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Barrage : Des progrès qui restent à confirmer

Chaïmaa Abdel-Hamid, Mercredi, 01 juillet 2020

Au terme d’un mini-sommet de l'Union Africaine, l'Egypte, l'Ethiopie et le Soudan ont convenu de finaliser, d’ici deux semaines, un accord sur le remplissage et le fonctionnement du barrage de la Renaissance. Une évolution importante si les atermoiements éthiopiens ne reprennent pas.

Barrage : Des progrès qui restent à confirmer
Le président Sissi lors du mini-sommet en vidéoconférence avec les chefs d'Etat membres du bureau de la présidence de l'UA.

Peut-être une lueur d’es­poir dans le dossier du bar­rage éthiopien de la Renaissance. A l’issue d’un mini-sommet de l’Union Africaine (UA), organisé le 26 juin par vidéoconférence, sous la prési­dence du président sud-africain, Cyril Ramaphosa, et en présence du prési­dent Abdel-Fattah Al-Sissi, du pre­mier ministre soudanais, Abdullah Hamdok, et du premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, les trois pays ont convenu de former un comité technique et juridique pour finaliser un accord contraignant sur les règles de remplissage et de fonctionnement du barrage. Celui-ci est au coeur d’un vaste litige entre Addis-Abeba, Le Caire et Khartoum, les pays en aval craignant d’être affectés par sa construction. Les trois pays se sont en outre engagés à ne prendre aucune action unilatérale avant de parvenir à un accord, y compris le remplissage du barrage. L’Ethiopie avait récem­ment menacé de procéder au remplis­sage du barrage sans accord préalable avec les pays en aval. Fait qui a sus­cité les protestations du Caire, qui a soumis une plainte devant le Conseil de sécurité de l’Onu.

Dans son discours devant le mini-sommet, le président Sissi a tenu à rappeler que l’Egypte dépend du Nil pour ses besoins en eau, soulignant que le barrage éthiopien « préoccupe les Egyptiens et leur cause beaucoup de soucis ». Le président a ajouté que « l’Egypte s’est engagée de bonne foi dans les négociations et a cherché pendant de longues années à trouver un accord juste et équilibré permet­tant à l’Ethiopie de réaliser le déve­loppement économique sans nuire aux intérêts des pays en aval. Mais pour atteindre cet objectif, chacune des parties doit faire preuve de bonne volonté ». Le chef d’Etat a en outre affirmé que « la réussite des négocia­tions nécessite l’engagement de toutes les parties à ne prendre aucune mesure unilatérale avant de parvenir à un accord ». Le porte-parole de la présidence de la République, Bassam Radi, a qualifié le mini-sommet de « positif », tandis que le premier ministre éthiopien a parlé sur son compte Twitter d’une réunion « fruc­tueuse ».

Les négociations sur le barrage de la Renaissance étaient au point mort en raison de la position intransigeante de l’Ethiopie. Dans un communiqué publié samedi, l’UA affirme que « 90 % des différends sur le barrage avaient déjà été réglés », appelant les pays concernés à s’abstenir de toute déclaration ou action qui pourrait compliquer ou mettre à mal les efforts destinés à trouver une solution accep­table aux questions encore en suspens.

Offensive diplomatique

« Ce mini-sommet a permis aux trois pays de revenir à la table des négociations », explique Abbass Chéraqi, expert hydrique. Il pense cependant que Le Caire doit faire preuve de prudence. « Concrètement, l’UA ne dispose d’aucune prérogative réelle lui permettant de prendre des décisions contraignantes en cas de non-respect par l’Ethiopie des déci­sions du sommet. D’ailleurs, la tenue de ces négociations et des précé­dentes n’a jamais empêché l’Ethiopie de lancer des menaces de remplir le réservoir du barrage sans concerta­tion avec les pays en aval », affirme Chéraqi.

