Facebook,
Twitter et
Youtube, ainsi que certaines applications de téléphone portable comme
WhatsApp et
Viber seront systématiquement surveillés par le ministre de l’Intérieur. La décision fait désormais l’objet d’un grand débat. Le 1er juin, le ministère de l’Intérieur publie un appel d’offres dans les journaux, pour installer un système de surveillance des réseaux sociaux. Le lendemain, le ministre Mohamad Ibrahim confirme que le ministère veut «
mettre en place un système visant à combattre le terrorisme et protéger la sécurité nationale ». Le système aurait pour fonction de traquer tous les termes qui se rapportent à des activités considérées comme illégales, en vue de pister les personnes qui emploient ces mots sur les réseaux sociaux ou Internet. «
Ce nouveau système ne vise pas à réprimer la liberté d’expression, mais plutôt à repérer les dangers sécuritaires sur les réseaux sociaux, notamment ceux ayant trait au terrorisme et aux moyens de fabriquer les explosifs. Il s’agit de faire face aux idées incitant à la violence et à semer la zizanie, pour protéger la société », a déclaré le ministre.
Le système en question scannera les réseaux sur 26 thèmes différents, dont la diffamation de la religion, l’appel à des manifestations illégales, les grèves et les sit-in, ainsi que le terrorisme et l’incitation à la violence. Cependant, la liste complète des thèmes à surveiller n’a pas été rendue publique, laissant planer le doute sur les communications qui seront visées et à quel moment.
La décision du ministère est au centre d’un vif débat sur Facebook et Twitter. « Nous sommes surveillés », affichent d’emblée certaines pages Facebook. Et pour les forces révolutionnaires, cette mesure remet en cause l’un des acquis de la révolution du 25 janvier. Mohamad Kamal, membre du mouvement du 6 Avril, affirme que les jeunes vont « tout faire » pour faire face à ce projet. « Ce projet viole la Constitution, la loi et toutes les conventions internationales, surtout qu’il est instauré avec l’arrivée du nouveau président. Cela confirme que cette politique sera en vigueur au cours de la prochaine période », affirme Kamal.
Même son de cloche pour Hafez Abou-Seada, président de l’Organisation Egyptienne des Droits de l’Homme (OEDH). Pour lui, la surveillance des réseaux sociaux viole le principe de confidentialité. « Selon la Constitution, on ne peut pas faire effraction dans la vie privée d’une personne sans l’autorisation du Parquet ou d’un tribunal. L’Etat peut protéger la société contre le terrorisme sans se mêler de la vie privée des individus », assure Abou-Seada.
Après la chute de l’ancien président islamiste Mohamad Morsi, de petits groupuscules ont commencé à opérer sur Internet, notamment sur les réseaux sociaux. Certains de ces groupuscules publient des informations sur la manière de fabriquer des bombes artisanales. D’où la décision du ministère de l’Intérieur d’instaurer un contrôle plus strict sur ces sites. Les activistes des droits de l’homme craignent cependant que ce contrôle ne soit abusif. « Il est étrange que l’Egypte impose ce type de contrôle, après 2 révolutions en faveur de la liberté d’expression et de pensée, et qui ont rejeté la répression. Il faut annuler cette décision », lance Magdi Abdel-Hamid, président de l’Association pour la promotion de la participation communautaire. Et d’affirmer que les ONG se sont élevées contre ce genre de contrôle à l’étranger.
En fait, l’article 57 de la Constitution protège le droit à la vie privée, et affirme que « les correspondances postales, télégraphiques et électroniques, les appels téléphoniques et les autres moyens de communication sont inviolables, et leur confidentialité est garantie. Ils ne peuvent être ni confisqués, ni révélés, ni surveillés, sauf sur décision judiciaire étayée, pour une période définie, et uniquement dans les cas définis par la loi ».
« Les autorités égyptiennes ont un très mauvais bilan en matière de droits et de liberté d’expression. Un système destiné à surveiller systématiquement les réseaux sociaux risque de devenir un nouvel instrument de répression aux mains du gouvernement égyptien », déclare, pour sa part, Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient d’Amnesty International. Amnesty International demande au gouvernement de veiller à ce que les programmes de surveillance respectent les principes généraux du droit international relatifs à la légalité, la nécessité, la proportionnalité et la responsabilisation judiciaire. Pourtant, l’Organisation reconnaît que les Etats ont parfois besoin de recourir à une surveillance secrète ciblée, pour des raisons de sécurité nationale.
De l’autre côté de la barre, l’adjoint du ministre de l’Intérieur pour les relations publiques et les médias, le général Abdel-Fattah Osman, répond aux critiques. Selon lui, ce système n’a rien à voir avec la restriction des libertés. « Le logiciel que nous utiliserons est en usage dans certains pays européens et aux Etats-Unis. Notre but est de surveiller les sites qui cherchent à promouvoir et à diffuser des idées subversives, comme la fabrication d’explosifs, et d’encourager l’extrémisme, la violence et la mobilisation de manifestations illégales, et tout ce qui serait contraire aux valeurs de la société », indique-t-il. Osman ajoute que ce nouveau système va aider les services de sécurité à faire face aux hors-la-loi et à toute forme de corruption au sein de la société. Surveiller certains sites suspects enfreint-il la vie privée ? Pas nécessairement, répond la directrice du centre Ibn Khaldoune pour les études du développement, Dalia Ziyada. « Les Etats-Unis contrôlent tous les moyens de télécommunication, mais sans violer les droits des citoyens », dit-elle. 4 grandes entreprises internationales spécialisées dans la sécurité des réseaux sociaux présenteront prochainement leurs programmes de surveillance au ministère de l’Intérieur.
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