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Mostafa Al-Kazimi : Nous allons travailler avec le plus grand sérieux pour que l’Iraq devienne une scène de rencontre et de paix

Mardi, 30 mars 2021

Le premier ministre iraqien, Mostafa Al-Kazimi, revient sur le projet de complémentarité économique entre l’Iraq, la Jordanie et l’Egypte et évoque les défis internes en Iraq et le contexte régional.

Mostafa Al-Kazimi

Par Alaa Sabet*

Al-Ahram : L’axe Egypte-Jordanie-Iraq prend de plus en plus d’importance. Quels en sont les détails ?

Mostafa Al-Kazimi : En fait, le sommet tripartite qui devait avoir lieu fin mars a été reporté à la der­nière minute à cause de l’accident ferroviaire qu’a connu l’Egypte. Cela dit, la coopération entre les trois pays reste très importante. Les dossiers politiques auront la priorité dans ce projet tripartite, mais aussi le pétrole, l’énergie, les transports, l’agriculture et le logement. Il y a une volonté de la part des directions des trois pays d’accomplir un partenariat dans un nombre de projets exécutés en Iraq. Des compagnies égyptiennes étaient effectivement arrivées à Bagdad et s’étaient dirigées vers certaines régions afin de choisir des sites pour l’exécution de ce partenariat.

— A travers ce partenariat, mais aussi d’autres politiques, l’Iraq tente de retrouver sa place au sein de la région arabe. Comment ?

— L’Iraq tente de retrouver son rôle pionnier dans la région arabe après avoir traversé des conjonctures difficiles au cours des dernières années. Les Iraqiens voyaient en le régime politique instauré en 2003 une lueur d’es­poir, mais le lourd héri­tage issu de l’invasion par Saddam Hussein d’un pays voisin paci­fique comme le Koweït a été la principale raison de l’instabilité du pays. Cette invasion a eu des conséquences désas­treuses sur la société ira­qienne. Des sanctions injustes ont été imposées au peuple iraqien menant à la des­truction totale de sa structure sociale ; il y a eu ensuite l’occupation améri­caine de l’Iraq en 2003 et l’instaura­tion d’un nouveau régime politique. L’occupation américaine a eu l’effet d’un énorme séisme qui a conduit à l’effondrement total de l’Etat iraqien. L’armée a subi une grande injustice et a assumé les conséquences d’actes dont elle n’est pas responsable. De même, l’effondrement de l’Etat a donné naissance à une situation poli­tique compliquée et à un conflit autour du pouvoir. Ce qui fut clair dans les dernières élections de 2018 qui ont abouti à des résultats qui n’ont nullement réconforté le citoyen iraqien. Ces résultats ont poussé le peuple à se révolter en octobre 2019, réclamant son droit à la dignité et recherchant une lueur d’espoir.

— Votre gouvernement est le fruit de ce mouvement populaire, quels sont les plus grands défis que vous rencontrez aujourd’hui ?

— Ceci est tout à fait vrai. Notre plus grand défi est que la mauvaise gestion des ressources s’est répercu­tée sur les conjonctures du pays. Pendant de longues années, le pays comptait uniquement sur le pétrole, négligeant entièrement des secteurs comme l’agriculture, le commerce, le tourisme. Le budget de l’Iraq comptait à 96 % sur le pétrole. Par conséquent, les offres d’emploi étaient extrêmement réduites. Nous sommes arrivés au pouvoir à un moment où certains pariaient sur l’échec de ce gouvernement, mais nous avons adopté des décisions audacieuses. Nous avons présenté une feuille de route comprenant une série de réformes écono­miques et administra­tives qui s’adressent prioritairement aux pauvres et qui s’intéres­sent au développement du secteur bancaire. Le gouvernement a réussi à assurer des réserves sup­plémentaires à la Banque Centrale. De plus, nous déployons d’énormes efforts pour réinstaurer la confiance du peuple en l’armée iraqienne qui a combattu Daech et le terrorisme, tout en pré­servant son identité nationale. Le gouvernement actuel a oeuvré depuis son arrivée au pouvoir à ce que l’Iraq soit pour tous les Iraqiens. Raison pour laquelle nous avons pris la déci­sion d’interdire catégoriquement toutes les classifications confession­nelles et ethniques dans les institu­tions de l’Etat, notamment les insti­tutions sécuritaires.

— Quelles sont les mesures adoptées par votre gouvernement pour retrouver le rôle régional et international de l’Iraq ?

— Nous avons proposé un projet de complémentarité et de coopéra­tion économique entre l’Iraq, l’Egypte et la Jordanie. Un sommet tripartite se tiendra très prochaine­ment pour annoncer les détails de ce projet. Nous avons oeuvré au cours des derniers mois à l’ouverture sur les pays frères du Golfe et avons ouvert nos portes aux investisse­ments avec eux. Nous allons tra­vailler avec le plus grand sérieux pour que l’Iraq devienne un havre de paix.

