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L’Egypte à feu et à sang

May Al-Maghrabi, Mardi, 20 août 2013

Depuis l'intervention policière du 14 août contre les deux sit-in de Rabea Al-Adawiya et d'Al-Nahda, l'Egypte est sujette à une vague de violence meurtrière. Une situation qui compromet le processus politique à venir.

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25 policiers sont tués par un groupe armé à Rafah.

Echange de tirs à balles réelles entre les pro-Morsi et les forces de l’ordre, cadavres jonchant les rues dévastées, incendies de bâtiments officiels, mosquées et églises ravagées, commissariats attaqués et des policiers massacrés, autant d’événements tragiques qui laissent l’Egypte profondément divisée. Les manifestants favorables à Morsi réclament depuis plus d’un mois le retour du président destitué et arrêté par l’armée début juillet. Les Frères musulmans dénoncent un coup d’Etat alors que leurs détracteurs accusent Morsi d’avoir gouverné au profit des seuls Frères musulmans.

L’état d’urgence est désormais en vigueur et le couvre-feu a été décrété dans un pays transformé en champ de bataille depuis l’intervention policière contre les deux sit-in des partisans du président Morsi destitué par l’armée le 3 juillet. En trois jours d’affrontements entre pro-Morsi et forces de l’ordre, plus de 800 personnes ont trouvé la mort à travers le pays.

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Les Frères musulmans dénoncent une campagne visant à les exterminer.

Après plusieurs tentatives de parvenir à une solution négociée, les forces de sécurité sont intervenues mercredi 14 août pour disperser les sit-inneurs par la force. Selon les forces de l’ordre, « des sommations ont été lancées aux sit-inneurs leur demandant de partir, mais ils ont refusé de quitter pacifiquement les lieux et ont tiré à balles réelles sur la police qui a répondu également à balles réelles ». Le gouvernement affirme que «actes de torture » avaient lieu sur la place Rabea Al-Adawiya avançant comme preuve un rapport d’Amnesty International faisant état de 20 cadavres retrouvés place Rabea Al-Adawiya, ainsi qu’une grande quantité d’armes. Le bilan des affrontements de cette journée sanglante a été de 578 morts dont 43 policiers.

Le lendemain, des églises ont été incendiées, et des dizaines de commissariats de police ont été pris d’assaut. Certains commissariats comme celui de Kerdassa au Caire auraient été « attaqués avec des armes automatiques et des RPG », selon les autorités. Bilan : 11 policiers tués. Vendredi 16 août, des affrontements entre forces de l’ordre et pro-Morsi ont fait 173 morts, selon un bilan officiel. Au Caire, des tirs d’armes automatiques ont retenti toute la journée dans différents quartiers, notamment autour de la place Ramsès où étaient massés des milliers de pro-Morsi. Des combats à l’arme automatique ont également eu lieu dans de nombreuses villes comme à Alexandrie (nord), Béni-Soueif et Fayoum au sud du Caire, et dans la ville touristique d’Hurghada sur la mer Rouge.

Vendredi soir, des centaines d’islamistes se sont réfugiés à la mosquée Al-Fath, à Ramsès. Les forces de sécurité ont évacué la mosquée samedi après des échanges de tirs, autour et à l’intérieur de la mosquée. Dimanche, trente-six détenus des Frères musulmans ont été tués dans une tentative d’évasion durant leur transfert d’un commissariat du Caire vers la prison d’Abou-Zaabal, au nord de la capitale. Selon le ministère de l’Intérieur, des hommes armés ont pris le convoi en embuscade, alors qu’il s’approchait de la prison.

Selon le politologue Wahid Abdel-Méguid, la violence perpétrée par les Frères après l’intervention policière n’est pas une surprise. « A plusieurs reprises au cours de leur histoire, les Frères ont eu recours à la violence. Récemment, ils se sont alliés aux groupes radicaux et djihadistes », explique Abdel-Méguid. Pour lui, le combat actuel n’est pas entre deux factions politiques, mais entre le peuple et l’Etat d’un côté et le terrorisme de l’autre.

Le porte-parole de la présidence, Moustapha Hégazi, a accusé samedi les Frères musulmans de s’adonner à des « actes de terreur » en tuant à la mitrailleuse des gens. « Tuer les soldats et incendier les églises dans les provinces, c’est du terrorisme », a dit Hégazi soulignant que l’Egypte comme tous les pays souverains a le droit d’utiliser la force dans le cadre de la loi pour lutter contre le terrorisme. Dimanche, le ministre de la Défense, le général Abdel-Fattah Al-Sissi, est sorti de son silence depuis l’intervention du 14 août affirmant lors d’un discours devant les dirigeants de l’armée et de la police qu’il « ne se plierait pas face aux fauteurs de troubles ». « Quiconque imagine que la violence fera plier l’Etat et les Egyptiens doit revoir sa position, nous ne resterons jamais silencieux face à la destruction du pays », a-t-il dit.

Les Frères musulmans rejettent, eux, les accusations de terrorisme et dénoncent une campagne visant à les exterminer. « Les appareils de sécurité ont asséné un coup dur aux Frères musulmans. La violence pratiquée contre nous a généré une colère incontrôlable. Et celle-ci s’est traduite à son tour par de la violence. Au point qu’aujourd’hui, la direction de la confrérie a perdu la capacité de coordonner. La situation est hors de notre contrôle », explique Guéhad Al-Haddad, porte-parole de la confrérie.

Au-delà du chaos qui sévit en Egypte, c’est l’avenir du processus de transition qui est au centre du débat. Peut-on envisager une transition qui englobe toutes les forces politiques ? Pour Achraf Al-Chérif, politologue, il est difficile d’envisager un dialogue entre les deux camps antagonistes. « Le processus politique ne peut pas avancer avec une telle tension. Les deux parties, le pouvoir et les islamistes, doivent faire des concessions », affirme-t-il. Il pense que les Frères musulmans en cédant à la violence perdront du terrain politiquement. « Les Frères doivent respecter la volonté des millions d’Egyptiens qui se sont révoltés contre Morsi. Les Frères non impliqués dans des actes de violence, qui font partie de la tendance modérée et qui ne sont pas représentés par la direction actuelle, doivent prendre le relais et essayer de rétablir la confiance des citoyens », ajoute Al-Chérif. Il pense que les libéraux ne doivent pas tomber dans la même faute que les Frères, à savoir exclure l’autre.

Avis non partagé par Réfaat Al-Saïd, ex-président du parti du Rassemblement, qui trouve qu’il n’y a plus aucune réconciliation possible avec les islamistes. « Autrefois, on s’opposait aux idéologies et aux politiques des islamistes, mais maintenant après qu'ils ont dévoilé leurs vrais visages, il est impossible que nous leur tendions les mains. L’esprit dominant chez les Frères et leurs alliés c’est de détruire le pays pour entraver tout progrès du processus politique. Ils n’accepteront pas un partenariat avec quiconque », affirme Al-Saïd.

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