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Barrage de la Renaissance : Difficiles négociations à Washington

Chaïmaa Abdel-Hamid, Mardi, 04 février 2020

L'Egypte, l'Ethiopie et le Soudan sont parvenus à Washington à s'entendre de manière préliminaire sur les règles de remplissage et de fonctionnement du barrage de la Renaissance. Un accord final devrait être signé le 12 février.

Barrage de la Renaissance

Après quatre jours de négociations ardues du 28 au 31 janvier à Washington, les ministres des Affaires étrangères et de l’Irrigation de l’Egypte, de l’Ethiopie et du Soudan sont parvenus à s’entendre de manière préliminaire sur certaines règles relatives au remplissage du barrage éthiopien de la Renaissance, et ce, en présence de représentants du Trésor américain et de la Banque mondiale. Il s’agit notamment de la durée de remplissage du barrage, et des mécanismes visant à atténuer les effets négatifs pour l’Egypte du remplissage durant les périodes de sécheresse.

Cet accord, encore au stade préliminaire, a été ratifié par l’Egypte, alors que l’Ethiopie et le Soudan ne l’ont pas encore signé. Les ministres ont demandé aux équipes techniques et juridiques de préparer l’accord définitif, pour une signature d’ici fin février. Ils doivent d’ici là encore mettre au point un mécanisme pour gérer l’exploitation du barrage « dans des conditions hydrologiques normales », ainsi qu’un « mécanisme de coordination » et un dispositif « de règlement des différends ».

Vendredi, le président des Etats-Unis, Donald Trump, a fait le point sur les négociations avec le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, lors d’une conversation téléphonique. Trump a exprimé son optimisme sur la conclusion proche d’un accord. De son côté, le ministre des Affaires étrangères, Sameh Choukri, a déclaré que les négociations avaient permis d’esquisser les grandes lignes d’un accord définitif sur les principaux points controversés. « Les règles de remplissage et de fonctionnement du barrage éthiopien sont essentielles pour ne pas nuire aux droits hydriques de l’Egypte et doivent être le fondement de tout accord final », a insisté Choukri.

Des progrès … mais

Recalée au 12 février, la nouvelle réunion mettra-t-elle fin à neuf ans de négociations sur le barrage éthiopien ? Mohamed Nasr Eddine Allam, ancien ministre de l’Irrigation, est optimiste. Pour lui, ce report de l’accord final ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de progrès dans les négociations. « Les négociations, longtemps au point mort, sont parvenues à un consensus relatif sur les points les plus controversés. Par ailleurs, la signature par l’Egypte de cet accord préliminaire montre que la proposition américaine sur ce dossier va de pair avec la vision égyptienne qui vise à préserver les intérêts hydriques du pays comme ceux de tous les pays en aval », estime Allam. Si les deux autres pays n’ont toujours pas signé cet accord, cela ne doit pas être interprété, pour le moment, comme un désengagement. « Les Ethiopiens ont peut-être quelques réserves avant la conclusion finale de l’accord », estime l’ancien ministre. Pour rappel, lors de la réunion du 15 janvier à Washington, les négociateurs s’étaient accordés sur le remplissage du barrage par étapes en tenant compte de la saison des pluies (et d’une éventuelle sécheresse). La première phase de ce remplissage permettra la production d’électricité dès la fin 2020, comme le demande l’Ethiopie, et ce, sans nuire aux intérêts des pays en aval. « Remplir le barrage par étapes et respecter les saisons de sécheresse, c’est déjà un gain. Maintenant, il faut définir les quantités d’eaux qui seront stockées dans le barrage éthiopien, une question que devraient déterminer les équipes techniques des trois pays », argumente-t-il.

L’expert hydrique, Abbas Chéraki, est plus sceptique : « Les trois pays sont d’accord sur le principe du remplissage par étapes, mais il semblerait que jusqu’à présent, les détails sur les quantités d’eaux n’aient pas été discutés. Et c’est une question qui risque de compliquer les négociations », redoute Chéraki, rappelant que les négociations tenues les 8 et 9 janvier dernier à Addis-Abeba ont connu un blocage alarmant à cause de la durée du remplissage et du stockage de l’eau. L’Egypte avait réclamé un quota annuel de 40 milliards de m3 dans les eaux du Nil bleu, mais l’Ethiopie avait insisté sur 35 milliards pour les deux pays en aval, à savoir l’Egypte et le Soudan. « L’Egypte est ouverte à tout compromis qui ne nuit pas à ses intérêts. L’Ethiopie doit également faire part de flexibilité si elle est sérieuse et si elle souhaite réellement parvenir à un accord sur ce dossier », souligne l’expert. Concernant, les garanties de l’accord, Chéraki explique que l’accord final déterminera les mécanismes de règlement des litiges. Selon lui, l’Egypte doit insister sur cette question car « la déclaration de principe signée en 2015 entre l’Egypte, l’Ethiopie et le Soudan ne prévoit pas de clauses contraignantes en cas de litiges ». Chéraki ajoute qu’une fois signé par les trois pays, l’accord final devra être approuvé par leur parlement. Une étape essentielle pour le mettre en oeuvre.

Le temps est à la politique

Ayman Abdel-Wahab, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, rappelle que dans leur communiqué de vendredi, les trois pays « reconnaissent les bénéfices régionaux importants qui découleront de cet accord et de l’exploitation du barrage ». Selon lui, la politique jouera un grand rôle au cours de la prochaine phase des négociations. « Le président Trump s’apprête à disputer la prochaine présidentielle, et il mise sur la réussite de son Administration à régler ce dossier qui traîne depuis 9 ans. L’Ethiopie, qui avait déclaré en décembre dernier avoir un déficit financier qui entrave l’achèvement des travaux de construction du barrage, pourra bénéficier d’un financement de la Banque mondiale et des Etats-Unis en cas de conclusion d’un accord consensuel. Alors que pour le Soudan, la réussite des négociations appuiera son appel à enlever le pays de la liste des pays soutenant le terrorisme », explique Abdel-Wahab. Il faut cependant se préparer au pire en cas de l’échec des négociations. « Dans ce cas, l’Egypte aura pleinement le droit de déposer une plainte officielle auprès du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine. Les Etats-Unis et la Banque mondiale en tant que témoins soutiendront la cause égyptienne », estime Abdel-Wahab. Une situation que l’Egypte tente d’éviter.

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