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Le sort mystérieux de Morsi

Najet Belhatem, Lundi, 22 juillet 2013

Le débat s’est enflammé cette semaine autour du sort et du lieu de détention de l’ex-président Mohamad Morsi. La rumeur prend le dessus sur l’information.

Un cas d’école sur le flou qui entoure les événements depuis des semaines, au point qu’il est souvent très difficile de connaître le faux du vrai : En l’espace d’une heure, les journaux ont rapporté dimanche soir en série la nouvelle rapportée par la une du quotidien Al-Ahram du lundi matin : « Le procureur général a promulgué la décision de mettre l’ex-président Mohamad Morsi en garde à vue de 15 jours pour espionnage et incitation au trouble ». La une, qui a fait le tour des réseaux sociaux, contenait aussi des titres tels que « Les indices montrent l’implication de membres salafistes. A l’avenir, il n’y aura plus de partis religieux ». La nouvelle n’a pas eu le temps de susciter le débat qu’une autre nouvelle est tombée selon laquelle le procureur général a nié en bloc ces affirmations : « Il a ajouté que le Parquet général n’a pas encore ouvert de procédure concernant les plaintes déposées contre le président Morsi. Le procureur général a affirmé que le Parquet général ne connaissait pas encore le lieu de résidence de l’ex-président ».

Quelques minutes plus tard, le rédacteur en chef du très officiel Al-Ahram, Abdel-Nasser Salama, a annoncé à une chaîne de télévision privée que le journal « a des informations selon lesquelles l’ex-président est détenu avec sa femme et deux de ses enfants dans un lieu appartenant aux forces armées ». Et il a ajouté : « Nous ne connaissons pas les raisons qui ont poussé le Parquet général à nier la décision de mettre Morsi en garde à vue, mais quand Al-Ahram dit que cela a eu lieu, c’est que cela a eu lieu ». Qu’est-ce qui aurait poussé un journal très officiel, réputé pour sa pondération, surtout à l’égard du pouvoir, à se lancer dans l’aventure de lancer des informations aussi dangereuses ? Mystère ! Son rédacteur en chef a été convoqué le lendemain devant le procureur général. En fin de soirée, la page officielle du porte-parole des forces armées a publié un autre démenti : « Dans le cadre de ce qui a été publié par le journal Al-Ahram dans sa première livraison du 22 juillet 2013, l’institution militaire affirme que ces informations sont fausses dans le fond et dans la forme, et que leur publication à ce moment a pour objectif d’enflammer l’opinion publique et de réaliser des buts douteux au service de certains courants politiques … ».

Info et contre-info à la seconde près

La ONA News Agency a, quant à elle, rapporté des propos de Essam Al-Eriane, vice-président du Parti Liberté et justice (Frères musulmans) qui y voit, pour sa part, une machination « du régime militaire qui ne sait même pas fabriquer d’informations de toutes pièces et ne sait pas comment mentir. Il s’incrimine lui-même en avouant avoir espionné le président élu en publiant cela dans le plus grand journal officiel ». Bref, de quoi perdre la tête. Juste après la publication du démenti des forces armées, Essam Al-Eriane a publié sur sa page Facebook, selon le site du journal Al-Dostour : « Al-Eriane a écrit : le tiraillement entre les clans en conflit dans le camp des putschistes a commencé. Il a également demandé au rédacteur en chef du journal Al-Ahram de dévoiler à l’opinion publique qui l’a poussé dans ce scandale, en ajoutant que le coup d’Etat militaire allait prendre fin dans quelques jours ».

Presqu’au même moment, le très respectable quotidien Al-Shorouk publie sur son site une information reprise du site officiel du mouvement Tamarrod (rébellion) : « Le site a indiqué que, selon des sources avisées, le président déchu Mohamad Morsi habiterait une villa dans un site militaire hautement sécurisé. Le mouvement a expliqué que Morsi reçoit sa nourriture comme lorsqu’il était à la présidence et toutes ses demandes sont exaucées. Il a même demandé des habits supplémentaires qu’on lui a achetés. Mais il n’a aucun contact avec l’extérieur et n’a pas droit à un téléphone portable ».

Or, une demi-heure après, le même journal publie sur son site une autre information contraire : «coordinateur du mouvement Tamarrod, Mahmoud Badr, a déclaré dans un appel téléphonique à l’émission Manchette sur la chaîne ONTV que le mouvement n’avait publié aucune information sur le lieu de détention de l’ex-président Morsi et que la rédaction du site du mouvement était plus ou moins indépendante du mouvement lui-même ». Nous avons donc, selon les dires du coordinateur, un site qui est l’organe de communication du mouvement mais qui, en même temps, ne reflète pas ce même mouvement !!! Cherchez l’erreur !

Révélations ici et là

Or, cet emballement autour de l’ex-président Morsi et autour de son sort n’a pas commencé de rien. Au courant de la semaine, plusieurs journaux ont publié des informations plus ou moins connues jusque-là comme des rumeurs ou comme des informations anodines. Le quotidien Al-Sabah a publié en début de semaine qu’il a obtenu une copie de la plainte présentée par l’avocat Amir Salem, également connu pour être un activiste des droits de l’homme contre l’ex-président et 14 membres de la confrérie des Frères musulmans. « La plainte indique que les accusés ont eu des contacts avec des parties étrangères leur demandant d’intervenir dans les affaires internes de l’Egypte, à savoir le Qatar et le Hamas. La plainte poursuit que les accusés ont, avec l’aide de parties étrangères, attaqué des prisons égyptiennes ». La plainte en question fait référence à l’affaire appelée Wadi Al-Natroune, actuellement devant le juge d’instruction.

Quelques jours auparavant, le très introduit rédacteur en chef de l’hebdomadaire Al-Fagr publie un long article basé sur une conversation qu’il aurait eu avec le chef des renseignements généraux, Raafat Chéhata, devenu après le 3 juillet conseiller pour les affaires de sécurité du président par intérim. «bureau de guidance de la confrérie voulait se débarrasser de Morsi même en usant de l’assassinat. Cette vérité aurait été une chimère si Raafat Chéhata ne me l’a pas dite lui-même ». Le rédacteur en chef poursuit que ce sont les renseignements généraux qui ont fait tomber Morsi, car ils se sont rendus compte « des buts inavoués de la confrérie qui voulait l’infiltrer à tout prix La confrérie a envoyé secrètement à l’étranger, au Qatar et en Turquie des personnes pour les entraîner à infiltrer les renseignements généraux … Les douanes n’ont-elles pas découvert d’appareils d’espionnage mystérieux Made in Israël et en provenance de Chypre ? Et avant de les confisquer, la présidence est intervenue pour les dédouaner et les remettre à un membre de la confrérie …».

Selon l’auteur, cela a augmenté la suspicion chez les renseignements généraux d’autant plus que la confrérie était elle-même infiltrée. « Les renseignements généraux avaient les moyens technologiques et humains qui leur permettaient d’écouter même les insultes de la confrérie contre eux. Ils ont réussi à infiltrer le bureau de guidance de la confrérie et découvrir ce qui se tramait contre eux », dit-il. L’auteur avance que la confrérie et Morsi « agissaient avec des parties étrangères contre les intérêts égyptiens ». Ce qui rejoint le titre d’Al-Ahram, qui accuse Morsi de recourir à l’étranger contre l’Egypte. La boucle est bouclée, mais le mystère autour du sort de Morsi et de cette une reste entier .

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