L’Europe a réussi lorsqu’elle a placé l’économie devant la politique. Nous sommes convaincus que la politique divise alors que l’économie rapproche les points de vue, car elle représente l’intérêt des peuples. Le projet de complémentarité est le noyau d’un grand projet que concré­tisera le sommet prévu entre l’Iraq, l’Egypte et la Jordanie. Les trois pays possèdent les éléments de la réussite qui varient entre l’emplace­ment géographique, les ressources naturelles et les ressources humaines. Je suis fort optimiste. L’Egypte a réussi à surmonter des conjonctures difficiles. La Jordanie possède des produits de haute qualité, alors que l’Iraq commence à sortir de l’im­passe des guerres consécutives et a besoin de profiter de l’expérience de ces deux pays. Nous allons certaine­ment réussir, car l’économie va nous unir et rapprocher nos points de vue politiques.

— Est-ce que ces ententes peu­vent inclure d’autres parties à l’avenir afin de se transformer en un grand projet élargi ?

— Pour le moment, nous cher­chons à fonder le projet, mais les portes du projet sont sans aucun doute ouvertes à tout le monde, il est évident qu’à l’avenir d’autres Etats seront invités à rejoindre cette coo­pération économique naissante.

Mostafa Al-Kazimi

— Vos efforts pour reconstruire l’Etat se heurtent à des forces indisciplinées qui donnent une fausse image de l’Iraq, à votre avis, comment est-il possible de s’ou­vrir sur l’extérieur en présence de ces forces à l’intérieur ?

— Il est évident que toute chose rencontre à ses débuts de grands obs­tacles. Nous déployons actuellement des efforts acharnés pour réinstaurer l’Etat, en nous basant sur la patience, la résolution et la réévaluation des appareils de sécurité afin de dominer ces groupes. Des mesures importantes ont été adoptées, ce qui a permis de réaliser un succès à ce niveau. Aujourd’hui, il n’est plus question qu’il y ait en Iraq des parties voulant être à l’exté­rieur du cadre de l’Etat. La loyauté doit être à l’Iraq seulement. Nous allons continuer à imposer l’autorité de l’Etat, tout en restant conscients des défis qui se posent à notre plan de réforme dont l’un des objectifs est de lutter contre la corruption, car l’Iraq souffre de ce phénomène grave.

— On a entendu dernièrement parler de la possibilité d’un retrait des forces américaines ; dans ce cas, est-ce que l’Iraq sera capable d’assumer la sécurité de son terri­toire ?

— L’Iraq a besoin de soutien inter­national mais n’a pas besoin de forces étrangères sur son territoire. Nous avons notre armée et nos appa­reils sécuritaires. Nous n’avons donc pas besoin de forces américaines, mais nous pourrions avoir besoin d’une coordination sécuritaire.

— Comment se déroulent les préparatifs des élections ira­qiennes anticipées ?

— J’avais l’espoir de pouvoir tenir ces élections le 6 juin 2021 comme annoncé l’an passé, mais pour cer­taines raisons, j’ai réclamé que les élections soient reportées de quelques mois. Elles se tiendront le 10 octobre prochain. Nous aidons la commis­sion électorale au niveau de la mise à jour des registres électoraux, et ce, malgré les défis imposés par la pan­démie de coronavirus, et en dépit de la difficulté d’atteindre les régions les plus reculées d’Iraq, afin d’en­courager les citoyens à participer aux élections. Ces élections seront d’une grande importance, il est donc évi­dent que nous avons besoin de la participation de tous les Iraqiens pour lancer des messages importants au monde entier.

— Vous avez dernièrement reçu une invitation pour visiter l’Arabie saoudite. Pensez-vous que cette invitation puisse être mal accueillie par certaines forces régionales ?

— Je crois que tout le monde est à la recherche en ce moment d’une chance de paix. Je pense que le dia­logue et l’accalmie sont dans l’inté­rêt de toutes les parties et qu’elles vont toutes s’installer prochainement à la table des négociations. A ce pro­pos, je suis très optimiste.

— Vous avez déclaré que vous vous êtes inspirés de l’expérience égyptienne. Comment espérez-vous en profiter ?

— La situation en Iraq ressemble fortement à celle qui prévalait en Egypte. L’Egypte a réus­si à lutter contre la cor­ruption et à diminuer la dépendance des citoyens vis-à-vis de l’Etat. Avec patience et sagesse, l’Egypte a également réalisé de grands progrès dans les dossiers de l’enseignement et de l’ur­banisation, malgré les circonstances économiques difficiles. L’Iraq peut donc profiter de l’expérience et des compétences égyptiennes dans nom­breux domaines.

— La ligne de transport par route entre l’Egypte, la Jordanie et l’Iraq contribuera-t-elle au nou­veau projet économique entre les trois pays ? Quand les travaux de cette ligne vont-ils commencer ?

— Cette ligne contribuera bien entendu au projet économique sur­tout que nous avons une compagnie de transport égypto-iraqienne et une autre jordano-iraqienne. Nous oeuvrons actuellement à unir ces deux compagnies sous le nom de la compagnie de transport égypto-jor­dano-iraqienne. Il y a également un projet visant à relier les réseaux rou­tiers des trois pays.

*Rédacteur en chef d'Al-Ahram

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