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La torture à nouveau dénoncée

Héba Nasreddine, Lundi, 17 février 2014

Les témoignages de jeunes révolutionnaires, affirmant avoir été détenus arbitrairement et violentés, ouvrent de nouveau le dossier épineux de la torture.

Arrestations arbitraires, intimidations et tortures, des pratiques honnies rappelant les conditions précaires des libertés sous Moubarak. 3 ans après sa chute, des activistes et des organisations de droits de l’homme se plaignent toujours d’une répression sécuritaire implacable. 16 organisations de droits de l’homme ont haussé le ton, dénonçant des abus sécuritaires flagrants contre des jeunes révolutionnaires détenus.

« J’ai été tabassé et insulté après mon arrestation. C’est aussi le cas de tous les manifestants détenus que j’ai rencontrés en prison. On nous laisse presque nus pendant des heures, les mains liées derrière le dos et les yeux bandés. La scène quotidienne dans la prison c’est être battu et soumis à des charges électriques », raconte Khaled Al-Sayed, un militant de gauche, arrêté le 25 janvier dernier, lors de sa participation à une manifestation hostile aux militaires. Des ONG appellent à l’ouverture d’une enquête urgente sur ces faits qu’elles qualifient de revers « catastrophique » sur les acquis de la révolution et qui contredisent la nouvelle Constitution adoptée en janvier dernier. L’article 52 criminalise clairement la torture.

Exprimant sa vive inquiétude, le représentant de l’Union Européenne (UE) pour les droits de l’homme, Stavros Lambrinidis, a rencontré le ministre égyptien de l’Intérieur et le procureur général pour vérifier la véracité de ces faits rapportés par plusieurs ONG. Le procureur général a tenu à rassurer la délégation de l’UE qui était en visite au Caire, la semaine dernière, qu’il n’y a aucun détenu politique dans les prisons égyptiennes. Comme il dément toute pratique illégale. Niant catégoriquement ces accusations, le ministre de l’Intérieur a affirmé que les services de sécurité ont subi un changement de fond. Leur politique se base sur le respect des droits de l’homme.

Entre le démenti officiel et les propos des jeunes torturés, il fallait faire la lumière sur cette question des droits de l’homme. Une délégation du Conseil national des droits de l’homme a voulu visiter ces lieux de détention et les prisons où les détenus se disent torturés. Mais cette mission a échoué. Selon Georges Ishak, membre au Conseil, le ministère de l’Intérieur n’a pas autorisé la visite de tous les lieux de détention sous prétexte de « raisons sécuritaires ». « Au moment où le ministère nie avoir commis des actes de torture, pourquoi empêche-t-il les ONG de vérifier les conditions de détention des détenus ? », se demande Ishak avec scepticisme. Il rapporte que lors de la visite de certains postes de police et de la prison de Tora, la délégation a recensé plusieurs violations des droits de l’homme. « Le Conseil est en train d’élaborer un document sur ces abus et le présentera au président de la République et au procureur général », avoue Ishak.

Restrictions aux ONG

Parmi les remarques relevées, il cite la détention dans des conditions précaires et l’absence de contrôle judiciaire sur les prisons. Il dénonce aussi les restrictions imposées aux ONG pour visiter les lieux de détention. « Si ces organisations ont le rôle de vérifier les conditions de détention et leur conformité aux droits de l’homme, elles devraient le faire à l’improviste et non sur autorisation préalable. D’autant plus que la présence des policiers lors de la rencontre des prisonniers ne leur permet de discuter librement avec les détenus », souligne Ishak. Malek Adli, activiste et avocat de certains manifestants détenus, affirme avoir déposé plusieurs plaintes auprès du procureur général concernant la torture des détenus. Mais il pense que plusieurs raisons entravent la poursuite des procès. « Les victimes sont souvent terrorisées par les policiers afin de retirer leurs plaintes. La lenteur des procédures nécessaires pour l’examen de la victime par un médecin légiste fait que les blessures disparaissent parfois avant son examen », précise Adli. Il estime que l’allégement des peines, rarement appliqué d’ailleurs, favorise la poursuite de ces pratiques. En vertu du code pénal, toute personne accusée de torture risque une peine de prison allant de 3 à 5 ans.

Selon Mohamad Zarée, avocat, il n’y a eu aucune réforme au sein de la police, ce qui est un vrai problème : « La police doit respecter la loi et préserver la dignité humaine. Un but difficile à atteindre, car les régimes successifs depuis la chute de Moubarak insistent sur le fait d'instrumentaliser la police à leur profit ».

Pourtant, « la police a appris la leçon du 25 janvier 2011 et ne se permettra plus de redevenir un instrument de répression aux mains du régime », a annoncé le Club des policiers quelques jours avant le 30 juin dernier, appelant à tourner la page des mauvais rapports entre les citoyens et la police. Si ces actes de torture sont confirmés, ils risquent de discréditer cette police qui prétend avoir changé.

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