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Egypte: Les trois impératifs de la sécurité nationale

Aliaa Al-Korachi, Lundi, 06 janvier 2020

L'année 2020 démarre pour l'Egypte avec un triple défi: la sécurisation des frontières (face au spectre d'une intervention turque en Libye), l'eau et le gaz. Le Caire est sur tous les fronts pour y faire face.

Egypte: Les trois impératifs de la sécurité nationale

« Le Conseil de la sécurité nationale a pris un certain nombre de mesures contre les menaces à la sécurité nationale de l’Egypte », affirme un communiqué publié le 2 janvier à l’issue d’une réunion urgente du Conseil de la sécurité nationale. Ce conseil, dirigé par le président Abdel-Fattah Al-Sissi, et regroupant notamment les ministres de la Défense, de l’Intérieur, des Affaires étrangères, des Finances et le chef des services de renseignements, est la plus haute autorité de l’Etat concernée par les décisions stratégiques. Selon l’article 205 de la Constitution, ce conseil est convoqué lorsque la sécurité nationale est menacée pour « identifier les sources du danger et y faire face ».

En fait, cette réunion a eu lieu après l’autorisation par le parlement turc de l’envoi de soldats et de moyens aériens et terrestres en Libye, en soutien au Gouvernement d’union nationale de Fayez Al-Sarraj (GNA) face aux forces du maréchal Haftar. Selon le communiqué, le conseil s’est penché aussi sur un certain nombre de questions vitales liées à l’ordre régional et international dont les négociations entre l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie sur le barrage éthiopien de la Renaissance. L’Egypte a affirmé son attachement à trouver un accord sur le remplissage et le fonctionnement du barrage qui ouvre des horizons de coopération et de développement. Mais le défi le plus important reste le conflit libyen, surtout après la décision turque, annoncée dimanche, de « déployer progressivement des soldats en Libye ».

Le conflit libyen et ses répercussions

« Nous ne permettrons à personne de penser même qu’il est apte à étendre son pouvoir sur la Libye dont la sécurité relève de la sécurité nationale de l’Egypte », avait averti le président Abdel-Fattah Al-Sissi lors du Forum mondial de la jeunesse, tenu fin décembre à Charm Al-Cheikh. Or, avec la décision turque d’envoyer des soldats en Libye, le conflit libyen s’enflamme. Le Caire a convoqué pour ce mercredi une réunion d’urgence au niveau des ministres des Affaires étrangères (Egypte, Italie, Chypre, Grèce, France) afin d’examiner les répercussions de la crise libyenne. Fin novembre, deux accords controversés de délimitation maritime et de coopération sécuritaire avaient été conclus entre le GNA et la Turquie. Le président Sissi a déjà soulevé cette question avec les présidents américain, russe et français ainsi que la chancelière allemande et il a évoqué la question au Conseil de sécurité de l’Onu mettant en exergue « les dangers qui peuvent découler d’une ingérence étrangère armée en Libye ». Les ingérences turques dans le conflit libyen auront un effet déstabilisateur sur toute la région et pas seulement sur l’Egypte.

Outre la décision d’Erdogan de « déployer progressivement des soldats » en Libye, Ankara a acheminé des combattants syriens en Libye. L’Egypte, partageant la plus grande frontière avec la Libye (1200 kilomètres), redoute que l’intervention turque ne menace ses frontières ouest. Selon Nasr Salem, expert stratégique, « les agissements turcs ne visent pas seulement à étendre l’influence d’Ankara en Libye, une ancienne province de l’Empire ottoman, mais aussi à donner vie au projet de l’islam politique dans la région ».

En fait, le projet de l’islam politique a échoué en Egypte, en Tunisie, au Soudan et en Syrie. « Le rapprochement actuel entre Al-Sarraj et Erdogan suit la même approche adoptée en 2011 avec le régime déchu de la confrérie des Frères musulmans en Egypte », dit Salem. Et d’ajouter : « Si le drapeau turc flotte en Libye, cela représentera une menace claire et directe pour l’Egypte. Il y aura forcément une riposte. Quelle sera sa nature et quand aurait-il lieu ? Il est encore tôt pour le dire ». Le parlement égyptien, dans un communiqué publié jeudi, a autorisé le président de la République à prendre les mesures nécessaires pour faire face à de telles menaces. Toutes les options sont donc sur la table. Et toute décision prise sera minutieusement étudiée. Il est prévu dans les prochains jours que l’Egypte intensifie ses contacts diplomatiques afin de créer « une mobilisation internationale et régionale » pour contrer Ankara.

Méditerranée, l’émergence de nouvelles alliances

Sécuriser les récentes découvertes énergétiques dans la mer, gaz et pétrole, est aussi l’un des plus grands défis stratégiques pour l’Egypte en 2020, comme l’explique l’expert stratégique Khaled Okacha, directeur du Centre égyptien d’études stratégiques (ECSS), la situation en Méditerranée orientale ne cesse d’évoluer depuis la signature de l’accord maritime qui a donné à Ankara l’accès aux ressources d’hydrocarbures en Méditerranée, en échange du soutien militaire au GNA face au chef de l’Armée nationale libyenne, Khalifa Haftar. Selon Ahmad Qandil, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, la région de la Méditerranée orientale en 2020 ne sera plus comme avant.

