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Amani El-Taweel : Le conflit au Tigré se répercutra sur le dossier du barrage

Propos recueillis par Chaïmaa Abdel-Hamid, Mardi, 24 novembre 2020

Amani El-Taweel, cheffe du département des études africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, revient sur l’avenir des négociations autour du barrage de la Renaissance.

Amani El-Taweel

Al-ِAhram Hebdo : Comment expliquer l’échec de la réunion tripartite virtuelle, tenue jeudi à l’appel de l’UA, afin de relancer les négociations sur le barrage de la Renaissance ?

Amani El-Taweel : Cet échec ne me surprend pas. L’invitation par l’Union Africaine (UA) des ministres des Affaires étrangères et de l’Irrigation des trois pays (Egypte, Soudan, Ethiopie) n’avait pas de plan précis sur la manière de mener les négociations, comme l’avait exigé le Soudan, pour revenir à la table des négociations. Khartoum a donc refusé de participer à ces négociations. A cela s’ajoute le fait que cette invitation est intervenue au moment où le spectre d’une guerre civile se profile à l’horizon en Ethiopie. Tous ces facteurs ne favorisent pas une reprise des négociations. L’UA en est consciente, mais a quand même lancé cette invitation pour sauver la face devant l’Union européenne et les Nations-Unies, qui l’ont accusée de ne pas accomplir son rôle.

— Comment expliquez-vous le refus du Soudan de participer à la réunion ?

— L’absence du Soudan de cette réunion ne signifie pas qu’il a décidé de boycotter les négociations. La position du Soudan est plutôt liée à la conjoncture politique. Khartoum, plus faible militairement, s’est retrouvé en position délicate face au conflit en Ethiopie, ce qui l’a poussé à fermer ses frontières est de crainte que des combattants en provenance d’Ethiopie ne s’infiltrent sur son territoire. C’est dans ce contexte troublé qu’il cherche à éviter les tensions avec l’Ethiopie de peur qu’elles ne se répercutent sur la situation interne au Soudan. Il semblerait que le Soudan soit attaché à sa revendication de trouver un plan sur la manière de conduire les négociations.

— Pourquoi, selon vous, l’Egypte tient malgré tout à poursuivre les négociations ?

— L’Egypte s’est engagée depuis le début du litige sur le barrage à suivre la voie des négociations et de la diplomatie pour parvenir à un accord équitable et consensuel garantissant les droits hydriques des trois pays. On peut dire que l’Egypte suit tous les chemins pour atteindre ce but. Elle a réussi, au cours des derniers mois, à intensifier la pression diplomatique pour s’assurer un soutien international. C’est dans ce contexte que le président Sissi a récemment tenu plusieurs rencontres importantes avec des dirigeants africains et européens évoquant l’importance de parvenir à un consensus sur la question du barrage, pour assurer la paix et la sécurité dans la région. Aussi, l’Egypte organise continuellement, via ses ambassades à l’étranger, des séminaires sur sa situation hydrique et les dangers que pourrait engendrer le recul des eaux du Nil. Mais l’Egypte doit aussi travailler sur les centres de think tank et les centres de recherche, notamment en Europe et aux Etats-Unis. Ces centres sont d’une grande importance et jouent un rôle important dans la prise de décision, surtout aux Etats-Unis.

— Pourquoi l’Egypte a-t-elle rejeté la méthode proposée par le Soudan pour poursuivre les négociations ?

— Parce qu’une telle proposition, en accordant un rôle plus important aux experts de l’UA au détriment de ceux de l’UE et des Etats-Unis, remettait en question l’impartialité et l’objectivité des experts qui devaient rédiger des rapports sur les règles de fonctionnement et de remplissage du barrage. De telles propositions ne feront donc que retarder les négociations et créer des controverses. Il faut souligner que c’est la volonté politique qui fait défaut dans ce dossier litigieux, notamment de la part de l’Ethiopie, alors que le Soudan doit avoir une position plus claire.

— Pensez-vous que le conflit au Tigré éthiopien ait des répercussions sur les négociations ?

— Sans aucun doute. Ce conflit peut mener à un gel des négociations, car le gouvernement d’Abiy Ahmed peut perdre son pouvoir de prise de décision si une guerre civile éclate. Surtout que le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), qui défie le premier ministre éthiopien, était le parti politique dominant en Ethiopie pendant des décennies. Mais ces troubles ne sont pas dans l’intérêt de l’Egypte. L’Ethiopie, qui a accepté cette semaine plusieurs médiations africaines pour empêcher le déclenchement d’une guerre civile, peut passer des mois à négocier pour régler ses problèmes internes, négliger la question du barrage et finir par surprendre l’Egypte et le Soudan avec son second remplissage en juillet sans accord préalable. Mais il faut quand même travailler pour reprendre les négociations dans les plus brefs délais.

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