Mercredi, 24 avril 2024
Al-Ahram Hebdo > Egypte >

Dr Béchir Abdel-Fattah : Erdogan pourrait lâcher totalement les Frères musulmans, mais pas avant l’élection présidentielle

May Al-Maghrabi , Mercredi, 24 août 2022

Dr Béchir Abdel-Fattah, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, revient sur les récentes déclarations du président turc, Recep Tayyip Erdogan, en faveur d’une réconciliation avec l’Egypte.

Dr Béchir Abdel-Fattah

Al-Ahram Hebdo : Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a déclaré jeudi que la Turquie poursuivait ses contacts avec l’Egypte et espèrait franchir un pas au « plus haut niveau » dans ses relations avec Le Caire. Que pensez-vous de ces déclarations ?

Béchir Abdel-Fattah : Ces déclarations marquent un changement positif au niveau des efforts déployés par la Turquie pour renouer ses relations avec l’Egypte. Au cours des deux dernières années, les démarches se sont limitées aux diplomates. Remarquons qu’Erdogan s’est adressé au « peuple égyptien frère ». Il semble que le président turc ne veuille pas effectuer un virage subit dans ses positions à l’égard de la Révolution de 2013 et le changement du régime en Egypte, et ceci, pour des raisons internes. Le chef de l’Etat turc courtise toujours les islamistes qui représentent un bloc électoral important sur lequel il compte pour l’élection présidentielle prévue en juin 2023.

Remarquons que la Turquie a normalisé ses relations avec Israël et les Emirats arabes unis et est en passe de le faire avec la Syrie. Le virage opéré par la Turquie en direction de l’Egypte s’inscrit dans le cadre d’une politique plus large de « zéro problème » menée par la Turquie au Moyen-Orient après une période de confrontations continues avec plusieurs pays.

— Et quels sont les motifs de cette politique ?

— C’est par pur pragmatisme politique que la Turquie cherche à améliorer ses relations au Moyen-Orient. Les confrontations continues avec les pays de la région ont isolé Ankara qui a aussi des relations tendues avec les Européens et les Américains. Les politiques turques ont eu des répercussions négatives sur le front interne turc, ainsi que sur l’économie du pays. C’est pourquoi qu’aujourd’hui, frappée par la crise mondiale comme beaucoup de pays, la Turquie s’empresse de normaliser ses relations avec les Emirats arabes unis et Israël. Des efforts sont également déployés avec l’Arabie saoudite et l’Egypte.

— A quoi ont abouti jusqu’à présent les deux rounds de dialogue qui ont eu lieu au Caire et à Ankara en 2021 ?

— Rien de concret. Ces rencontres ont apaisé l’atmosphère tendue qui a mené à une rupture diplomatique en 2013. Le président turc avait déclaré en décembre 2021 que son pays allait proposer une initiative de rapprochement avec Israël et l’Egypte, semblable à celle établie avec les Emirats arabes unis, mais rien n’a été annoncé jusqu’à présent. Il semble qu’Ankara cherche une normalisation gratuite de ses relations avec l’Egypte sans répondre aux demandes du Caire. En effet, les dossiers en suspens entre les deux pays n’ont connu aucune évolution significative, à l’exception de l’atténuation de la campagne médiatique contre l’Egypte et la suspension, par les autorités turques, de certains programmes télévisés diffusés à partir d’Istanbul par les Frères musulmans. La Turquie ne semble pas prête à extrader les Frères inculpés dans des procès sécuritaires. Pour Erdogan, lâcher les Frères musulmans n’est pas un scénario totalement exclu, mais pas avant l’élection présidentielle.

— Quels sont les autres dossiers en suspens entre Le Caire et Ankara ?

— Outre le soutien de la Turquie aux Frères musulmans, le dossier libyen reste un élément essentiel dans la reprise des relations, c’est un dossier que Le Caire considère comme relevant de sa sécurité nationale. Même si la Turquie respecte la ligne rouge Syrte- Al-Jufra dressée par l’Egypte, elle n’a pris aucune mesure sérieuse en ce qui concerne la présence sur le sol libyen de mercenaires et de combattants étrangers. La Turquie doit aussi changer ses positions sur certains dossiers régionaux qui sont aussi directement liés à la sécurité nationale égyptienne comme l’Iraq et la Syrie. Les convoitises turques en Méditerranée orientale et ses conflits avec la Grèce et Chypre sont aussi un autre dossier épineux à résoudre. Dans un geste de bonne volonté, la Turquie a appelé l’Egypte à discuter de la démarcation de leurs frontières maritimes en Méditerranée orientale. Mais pour Le Caire, toutes éventuelles négociations avec Ankara ne doivent pas être menées à l’écart de Chypre et de la Grèce avec qui l’Egypte a conclu des accords de démarcation des frontières et a formé une coalition stratégique. La position d’Ankara sur ce dossier est difficile à prévoir à la lumière de la crise énergétique engendrée par la guerre en Ukraine. Il faut savoir que la Turquie importe 95 % de ses besoins en gaz. Pour conclure, disons que le sort des relations entre Le Caire et Ankara dépend de la volonté de la Turquie de renoncer à ses politiques controversées et de favoriser une coopération au service des intérêts des deux pays.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique