de seulement 4 ans, est posé sur un lit. On a installé des tubes de transfusion sur son corps. Son grand-père barbu, très âgé, est à côté de lui. L’enfant, qui a les yeux ouverts, ne répond pas. Il est toujours sous le choc. D’après son grand-père, il a perdu sa mère, ses frères, ses soeurs, son oncle, sa tante, et son père est toujours à Gaza. « Pourquoi attaquent-ils les civils ? Nous n’avons rien à voir avec la politique », se demande le grand-père avec beaucoup de douleur et les larmes aux yeux.
A l’institut Nasser, un autre établissement médical situé à Choubra, les mêmes sentiments d’amertume, mais les choses ont l’air de bouger un peu plus. Des blessés quittent l’institut, d’autres arrivent. Au 4e étage, un homme qui accompagne son père blessé qui a requis l’anonymat explique : « Nous avons été très bien accueillis ici en Egypte, et presque chaque jour un ministre vient nous rendre visite. Mais à Gaza, c’est vraiment la fin du monde. Israël attaque et ne fait pas la distinction entre les civils et le Hamas. Il n’y a que des civils qui sont morts ». Et il ajoute : « Les membres de la résistance tirent et se cachent dans des tunnels, et ce sont les civils qui sont pris pour cibles dans cette guerre ». D’après lui, seules 20 personnes du Hamas sont mortes dans les bombardements, alors que les victimes civiles se chiffrent à 2 000. « Les Palestiniens qui ont fui les tirs se sont dirigés vers Deir Albdallah, où il n’y a ni eau ni nourriture. Sans l’Egypte et les soins gratuits offerts ici par le gouvernement égyptien, mon père serait mort là-bas », dit le jeune homme.
Dans une autre chambre se trouve Chérine, une jeune Palestinienne de 30 ans qui a perdu son mari, son enfant et sa soeur. Elle a les bras cassés. Elle souffrait d’une hémorragie au cerveau. Elle parle très difficilement : « J’ai perdu toute ma famille. Israël ne fait pas la différence entre les civils et les autres. Il attaque des quartiers résidentiels et détruit tout. Je pense que je ne rentrerai pas à Gaza après ce que j’ai vu ». Des propos qui montrent l’ampleur du désespoir de ces Palestiniens qui ont tout perdu : leurs maisons, leurs enfants et leurs proches.
L’aide s’organise

Malgré ses graves blessures, Anas ne perd jamais l'espoir.
(Photo:Mohamad Abdou)
Depuis le début de l’offensive, le Croissant-Rouge égyptien est mobilisé pour venir en aide aux habitants de Gaza. Plus de 1 000 tonnes de nourriture et de matériel médical ont été acheminés vers l’enclave palestinienne. Selon Mohamad Mohie, membre du comité de secours au Croissant-Rouge égyptien, l’état d’urgence a été déclaré dans les bureaux du Caire, du Nord-Sinaï et d'Ismaïliya. Les trois bureaux sont en contact 24h sur 24. Par ailleurs, le Croissant-Rouge égyptien est en contact permanent avec son homologue palestinien. Les aides destinées à Gaza et provenant de l’étranger doivent passer obligatoirement par le ministère des Affaires étrangères, qui les envoie à son tour au Croissant-Rouge. Ce dernier reçoit les aides, soit au Caire, soit à Al-Arich ou Rafah. Le Croissant-Rouge a envoyé jusqu’à présent 1057,6 tonnes d’aides égyptiennes, ainsi que 358 tonnes d’aides venant des pays arabes. Il s’agit de nourriture, de médicaments, d'ambulances, de tentes, de couvertures, et des fournitures médicales. Outre les aides, le Croissant-Rouge égyptien a aidé au transport des Palestiniens blessés en ambulance vers les hôpitaux égyptiens.
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