Dans le cadre d’une nouvelle politique de l’Egypte qui souhaite « rééquilibrer » ses relations internationales de manière à mieux servir ses intérêts, un rapprochement égypto-russe se profile à l’horizon. La décision américaine de geler partiellement les aides militaires et économiques accordées à l’Egypte ainsi que l’anti-américanisme ambiant dans la rue égyptienne, qui dénonce un alignement américain sur la confrérie des Frères musulmans, n’ont fait que donner un coup d’accélérateur à ce réchauffement avec la Russie.
C’est dans ce contexte que les ministres russes des Affaires étrangères et de la Défense arrivent au Caire aujourd’hui, mercredi, pour des discussions de 2 jours portant sur des questions diplomatiques et de coopération militaire. « Les 13 et 14 novembre, les ministres russes des Affaires étrangères et de la Défense vont rencontrer leurs collègues égyptiens au Caire dans un format 2+2.
C’est la première fois dans l’histoire de nos relations amicales avec l’Egypte que vont avoir lieu des discussions et une visite dans un tel format », a déclaré à des journalistes le porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Alexandre Loukachevitch. « En Russie, nous sommes attachés à notre relation de longue date de respect mutuel et d’amitié » avec l’Egypte, a-t-il ajouté.
L’annonce officielle de cette visite est survenue au moment où une délégation populaire égyptienne, regroupant d’anciens ministres et parlementaires, des représentants de partis politiques, d’Al-Azhar et de l’Eglise, se trouvait à Moscou pour exprimer son estime au soutien russe apporté à la révolution du 30 juin et afficher le souhait de rétablir les relations historiques et solides qui autrefois liaient les deux pays. Afin d’éviter les spéculations qui attribuent à la réorientation égyptienne un schéma désuet de « guerre froide », le ministre des Affaires étrangères, Nabil Fahmy, a estimé que les tensions entre Le Caire et Washington s’étaient apaisées à la faveur de la récente visite du secrétaire d’Etat américain, John Kerry. Mais si cette visite du 3 novembre « a laissé une bonne impression en Egypte », elle ne « signifie pas que tout est réglé et qu’il n’y aura pas de soubresaut dans les relations », a ajouté le chef de la diplomatie, indiquant que l’Egypte souhaitait développer son « indépendance ». « L’indépendance, c’est avoir le choix. L’objectif de notre politique étrangère est donc de dégager plus d’options pour l’Egypte. Je ne vais pas remplacer, mais plutôt ajouter », a-t-il encore expliqué. Se faisant l’écho des propos du chef de la diplomatie, le porte-parole officiel du ministère des Affaires étrangères, Badr Abdel-Ati, a souligné : « Il ne s’agit pas de substituer une partie par une autre, mais d’élargir le cercle des amis et des partenaires de l’Egypte ».
Pour la diplomate Howeida Essam, chargée des pays de l’est et du sud de l’Europe, les relations égypto-russes ne datent pas d’hier et remontent à des décennies. « Notre politique générale n’est pas de prendre le parti d’un camp au détriment de l’autre, mais d’établir des relations équilibrées avec l’extérieur. La Russie est consciente du poids et de l’influence de l’Egypte au Moyen-Orient, et du fait que les changements que connaît l’Egypte ont un effet domino dans toute la région », explique-t-elle.
« L’Egypte a toujours représenté pour les Etats-Unis un élément de stabilité dans la région, l’alliance entre les deux pays se poursuivra tant que nous n’aurons pas à adopter des positions incompatibles avec les fondamentaux de la politique égyptienne », ajoute-t-elle. L’Egypte avait des liens forts avec la Russie avant le traité de paix signé avec Israël en 1979, qui a entraîné le versement d’environ 1,3 milliard de dollars d’aide américaine chaque année dans les décennies suivantes. Saluant ces retrouvailles avec Moscou, le politologue nassérien, Abdallah Senawi, estime, de son côté, que les relations égypto-russes ont connu une tiédeur depuis la signature du traité de paix avec Israël en 1979 sous le parrainage des Etats-Unis.
« L’Egypte était entièrement acquise aux positions américaines et était dans un Etat de suivisme par rapport à Washington. Après le 30 juin, Le Caire a cherché à forger de nouvelles relations basées sur le respect mutuel et l’égalité, d’où cette initiative d’ouvrir une nouvelle page avec Moscou pour envoyer un message fort aux Etats-Unis et leurs alliés européens selon lequel l’Egypte ne compte pas céder face aux pressions et aux ingérences occidentales ». Pour le professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire, Walid Kazziha, le rapprochement égypto-russe est inévitable. « Le Caire a vu dans les positions américaines une menace pour sa sécurité nationale et une ingérence de moins en moins acceptable dans ses affaires internes. De même, la Russie joue un rôle important dans la politique régionale, à en juger par la crise syrienne », explique-t-il.
Kazziha veut éviter l’amalgame entre deux contextes, celui qui prévalait dans les années 1960 et celui qui s’impose aujourd’hui. « Le rapprochement entre Le Caire et Moscou n’est pas idéologique, mais stratégique. L’armement russe fait toujours partie de l’arsenal militaire égyptien et l’Egypte souhaite lui accorder une place plus importante », souligne-t-il. « Il y a aussi le commerce avec la Russie qui s’opère dans des conditions plus souples par rapport aux Etats-Unis et l’Europe, qui lient leur coopération économique à des conditions politiques pour réaliser leurs desseins. Ajoutant à cela, la position neutre de Moscou à l’égard d’Israël contrairement à l’Europe et aux Etats-Unis qui soutiennent les Israéliens sur toute la ligne », ajoute le professeur.
Il écarte tout impact négatif de ce rapprochement avec la Russie sur les relations égypto-américaines. Selon lui, les Américains souhaitent se retirer graduellement du Moyen-Orient au profit de l’Asie, notamment de pays comme l’Inde et la Chine. « L’importance de leur partenariat avec l’Egypte diminuera au profit d’autres acteurs qui souhaitent s’engager davantage au Moyen-Orient. La seule chose qui pourrait inquiéter les Etats-Unis c’est de voir les relations arabo ou égypto-russes prendre un tournant menaçant pour la sécurité d’Israël », conclut Kazziha .
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