Pour contrer les ambitions turques, Le Caire a créé, il y a un an, le Forum du gaz de la Méditerranée orientale regroupant 9 pays riverains, à l’exception de la Turquie, dans le but d’instaurer une coopération entre les pays producteurs de gaz et d’exploiter au mieux les découvertes gazières en Méditerranée. « La Turquie semble déterminée non seulement à poursuivre ses activités de forage illégales dans les eaux territoriales de Chypre, dont la dernière en date était en novembre 2019, mais aussi à étendre ses activités dans les eaux libyennes. Ces agissements turcs visent à perturber les accords de coopération en matière de gaz en Méditerranée. Ce qui placera Ankara en 2020 face aux forces influentes dans la région : l’Egypte, la Grèce, la France, Chypre, l’Union européenne et Israël ».

D’ailleurs, cette nouvelle année, explique Qandil, pourrait témoigner de « l’émergence de nouvelles alliances sécuritaires et stratégiques ou du renforcement des alliances déjà existantes dans la région pour former un front uni contre la Turquie », ajoute Qandil. La réunion trilatérale 3+1 des ministres des Affaires étrangères au Caire, regroupant l’Egypte, la France, Chypre et la Grèce, devrait avoir lieu en janvier. La présence de la France dévoile un engagement plus profond de ce pays dans la région de la Méditerranée orientale. Le 2 janvier, la Grèce, Chypre et Israël ont signé l’accord sur la construction du gazoduc EastMed à Athènes. Il sera également suivi d’un sommet gréco-américain au cours des prochains jours. La Grèce, pour sa part, entend accélérer les pas vers la démarcation des Zones Economiques Exclusives (ZEE) avec l’Italie et l’Egypte.

Barrage de la Renaissance : Le compte à rebours est lancé

Selon Okacha, le défi de l’eau est l’autre grand défi de 2020. « Comment sécuriser l’arrivée de l’eau aux terres égyptiennes? C’était le premier défi à la sécurité de l’Egypte dans l’histoire à l’époque pharaonique ». L’Egypte est engagée dans des négociations avec le Soudan et l’Ethiopie sur le barrage de la Renaissance sous parrainage américain et en présence de la Banque mondiale. Objectif: trouver un accord global sur le fonctionnement du barrage qui garantit les intérêts des trois pays avant la date butoir du 15 janvier. Des progrès ont été réalisés, mais des divergences persistent encore, concernant les modalités de remplissage du réservoir, qui devrait commencer en juillet prochain, et les règles d’utilisation du barrage, notamment pendant les périodes de sécheresse (voir page 7). Nasr Salem estime que « l’on se rapproche de plus en plus d’un accord ».

Les ministres de l’Irrigation des trois pays doivent se revoir une dernière fois les 9 et 10 janvier, avant une réunion à haut niveau le 13, deux jours avant la date butoir. En cas d’échec des négociations au niveau ministériel, l’article 10 de la Déclaration de principe signée entre les trois pays en 2015 à Khartoum stipule que le dossier est renvoyé aux chefs d’Etat ou de gouvernement ou qu’une médiation externe est sollicitée.

Se préparer aux défis d’avenir

« La diplomatie égyptienne agit actuellement pour régler ces trois questions. L’Egypte est en position de force », précise Nasr. Avis partagé par Khaled Okacha, qui estime que l’Egypte s’est aujourd’hui préparée à tous les scénarios. « Depuis 2011, la carte de la région est bien claire pour l’Egypte. Pour faire face aux défis, l’Egypte a lancé en 2015 un plan ambitieux pour moderniser les capacités militaires de l’armée et la doter des systèmes technologiques et des armes les plus sophistiquées ». Afin de sécuriser leurs intérêts vitaux, les forces aériennes ont reçu récemment de la France le dernier chasseur de quatrième génération (Rafale) et des chasseurs multi-missions et des hélicoptères de Russie. De plus, l’Egypte a renforcé les capacités combatives de la marine avec la frégate FREMM, les deux navires d’assaut rapides, les hélicoptères Mistral qui représentent deux bases militaires flottantes. Il y a également les sous-marins du type 209 en provenance d’Allemagne avec ses missiles mortels à longue portée. Selon Salem, l’Egypte participe également à la fabrication de corvettes sophistiquées, à l’exemple de la Gowind. A tout cela s’ajoutent les armes russes avec leurs énormes capacités, qu’il s’agisse de celles que l’Egypte possédait précédemment ou celles reçues récemment. Sans compter les contre-torpilleurs américains qui opèrent dans les forces navales et qui forment deux flottes, l’une se trouvant en Méditerranée et l’autre en mer Rouge. Celles-ci accomplissent des missions spécifiques afin de préserver la sécurité nationale de l’Egypte.

La stratégie militaire préventive de l’Egypte est basée sur le développement de l’armée au niveau de l’armement et de la formation. L’Egypte a mené au cours des dernières années de nombreuses manoeuvres conjointes avec des pays comme les Etats-Unis, Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Koweït, l’Arabie saoudite, la France, la Russie, la Grèce, la Grande-Bretagne et l’Italie. Ces exercices militaires conjoints visent à renforcer les capacités combatives de l’armée, à explorer de nouveaux terrains d’action et à échanger les expertises avec les armées des pays partenaires de l’Egypte. Et de montrer la capacité réelle des forces, leur efficacité et leurs compétences, en particulier dans la réalisation d’exercices de combat avec des tirs réels. Selon la classification du Global Fire Power de 2019, l’armée égyptienne est classée première aux niveaux arabe et africain et douzième au niveau international. « Cette vision stratégique de l’Egypte vise, d’une part, à renforcer sa position de leader dans la région, et d’autre part, à lancer un message fort de dissuasion pour dire qu’elle est capable de sécuriser ses intérêts vitaux et les axes stratégiques de la sécurité nationale égyptienne », conclut Salem l

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