Mercredi, 24 avril 2024
Al-Ahram Hebdo > Egypte >

Islamistes  : le bras de fer se poursuit

Héba Nasreddine, Lundi, 24 mars 2014

Les accrochages entre Frères musulmans et services de sécurité ont repris cette semaine, sur fond de commémoration de victoire électorale des premiers il y a 3 ans. Bilan : 2 morts et plusieurs dizaines de blessés.

Frères musulmans
(Photo : Reuters)

A l’occasion du troisième anniver­saire du référendum du 19 mars 2011, les Frères musulmans ont annoncé une semaine de manifes­tations pour exiger le « retour de la légitimité constitutionnelle ». Ce référendum avait demandé aux Egyptiens de se prononcer pour la tenue d’élections législatives avant ou après la rédaction d’une nouvelle Constitution. La première option, soutenue par les Frères musulmans, l’avait emporté. Ainsi, tout au long de la semaine, des accrochages ont eu lieu entre des manifestants pro-Morsi et les forces anti-émeutes. Bilan: 2 morts, dont le fils d’un dirigeant de la confrérie âgé de 13 ans, et une quarantaine de blessés. Parallèlement, les actes de violence sporadiques ont resurgi un peu partout au Caire et dans d’autres villes. Une bombe artisanale a explosé dans les locaux administratifs de la faculté de droit de l’Uni­versité du Caire, sans faire de victimes. Une autre explosion a eu lieu dans un dépôt de bonbonnes de gaz à Al-Baraguil, dans la région de Kerdassa, incendiant 6 véhicules. Un véhi­cule de police a été incendié dans la région de Hadayeq Al-Qobba, au Caire. Enfin, le siège du Parquet administratif dans la ville du 6 Octobre a été incendié par des manifestants pro-Morsi.

Depuis la destitution du président islamiste Mohamad Morsi, le 3 juillet 2013, les Frères organisent régulièrement des manifestations dans les rues et dans les universités, réclamant le retour de Morsi au pouvoir. Ces manifesta­tions tournent souvent en affrontements vio­lents avec les forces de l’ordre. Parallèlement, des attaques sont régulièrement menées contre l’armée et la police. En décembre dernier, la confrérie a été déclarée « Organisation terro­riste qui porte atteinte à la sécurité de l’Etat et à l’ordre public ». Toutes les activités de la confrérie ont été interdites et leurs avoirs ont été gelés sur ordre de la justice. Les affronte­ments avec la police ont fait des dizaines de morts, tant dans les rangs de la confrérie que dans ceux des forces de l’ordre. Plusieurs cen­taines de militants pro-Morsi ont été arrêtés dont la quasi-totalité des cadres de la confrérie. Ils sont accusés de meurtre, d’incitation à la violence et de port d’armes illégal.

Au cours des récentes semaines, les Frères ont intensifié les manifestations et multiplié les actes de violence contre la police et l’armée. « Les manifestations de cette semaine coïnci­dent avec l’ouverture du procès de 1200 membres de la confrérie. Ces manifestations sont une carte de pression que les Frères utili­sent contre le pouvoir. N’oublions pas aussi que les élections présidentielles approchent », ana­lyse le politologue Achraf Al-Chérif. Quant au pouvoir, il laissera faire les Frères, car il sait que ces actes de violence contribuent à réduire leur popularité.

Fondée en 1928 par Hassan Al-Banna, la confrérie a toujours poursuivi l’objectif de créer un Etat islamique en accord avec les principes de la charia. Dans les années 1940, le groupe est impliqué dans l’assassinat du premier ministre de l’époque, Mahmoud Fahmi Al-Noqrachi, en 1948. L’ancien président Gamal Abdel-Nasser porte des coups durs à la confrérie entre 1954 et 1970, après la tentative d’assassinat manquée contre lui imputée au mouvement. Les membres de la confrérie sont arrêtés par milliers et le groupe est officiellement interdit en 1954, mais est resté particulièrement actif dans le domaine caritatif ainsi que dans les universités et au sein des syndicats. Dans les années 1970, Sadate se sert politiquement des Frères pour faire face à ses adversaires communistes. Et Moubarak s’en sert comme épouvantail face à l’Occident.