Avis partagé par l’ancien ministre de l’Irrigation, Mohamad Nasr Allam. « Si l’Ethiopie a accepté de revenir à la table des négociations, ce n’est ni parce qu’elle a changé de position, ni parce qu’elle a renoncé à ses convoi­tises, mais parce qu’elle a été embar­rassée devant la communauté inter­nationale après l’offensive diploma­tique égyptienne menée la semaine dernière pour obtenir le soutien arabe, africain et international », affirme Allam. Et d’ajouter qu’il ne faut pas faire confiance trop vite à l’Ethiopie.

L’intervention de l’UA dans le dos­sier du barrage fait suite à l’intense offensive diplomatique du Caire des­tinée à expliquer la situation. A la demande de l’Egypte, la Ligue arabe s’est réunie le 23 juin par vidéoconfé­rence en session extraordinaire au niveau ministériel. L’organisation panarabe a adopté une résolution exhortant les trois pays à reprendre les négociations, soulignant que « la sécurité hydrologique de l’Egypte et du Soudan fait partie de la sécurité nationale arabe ». Le président Sissi s’était également entretenu par télé­phone avec son homologue sud-afri­cain, Cyril Ramaphosa, pour échan­ger les points de vue sur l’état actuel des négociations. Un message a éga­lement été adressé au président de la République du Niger, Issoufou Mahamadou, dont le pays est membre du Conseil de sécurité de l’Onu, par la voie de l’ambassadeur Nabil Mekki, pour explorer la position du Niger sur le partage des eaux du Nil. « Ce dyna­mise diplomatique a poussé l’UA à intervenir dans le dossier du barrage, craignant un conflit sur le continent s’il n’y a pas d’accord », estime Ayman Chabana, professeur à l’Insti­tut des études africaines à l’Université du Caire.

Réclamer des garanties

Dans une tentative de discréditer les efforts égyptiens, l’Ethiopie a essayé d’obtenir le soutien de la Somalie et de Djibouti, qui ont refusé de signer la résolution de la Ligue arabe. L’Ethiopie a également demandé à ses ambassades à l’étranger de soutenir son « droit au développement ». Chabana souligne l’importance de l’implication du Conseil de sécurité de l’Onu dans l’affaire du barrage. « Je pense que le Conseil adoptera en guise de première étape non pas une résolution, mais une recommandation de respecter ce qui a été convenu sous l’égide de l’UA pour garantir qu’au­cune action unilatérale ne soit prise. Le plus important, c’est de ne pas permettre à l’Ethiopie de profiter de l’intervention de l’UA pour écarter le Conseil de sécurité », affirme-t-il.

Le professeur de droit international Mossaad Abdel-Ati explique pour sa part que si 90 % des points de désac­cord ont été réglés, les 10 % restants sont aussi importants pour la conclu­sion d’un accord. « Si un accord est conclu, il doit être contraignant pour toutes les parties. Et il faudra s’assu­rer qu’il est rédigé dans les termes les plus précis. Il doit définir les règles de remplissage et de fonctionnement du barrage de manière claire et sans nuire aux intérêts hydriques de l’Egypte et du Soudan, surtout dans les périodes de sécheresse. Plus important encore, le comité technique formé par les trois pays doit s’assurer que l’accord comprend une clause sur le règlement des conflits. Cette clause est la plus importante, car elle garan­tira le respect par les trois pays des termes de l’accord, et définira les mécanismes à suivre en cas de non-respect ou de violation de celui-ci ainsi que les moyens d’indemnisation en cas de préjudices causés par le barrage », explique Abdel-Ati. Selon lui, l’Ethiopie tente d’éviter un accord en bonne et due forme et veut se suf­fire de la déclaration de principe de 2015, qui prévoit une médiation en cas de litige. Il sera difficile de trouver une issue à ce litige sans une volonté politique de parvenir à un accord équilibré et équitable garantissant les intérêts des trois pays, comme l’a affirmé le président Sissi.

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