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Une nouvelle capitale pour désengorger Le Caire

May Al-Maghrabi, Lundi, 04 août 2014

Le gouvernement relance un vieux projet visant à créer une capitale administrative à l’extérieur du Caire. L’initiative ne fait pas l’unanimité

Une nouvelle capitale pour désengorger Le Caire
Le Caire abrite 25 % de la population de l'Egypte. (Photo:Ahmed Aref)

Pour désengorger la capi­tale, le gouvernement a sorti des tiroirs un projet datant de presque 40 ans. Il s’agit de transférer les ministères et les administrations publiques hors du Caire. Le premier ministre, Ibrahim Mahlab, a annoncé, la semaine dernière, la création d’une nouvelle capitale administrative sur la route de Suez. Cette ville devrait regrouper les ministères et le siège du Parlement. 2 700 feddans (1 134 ha) seront consacrés à ce projet dont le coût est estimé à plus de 50 mil­liards de L.E. et qui doit être achevé d’ici 5 ans. Objectif : résoudre le problème de la circulation dans la capitale, qui compte 18 millions d’habitants et 33 000 bâtiments gou­vernementaux dans lesquels tra­vaillent 2,3 millions de fonction­naires. 2 millions de véhicules sillon­nent les rues de la capitale tous les jours.

L’idée de vider la capitale des administrations publiques remonte au début des années 1970, sous le président Gamal Abdel-Nasser. A cette époque, l’Etat avait créé le quartier de Madinet Nasr pour y transférer les services gouvernemen­taux, mais à la mort de Nasser, l’Etat a vendu les terrains, des entrepre­neurs ont construit des logements et le quartier s’est transformé en une banlieue de la capitale. En 1979, sous Sadate, l’idée est relancée, et la ville d’Al-Sadate, sur l’autoroute Le Caire-Alexandrie, voit le jour pour que les services gouvernementaux y soient transférés. Mais avec la mort de Sadate au début des années 1980, le projet est à nouveau oublié.

Depuis 2004, plusieurs mesures ont été prises pour réduire la concentra­tion des administrations au sein de la capitale, dont l’interdiction d’installer de nouveaux services gouvernemen­taux. Il a été aussi interdit de construire des écoles privées, des instituts et des universités privées qui nécessitent de très grandes superficies. Toutefois, le problème de l’encombrement n’a jamais été résolu.

Aujourd’hui, le débat émerge à nouveau sur la rentabilité du projet. Alors que certains pensent que le transfert des administrations résou­drait en grande partie le problème de la circulation, notamment au centre-ville, d’autres y trouvent un faux remède qui ne fera que transférer l’encombrement hors de la capitale. L’urbaniste Soheir Hawas se félicite de cette décision qui, selon elle, a beaucoup tardé. « Les mesures prises ces dernières années n’ont résolu qu’à 20 % le problème des embou­teillages, surtout au centre-ville, qui déborde de services gouvernemen­taux. Dans un périmètre de quelques centaines de mètres, nous avons le complexe administratif de Tahrir, les ministères de l’Intérieur et de la Santé, l’Assemblée du peuple et la plupart des syndicats et les grandes banques. Ces services signifient un grand nombre de fonctionnaires, sans compter les citoyens qui fré­quentent ces lieux. Le transfert de ces services hors de la capitale contribuera sans doute à alléger notablement cet encombrement qui paralyse la vie au Caire », affirme Soheir Hawas. Avis partagé par Ibrahim Nasr, président de l’Asso­ciation des études des politiques afri­caines, qui trouve que l’idée de transférer les institutions étatiques hors de la capitale a été réalisée avec succès dans plusieurs pays du monde, comme en Côte d’Ivoire et en Tanzanie. « En Egypte, on peut avoir le même résultat si l’Etat offre les services et les moyens de trans­port nécessaires », affirme Nasr.

Tareq Wafiq, professeur de planifi­cation urbaine à l’Université du Caire, reconnaît que le transfert des minis­tères hors de la capitale est un pas important pour réduire les embou­teillages, mais il pense que ce n’est pas le seul remède. « Le problème essentiel du Caire réside dans sa surpopulation, puisqu’il abrite 25 % de la population de l’Egypte. C’est pourquoi il est important d’encoura­ger les Cairotes à se diriger vers les nouvelles collectivités urbaines, ce qui nécessite d’accorder plus d’im­portance aux nouvelles villes qui ne possèdent pas suffisamment de ser­vices », indique-t-il. En ce qui concerne le projet de la nouvelle capi­tale, il estime qu’il ne faut pas y concentrer toutes les institutions éta­tiques. « Il ne faut pas centraliser toutes les institutions dans un lieu pour ne pas reproduire le même malaise dans une autre région. Il suf­fit de transférer certains ministères de services qui sont massivement fré­quentés par le public », propose-t-il.