Une certaine popularité

Sous ce dernier, les Frères s’engagent dans l’activisme social et politique, et grâce aux oeuvres de charité, parviennent à se forger une certaine popularité dans la rue. Ils participent aux élections législatives à plusieurs reprises, notamment en 2005, où ils remportent 88 sièges sur 444 aux premières élections législa­tives tenues sous surveillance juridique. En janvier 2012, le Parti Liberté et justice rem­porte 235 sièges sur 498, soit 47% de l’en­semble des sièges. Et en juin 2012, Mohamad Morsi, issu de la confrérie, accède à la prési­dence de la République. Mais le 3 juillet, et suite à des manifestations massives contre eux, les Frères sont écartés de la scène par l’armée.

Aujourd’hui, l’avenir de la confrérie est au centre d’un vif débat. Deux scénarios sont possibles. Le premier est la poursuite de la violence et de la contre-violence entre les Frères et le pouvoir. « Ce scénario est peu plausible sur le long terme, car l’un des objec­tifs du nouveau pouvoir une fois en place sera de rétablir la stabilité », souligne Achraf Al-Chérif. Selon lui, le pouvoir aura besoin des Frères pour mettre fin à la violence, car l’Etat ne laissera pas les choses échapper à son contrôle. L’autre hypothèse est une réintégra­tion « limitée » des Frères dans la vie politique tout en prenant soin de les affaiblir, pour ne pas leur donner la chance de gagner aux élections. « C’est le scénario le plus probable à plus long terme. Les coups portés actuellement contre les membres de la confrérie sont de nature temporaire. Ils visent à affaiblir leur force et réduire leur popularité avant les élections législatives. Mais je pense qu’à plus long terme, on peut envisager une révision idéolo­gique de la part de la confrérie et une réconci­liation qui serait acceptable par la majorité des citoyens », conclut le politologue.

Une initiative condamnée d’avance

Plusieurs initiatives ont été proposées en vue d’une réconciliation entre les Frères et le pouvoir. On peut citer, entre autres, celles des juristes et penseurs islamistes, Mohamad Kamal Aboul-Magd et Sélim Al-Awa, du politologue Hassan Nafea, du leader du parti de l’Egypte forte et ancien candidat à la présidentielle, Abdel-Moneim Aboul-Foutouh, d’Al-Azhar, du parti Al-Nour et de la Gamaa islamiya. La plus récente initiative a été proposée cette semaine par Tareq Al-Malt, dirigeant au parti islamiste d’Al-Wassat et membre à la Coalition nationale de soutien à la légitimité. « Je propose la libération de Morsi en échange d’un arrêt immédiat des manifestations ». L’initiative est similaire à celle de Hassan Nafea, proposée en octobre dernier. L’idée est de cesser la violence contre la libération de Morsi et certains cadres de la confrérie, et l’autorisation aux Frères musulmans de participer aux élections parlementaires, souligne Al-Malt. Comme les précédentes initiatives, elles ne semblent pas fonctionner. « Nous rejetons toute réconciliation. Nous ne reconnaissons ni la légi­timité du nouveau régime, ni la feuille de route, ni la révolution du 30 juin », déclare Tareq Al-Morsi, porte-parole du Parti Liberté et justice, bras politique de la confrérie. De son côté, le régime affirme que « les Frères musulmans doivent d’abord mettre un terme aux vio­lences et accepter le fait que leurs membres soient jugés pour meurtre ou terrorisme, pour per­mettre le démarrage d’un véritable processus de réconciliation », insiste Mahmoud Fawzy, conseiller juridique du ministre de la Justice transitionnelle et de la Réconciliation.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique