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La presse perd une de ses icônes

May Al-Maghrabi, Lundi, 19 avril 2021

L’écrivain et journaliste Makram Mohamad Ahmad est décédé, jeudi 15 avril, à l’âge de 86 ans. Un symbole qui a marqué tant la vie politique que la presse égyptienne et arabe.

La presse perd une de ses icônes

C’est après une longue carrière que l’écrivain et journaliste Makram Mohamad Ahmad est décédé, jeudi 15 avril, à l’âge de 86 ans des suites d’une longue maladie. Le lendemain, un parterre de responsables, dont un délégué de la présidence, des journalistes de différentes tendances et des personnalités publiques ont participé à ses funérailles, faisant leurs adieux à un homme qui a consacré plus de 60 ans de sa vie à la presse. Le premier ministre, le président palestinien, l’institution d’Al-Azhar, l’Eglise copte orthodoxe, le président du parlement, le syndicat des Journalistes, le Conseil suprême de régularisation des médias et des partis politiques ont rendu hommage à Makram, ce journaliste patriotique qui a mis toujours en avant l’unité et la stabilité de l’Egypte.

Le défunt était jusqu’en 2019 président du Conseil suprême de la régulation des médias, créé en 2017. Membre du Conseil consultatif durant quatre mandats successifs, il avait aussi été élu président du syndicat des Journalistes pour cinq mandats, dont le dernier était de 2007 jusqu’à 2011. Il était aussi secrétaire général de l’Union des journalistes arabes. Né au gouvernorat de Ménoufiya en 1935, il obtient une licence en philosophie de l’Université du Caire en 1957 avant de se lancer dans le travail journalistique. Il débute sa carrière au quotidien Al-Akhbar avant d’être nommé directeur du bureau du journal Al-Ahram à Damas, et devient ensuite correspondant militaire au Yémen en 1967. A Al-Ahram, le défunt a occupé plusieurs postes, dont ceux de rédacteur en chef adjoint et de directeur de rédaction du journal. En 1980, Makram est nommé PDG de l’entreprise de presse de Dar Al-Hilal et rédacteur en chef du magazine Al-Mossawar.

Makram disait toujours que « les relations entre la presse et l’autorité doivent être basées sur le dialogue et non pas sur le dictat ». Quant aux relations avec les régimes successifs, Makram maintenait toujours de bons rapports.

60 ans de batailles

Conscient du danger de la montée de l’islam politique depuis les années 1980, Makram a tenu à étaler dans beaucoup de ses articles les amalgames que font les groupes islamistes radicaux pour leurrer la rue. Sa bataille contre l’extrémisme et le terrorisme l’a exposé à une tentative d’assassinat en 1987, par l’organisation Al-Nagoune Min Al-Nar (rescapés de l’enfer). Ce qui ne l’a pas empêché de poursuivre son combat pour dénuer les fausses prétentions de ces groupes instrumentalisant la religion pour des fins politiques et mettant l’identité et la sécurité de l’Egypte en danger, comme l’indique Ahmad Kamel Al-Béheiri, spécialiste des mouvements islamistes au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Il affirme qu’aux années 1990, Makram a contribué avec force au soutien des révisions idéologiques des dirigeants de la Gamaa islamiya aux prisons. Lorsque Makram était rédacteur en chef du magazine Al-Mossawar, il a fait d’importants entretiens avec Abboud Al-Zomor, chef de l’organisation Al-Djihad, qui purgeait une peine de prison à vie pour sa condamnation à l’assassinat du président défunt Sadate, et il avait fait aussi une série d’entretiens avec des dirigeants du mouvement islamiste à l’intérieur et à l’extérieur des prisons. « Makram a joué un rôle important dans les révisions idéologiques de la Gamaa. Son décryptage étayant les fausses idéologies sur lesquelles ces groupes reposent pour justifier leur violence ont obligé alors Ossama Rouchdi, un des dirigeants de la Gamaa, d’avouer que Makram est sorti victorieux de cette bataille idéologique », loue Al-Béheiri, ajoutant que son combat contre l’extrémisme s’est poursuivi jusqu’aux derniers jours de sa vie.

Sur un autre volet, le journaliste Hamdi Rezq, ancien rédacteur en chef d’Al-Mossawar, rappelle qu’en tant que journaliste engagé dans son métier, Makram a fait un scoop en interviewant le pape Chénouda III en 1981, alors que ce dernier était en résidence surveillée. Il souligne aussi que Makram a été le seul journaliste à contrevenir la décision du président Sadate interdisant aux journalistes de se rendre à Israël provoquant, alors, un tollé.

En tant que syndicaliste, Makram a mené de nombreuses batailles dans la défense de la liberté de la presse et des journalistes. Ce que le confirme le nassérien Yéhia Qallache, ancien président du syndicat des Journalistes. Quoiqu’il ne partage pas avec Makram son soutien au régime de Moubarak, surtout lors de la Révolution de 2011, il ne nie pas que Makram fut un journaliste « non traditionnel », qui défendait ses idées quelles que soient les conséquences, dont la série des entretiens qu’il a eus avec des responsables israéliens dont Menahem Begin, ancien premier ministre. « En tant que syndicaliste, Makram a pris aussi des positions fortes vis-à-vis de l’emprisonnement des journalistes Hamdine Sabbahi et Mohamad Al-Sayed Saïd à l’époque de Moubarak », témoigne Qallache, ajoutant que l’une des plus importantes qualités de Makram était son respect aux idées de ces opposants. Quant à Abdelmohsen Salama, PDG de la Fondation Al-Ahram, il déplore Makram, « le journaliste patriotique » d’une stature pas moins importante que celle de Mohamad Hassanein Heikal.

« J’ai choisi d’exercer avec professionnalisme ce métier difficile. Je ne regrette pas d’avoir consacré ma vie à ce métier et je trouve que ma mission est accomplie. Je conseille aujourd’hui aux journalistes de tenir à tout prix à respecter l’éthique et le professionnalisme. La presse est le métier de crédibilité », tel était le message du vétéran de la presse aux nouvelles générations dans des déclarations faites fin 2020.

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