
3 journalistes de la chaîne Al-Jazeera ont été condamnés à des peines de prison de 7 à 10 ans.( Photo: AP)
Trois journalistes de la chaîne qatari Al-Jazeera ont été condamnés à des peines de prison de 7 à 10 ans. Ils sont accusés d’avoir diffusé « de fausses informations », de soutenir une « organisation terroriste » et d’avoir « porté atteinte à la sécurité nationale ». Il s’agit de l’Australien Peter Greste, de l’Egypto-Canadien Mohamad Fahmi et l’Egyptien Baher Mohamad. Sur les six autres personnes jugées avec les journalistes d’Al-Jazeera, deux ont été relaxées et quatre condamnées à 7 ans de prison. Le tribunal a également condamné par contumace 11 autres journalistes à 10 ans de prison, notamment les Britanniques Sue Turton et Domenic Kane et la Néerlandaise Rena Netjes.
Le procès remonte à décembre 2013, lorsque des journalistes d’Al-Jazeera ont été arrêtés à l’hôtel Marriott en possession de matériels de diffusion satellitaires. L’avocat des trois journalistes a dénoncé un procès « politique » et une condamnation « sans preuve ».
Ce verdict a été critiqué par plusieurs organisations internationales, dont Reporters Sans Frontières (RSF), Amnesty International et la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ), basée à Bruxelles. Les Etats-Unis ont réagi avec virulence en stigmatisant le jugement. La Grande-Bretagne et les Pays-Bas ont aussi convoqué les ambassadeurs égyptiens pour contester ce verdict. Mais face à cette réprobation internationale, le président Abdel-Fattah Al-Sissi a refusé toute ingérence dans les affaires de la justice. Il a précisé que les autorités égyptiennes « respectaient l’indépendance de la justice ». L’Egypte a aussi tenu à clarifier les choses lors de sa participation le 25 juin à une réunion aux Nations-Unies en présence de 17 diplomates étrangers. Ossama Abdel-Khaleq, ambassadeur d’Egypte aux Nations-Unies, a affirmé que « les accusés ont bénéficié d’un procès équitable et transparent ». Abdel-Khaleq a souligné que 1 200 correspondants de tous les pays du monde travaillent en Egypte et n’ont jamais été empêchés d’exercer leurs fonctions tant qu’ils respectent la loi. Ceci en réplique à une campagne de mobilisation baptisée « Le journalisme n’est pas un crime », lancée dans un certain nombre de pays pour libérer les journalistes condamnés.
Selon Béchir Al-Adl, coordinateur du comité de la défense de l’indépendance de la presse, même si l’Egypte s’est engagée à respecter l’article 19 de la Charte mondiale des droits de l’homme garantissant la liberté d’opinion et d’expression et la protection des journalistes, cela ne justifie pas qu’une chaîne opère dans le pays sans permis et diffuse des informations erronées. « L’Etat a usé de son droit d’appliquer la loi et de la faire respecter, surtout que la chaîne qatari ne faisait preuve ni de neutralité, ni de professionnalisme. Les autorités égyptiennes n’ont rien à se reprocher tant qu’elles assurent des procès équitables et l’acte d’accusation est étayé par des preuves irréfutables », précise-t-il.
Au-delà d’un débat juridique, c’est l’impact de la politisation des médias qui est en question. Selon Farida Al-Naqqach, écrivaine et cadre du parti du Rassemblement, ce procès n’est qu’une répercussion de l’instrumentalisation des médias à des fins politiques. Al-Naqqach reproche à Al-Jazeera d’avoir dévié de son rôle médiatique en se transformant en un acteur politique et non un outil médiatique. Depuis le 30 juin, la chaîne Al-Jazeera Mubasher Misr, dont le statut est toujours illégal, déploie des efforts pour défigurer la révolution du 30 juin qui a renversé Mohamad Morsi. Exagération, informations mensongères, couverture partiale, toutes les armes illégitimes sont tolérées dans ce combat média-politique. Une politique médiatique qui a valu à la chaîne Al-Jazeera un recul sur le plan de l’audience et de la crédibilité.
Yasser Abdel-Aziz, expert en médias, critique aussi le fait que dans une atmosphère de polarisation, les médias incitent à la radicalisation et pratiquent l’escalade verbale. A cet égard, il pense que la politique médiatique d’Al-Jazeera comme celle des médias étatiques et privés sont à revoir. « A un moment où le pays se scinde en deux camps, les médias sont divisés aussi, prenant le parti d’un camp ou de l’autre. Les médias contrôlés par l’Etat ont continué, en dépit d’un changement de forme, à être utilisés par les gouvernements successifs comme un instrument de manipulation politique. Plus indépendantes, la presse et la télévision privées ne sont pas forcément plus professionnelles que celles de l’Etat. Même si le ton est plus critique, la réflexion y est réduite à l’expression de l’opinion et de son contraire, au détriment de l’information », conclut Abdel-Aziz..
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