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Ashraf Al-Sherif : « Les islamistes finiront par réaliser que leur survie dépend de leur participation politique »

May Al-Maghrabi , Mardi, 09 juillet 2013

Ashraf Al-Sherif, professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire et spécialiste des mouvements islamistes, analyse les choix qui s’offrent à la confrérie des Frères musulmans après la chute du président Mohamad Morsi.

Les islamistes
Depuis sa création, la confrérie des Frères musulmans souhaitait gouverner par la charia. Une fois au pouvoir, elle a échoué à concrétiser son projet d’Etat islamique.

Al-Ahram Hebdo : Quelpourrait être l’avenir des Frères musulmans et des principales factions de l’islam politique en Egypte après le 30 juin ?

Ashraf Al-Sherif : Le soulèvement populaire du 30 juin a certes porté un coup dur au courant islamiste en général et aux Frères musulmans en particulier. Mais ces derniers,qui sont un mouvement fort et bien organisé, sont loin de la mort politique. Leur réaction à ce quivient de se passer, notamment leur aptitude à participer à la transition en cours et à se réintégrer au processus politique, sera déterminante pour leur avenir politique.

— La destitution de Morsi risque-t-elle d’entraîner des divisions au sein du courant islamiste ?

— La montée de la violence rend l’image un peu floue. Mais déjà la position du parti Al-Nour, la plus importante formation salafiste, qui a accepté de soutenir le plan de transition présenté par les militaires, montre que les mouvements islamistes ne soutiendront pas les Frères pour longtemps. La Gamaa islamiya, qui a payé cher ses attentats terroristes dans les années 1990, a condamné la violence en cours et ne tardera pas à son tour à s’intégrer au processus politique. Si d’autres mouvements djihadistes soutiennent actuellement les Frères musulmans craignant que l’échec de ceux-ci ne soit un échec pour tout le courant islamiste, la plupart des factions islamistes finiront par réaliser que leur survie dépend de leur aptitude à se lancer dans l’arène politique en respectant les règles du jeu. Ils ne trouveront leur place dans l’équation politique que dans le cadre d’un Etat civil, démocratique respectant le pluralisme et la citoyenneté.

— Mais outre les djihadistes, comment voyez-vous le recours à la violence par les Frères ?

— La violence est actuellement orchestrée par les conservateurs qui occupent les postes-clés au sein de la confrérie et qui sont responsables de l’échec de son expérience au pouvoir. Les Frères sont en état de déséquilibre et le fait que l’aile réformatrice rejette Depuis sa création, la confrérie des Frères musulmans souhaitait gouverner par la charia. Une fois au pouvoir, elle a échoué à concrétiser son projet d’Etat islamique. la violence laisse prévoir une dissension d’ampleur au sein de la confrérie. Cela dit, les Frères sont pragmatiques, ils savent que le recours à la violence serait une sorte de suicide politique, et ils sont tout aussi conscients que Morsi ne reviendra pas au pouvoir. La violence pour eux est un moyen de pression sur le nouveau pouvoir pour leur céder une place convenable sur l’échiquier politique.

— Ce qui revient à dire que la destitution de Mohamad Morsi augure d’une période plus ou moins longue de violence …

— A court terme, oui, notamment de manière individuelle de certains membres de la confrérie. Mais le véritable danger est celui des groupes djihadistes qui ont investi le Sinaï sous Morsi. Ces groupes qui déjà ne croyaient pas à la démocratie comme moyen de changement trouveront dans le recours à la violence l’ultime option pour concrétiser leur projet islamiste.

— Comment expliquez-vous le déclin abrupt d’un mouvement pourtant bien implanté dans la société ?

— Depuis sa création il y a 80 ans, la confrérie des Frères musulmans souhaitait gouverner par la charia. Une fois au pouvoir, elle a échoué à concrétiser son projet d’Etat islamique. L’absence d’un véritable projet politique et économique, un bilan trop modeste au niveau des libertés publiques, une volonté de monopoliser le pouvoir sont parmi les raisons de cet échec …

— Seront-ils amenés à procéder à des révisions idéologiques,politiques ou tactiques ? Dans quelle mesure peuvent-ils profiterde leur expérience au pouvoir ?

— Certes, après avoir gâché cette occasion historique, un authentique travail d’autocritique s’impose. A mon avis, l’évolution idéale pour la confrérie serait de dépasser l’idéologie rigide de Sayed Qotb. Il faut aussi procéder à des révisions globales au niveau de sa structure, son exercice politique et ses pratiques clandestines. C’est ainsi que la confrérie pourra surmonter sa crise de popularité et éviter l’exaspération des conflits générationnels latents.

— Est-ce la fin de l'Islam politique ?

— On peut parler de la fin d’un projet islamiste prônant un Etat totalitaire au nom de la religion. Modérée de par sa nature, la société égyptienne n’a pas pu assimiler ce projet. Alors que l’islamisme en tant que mouvement n’est pas voué à disparaître, mais il ne sera plus représenté que proportionnellement à son poids réel, dans le cadre d’un Etat civil.

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