Aucune étude effectuée

Mais d’autres urbanistes ne voient pas les choses du même oeil. Mamdouh Hamza, ingénieur renom­mé, trouve ce projet fort paradoxal, vu les mauvaises conditions écono­miques en ce moment en Egypte et les mesures d’austérité imposées par le gouvernement. « Un tel projet nécessite un budget colossal. En plus, pourquoi le gouvernement a-t-il pris cette décision en l’absence de Parlement ? », s’est-il demandé lors d’un entretien télévisé. Et d’ajouter : « Un tel projet au budget colossal doit être soumis à un débat social et avoir le consentement du Parlement élu. Pourquoi dépenser des milliards de L.E. pour installer de nouveaux ministères sous prétexte de désen­gorger la capitale, alors que le nombre de ceux qui sillonnent Le Caire pour accomplir des services administratifs ne dépassent pas les 100 000 par jour ? ».

Il affirme qu’aucune étude n’a été effectuée pour mesurer la rentabilité de cette nouvelle capitale ou le sort des anciens bâtiments qui ont une valeur patrimoniale. En effet, le transfert des administrations gouver­nementales en dehors de la capitale nécessiterait un énorme budget non seulement à cause du coût de construction des nouveaux bâti­ments, mais aussi en raison de l’ins­tallation des infrastructures comme les réseaux de transport. « L’Etat possède-t-il le financement néces­saire pour la création des réseaux de transport et autres infrastructures nécessaires pour servir cette capi­tale administrative ? N’est-il pas de priorité absolue de relancer l’inves­tissement des grands projets pour absorber le chômage ? Des ques­tions que le gouvernement ne semble pas avoir abordées avant d’annon­cer la création de cette capitale », ajoute-t-il.

L’évacuation des bâtiments du centre-ville et leur transformation en hôtels de luxe et centres commer­ciaux feraient, selon certains, entrer des milliards de L.E. dans les caisses de l’Etat.

Ahmad Rouchdi, directeur du Centre des études urbanistes à l’Uni­versité du Caire, évoque la nécessité de replanifier la capitale après le transfert des institutions étatiques de façon à la transformer en capitale culturelle et touristique. Il propose d’investir ces espaces pour créer des jardins publics, des musées et consa­crer des rues aux piétons. « On ne peut ni vendre, ni démolir des bâti­ments comme l’Assemblée du peuple et le Conseil consultatif qui font par­tie du patrimoine. Ils doivent être transformés en musées. Plusieurs ministères, comme celui de l’Educa­tion, siègent dans des palais histo­riques qu’il faut exploiter », insiste-t-il.

La solution : décentraliser

Ahmad Amer, professeur d’archi­tecture à l’Université du Caire, s’op­pose à la création d’une nouvelle capitale administrative, dont le coût sera exorbitant et causera des pro­blèmes de transport pour les fonction­naires et les citoyens. Selon lui, la solution est de décentraliser l’appa­reil administratif. « Dans plusieurs pays du monde, comme en Allemagne, la capitale n’est pas la ville la plus importante. C’est pourquoi je trouve que le transfert de certaines institu­tions étatiques hors de la capitale peut être un pas positif sur le chemin de la décentralisation du pouvoir. Mais je n’appuie pas l’idée de créer une nouvelle capitale administrative dans laquelle on regroupera tous les ministères, parce que d’une part, cela constitue un prolongement de la poli­tique de centralisation du pouvoir, qui est le véritable problème de l’ap­pareil administratif. De l’autre, cela reproduira le même malaise ailleurs qu’au Caire », estime Amer. Selon lui, la solution consiste à transférer uniquement les ministères les plus fréquentés, et à adopter une politique de décentralisation en octroyant aux gouverneurs et aux services munici­paux des prérogatives plus vastes. « Si les pouvoirs des gouvernorats sont élargis, les habitants des régions ne seront plus obligés de visiter la capitale pour obtenir un passeport ou un permis de travail, et c’est ainsi qu’on pourra réduire la concentra­tion des services au sein de la capi­tale, sans dépenser des sommes énormes pour créer une capitale administrative », conclut-il.

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