
Vendredi de la détermination » était un témoignage d'un recul des capacités de mobilisation de la confrérie.Photo : Ap
Les partisans du président destitué Mohamad Morsi avaient appelé à des manifestations massives vendredi 30 août, sous le slogan «
Vendredi de la détermination ». Cependant, ils n’ont pas été en mesure de mobiliser la population et la journée de manifestation a été un fiasco. Au Caire et dans plusieurs gouvernorats, les manifestations sont venues témoigner d’un recul notable des capacités de mobilisation et d’organisation de la confrérie. Les groupes de manifestants étaient éparpillés et il n’y avait aucune coordination entre eux. Les manifestants ont scandé des slogans hostiles à l’armée et des échauffourées ont eu lieu entre les pro-Morsi et les citoyens dans plusieurs quartiers. Des heurts sporadiques ont fait 8 morts et 222 blessés, selon un bilan officiel. Au Caire, un agent de police et un citoyen ont été tués, devant le commissariat d’Al-Nozha à Héliopolis. A Minya, des armes automatiques et des RPG ont été saisis dans une mosquée. A 19 heures, début de l’entrée en vigueur du couvre-feu, la police a dispersé les manifestants avec des tirs de grenades lacrymogènes dans le quartier de Mohandessine au Caire et des dizaines des fauteurs de troubles ont été arrêtés.
Depuis l’intervention policière contre les deux sit-in de Rabea Al-Adawiya et d’Al-Nahda le 14 août, les capacités d’organisation des Frères ont nettement diminué en raison notamment de l’arrestation des dirigeants des premiers et deuxièmes rangs. En tout, 2 340 membres de la confrérie ont été arrêtés. La veille des manifestations, Mohamad Al-Beltagui, ancien parlementaire, et Khaled Al-Azhari, ministre du Travail du gouvernement Morsi, ont été capturés. Al-Beltagui était l’un des principaux organisateurs des rassemblements pro-Morsi. Optant pour la fermeté, le ministère de l’Intérieur avait autorisé les soldats et les policiers à ouvrir le feu sur tout manifestant qui s’en prend à des installations publiques. Le dispositif de sécurité était visible partout en Egypte. Les blindés de l’armée et de la police bloquaient les artères centrales des grandes villes et assiégeaient les grandes mosquées. Les Frères ont perdu une partie de leurs alliés, ce qui explique aussi la faiblesse de la mobilisation. Le parti salafiste Al-Nour a refusé par exemple de participer à ces manifestations. « La mobilisation et la contre-mobilisation dans les rues ne feront que verser plus de sang. C’est pourquoi nous refusons de participer à des manifestations qui ne serviront pas les intérêts du courant islamiste », a déclaré Chérif Taha, porte-parole du parti Al-Nour. La Gamaa islamiya, principal allié des Frères, n’a pas participé non plus aux manifestations de vendredi préférant se rallier au processus politique.
Ashraf Al-Chérif, spécialiste des mouvements islamistes, explique : « Les Frères s’adonnent à une véritable valse-hésitation. Ils veulent tantôt poursuivre les manifestations et tantôt se rallier au processus politique, d’où cette paralysie ». Et d’ajouter : « Le retour de Morsi au pouvoir n’est plus une revendication des Frères. S’ils poursuivent leurs manifestations c’est pour s’en servir comme carte de pression sur le pouvoir et obtenir le maximum des gains politiques lors des éventuelles négociations avec le régime », analyse Al-Chérif. Selon lui, les Frères savent que l’Etat ne veut pas et ne peut pas les éradiquer de l’équation politique.
Le premier ministre, Hazem Al-Beblawi, a exclu cette semaine toute dissolution de la confrérie des Frères musulmans. « Il est préférable de surveiller le groupe et de ne pas le dissoudre ou le pousser à la clandestinité », a déclaré Al-Beblawi. Quelques jours seulement auparavant, le premier ministre avait pourtant évoqué la dissolution de la confrérie. La confrérie avait été dissoute par Gamal Abdel-Nasser en 1954. Tout en étant officiellement hors-la-loi sous Moubarak, les Frères ont bénéficié d’une tolérance qui leur a permis de poursuivre leurs activités politiques et caritatives. En mars 2013, ils se sont constitués en ONG contournant une décision judiciaire rendant illégal leur mouvement. Al-Chérif indique que le pouvoir actuel ne veut pas éradiquer les Frères musulmans mais plutôt les soumettre à une condition de « survie sans pouvoir », ce qui permet ainsi de maintenir la forme démocratique. « Utiliser les courants islamistes pour détourner le peuple des véritables problèmes économiques et sociaux a été toujours une stratégie étatique gagnante. Comme à l’époque de Moubarak, le nouveau régime veut garder les Frères musulmans après les avoir diabolisés aux yeux du peuple », estime Al-Chérif, assurant qu’un accord avec les Frères ne devrait pas tarder.
« La non-arrestation de certains cadres de la confrérie comme Amr Darrag, ex-ministre de la Planification, vise à garder des canaux de communication ouverts avec le groupe ».
Une hypothèse que rejette catégoriquement Réfaat Al-Saïd, cadre du parti du Rassemblement, qui ne voit que la fin d’un groupe qui agonise. « Lâchés par le peuple pour la première fois au cours de leur parcours politique, les Frères seront certes éliminés de la scène politique. Personne n’a désormais le droit ni de décider au nom du peuple ni de contourner sa volonté. En ce qui concerne la dissolution de la confrérie, il s’agit d’une affaire que la justice va trancher et le premier ministre n’a pas droit d’intervenir dans cette décision », affirme Al-Saïd. Il rappelle que le 30 juin a été une révolution contre le pouvoir des Frères musulmans et non contre Morsi. « C’est la première fois que les Frères musulmans se trouvent en situation de crise avec le peuple et non avec le régime comme auparavant. La crise de 1954 était avec le parti Al-Wafd qui n’était pas le parti majoritaire, alors que dans les années 1960, ils étaient en conflit avec le régime de Nasser. Aujourd’hui, leur véritable combat c’est avec un peuple qui les a rejetés et qui n’acceptera plus de leur tendre la main. Les Frères, eux, n’accepteront pas de faire partie d’un processus qui les a chassés du pouvoir », conclut Al-Saïd.
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