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Barrage de la Renaissance : Toujours l’impasse

Chaïmaa Abdel-Hamid, Mardi, 17 septembre 2019

Les négociations des 15 et 16 septembre au Caire entre les ministres de l’Irrigation d’Egypte, d’Ethiopie et du Soudan n’ont donné lieu à aucun consensus sur le barrage de la Renaissance. Une nouvelle réunion est prévue fin septembre à Khartoum.

Barrage de la Renaissance : Toujours l’impasse
La première réunion tripartite tenue au Caire, plus d’un an après la suspension des négociations techniques, n’a débouché sur aucun consensus.

Les pourparlers sur le barrage éthiopien trébuchent. Après deux jours de négociations, les 15 et 16 septembre, entre les ministres de l’Irrigation d’Egypte, d’Ethiopie et du Soudan, la première réunion tripartite tenue au Caire, plus d’un an après la suspension des négociations techniques, n’a débouché sur aucun consensus. Le ministère de l’Irrigation a publié un communiqué lundi soir dénonçant l’intransigeance éthiopienne sur la question du remplissage du barrage. « L’Ethiopie a refusé de discuter des propositions égyptiennes. Les aspects techniques n’ont donc pas été abordés au cours de cette réunion, mais uniquement le calendrier des prochaines rencontres », affirme le communiqué. Une réunion du comité scientifique est prévue à Khartoum entre le 30 septembre et le 3 octobre, pour essayer de surmonter l’impasse sur ce dossier toujours controversé. Cette réunion devrait être suivie les 4 et 5 octobre par une autre réunion au niveau des ministres de l’Irrigation des trois pays pour approuver l’accord sur le remplissage et les règles de fonctionnement du barrage. L’Egypte considère important que « l’Ethiopie s’engage dans des négociations techniques sérieuses lors des prochaines réunions à Khartoum ».

Le ministre des Affaires étrangères, Sameh Choukri, avait affirmé lors d’une rencontre avec son homologue kényane, Monica Goma, que l’Egypte est prête à parvenir à un consensus sur les négociations du barrage de la Renaissance. Il a souligné la nécessité de s’entendre le plus rapidement possible : « Il n’est pas question que l’une des parties impose sa volonté aux autres, il n’est pas question non plus d’imposer le fait accompli ». Et d’ajouter que l’Egypte subira un préjudice s’il n’y a pas de consensus. L’Egypte avait présenté, le mois dernier, une proposition sur le remplissage et le fonctionnement du barrage, en fonction des périodes de sécheresse et d’inondation. Et ce, dans le cadre d’une coopération entre Le Caire et Addis-Abeba et de manière à atteindre les objectifs de l’Ethiopie, dont le plus important est la production de l’énergie sans porter atteinte aux intérêts de l’Egypte. Le Caire propose que le réservoir du barrage soit rempli en 7 ans et le fait de résoudre d’autres problèmes opérationnels liés au barrage lorsqu’il commencera à générer de l’énergie. L’Ethiopie, pour sa part, insiste sur le fait que le remplissage soit fait en 3 ans seulement.

Pour l’analyste Aymen Abdel-Wahab, spécialiste des affaires africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, les résultats de cette réunion ne sont pas prometteurs. « Cette rencontre ressemble à beaucoup d’autres qui l’ont précédée et qui n’ont abouti à aucun résultat rassurant. L’Ethiopie poursuit sa stratégie qui consiste à gagner du temps, alors que les travaux de construction du barrage se poursuivent », dit-il. Selon les sources éthiopiennes, les travaux de construction du barrage sont terminés à 80 % et les travaux hydromécaniques à 25 %. L’analyste poursuit : « Tant que l’Ethiopie suit la même politique de tergiversation, il sera impossible de parvenir à un consensus ».

Un avis que partage la chercheuse spécialiste des affaires africaines au CEPS d’Al-Ahram, Amani Al-Taweel, qui insiste sur le fait que l’Egypte ne s’oppose pas à la construction du barrage qui permettra le développement de l’Ethiopie, mais veut garantir ses droits hydrauliques avec le moins de dommages possible. Un principe sur lequel le président Abdel-Fattah Al-Sissi avait insisté à la veille de cette rencontre tripartite. Le porte-parole du ministère de l’Irrigation, Mohamad Sébaï, a affirmé que la position égyptienne est basée sur des constantes claires, à savoir négocier sur la base de l’accord de principe signé en mars 2015, qui affirme le droit de toutes les parties au développement sans nuire aux autres.

Le Caire tient à préserver sa part historique dans les eaux du Nil, qui est de 55,5 milliards de mètres cubes d’eau, comme le prévoient l’accord de 1929 et celui de 1959 entre l’Egypte et le Soudan qui, lui, reçoit 18,5 milliards de mètres cubes. Selon le ministre de l’Irrigation, Mohamad Abdel-Atti, 95 % du territoire égyptien est désertique. Et l’agriculture du pays dépend à 95 % de l’eau du Nil, dont 85 % provient du Nil Bleu dans le plateau éthiopien, ce qui explique, selon le ministre, la sensibilité de l’Egypte face à tout nouveau projet lancé sans coordination préalable avec les pays en aval. Le ministre a également expliqué que la perte de 2 % dans la part de l’Egypte en eau conduit à la sécheresse d’environ 200 000 feddans de terrains agricoles, ce qui, par conséquent, contribue à l’augmentation du chômage et de l’immigration clandestine. Rappelons que le barrage éthiopien, une fois finalisé, sera le plus grand barrage hydroélectrique du continent africain avec une capacité de 6 450 MW, et une capacité de stockage qui atteint 75 milliards de mètres cubes d’eau.

Accroître la pression

Au cours de la semaine dernière, l’Egypte, pour la première fois depuis le début de ces négociations qui ont commencé en mai 2011, a multiplié les pressions sur l’Ethiopie exprimant officiellement sa colère vis-à-vis de l’intransigeance éthiopienne. L’ambassadeur Hamdi Loza, vice-ministre des Affaires étrangères pour les affaires africaines, s’est réuni avec les ambassadeurs des pays européens accrédités au Caire, et les a informés des derniers développements de la situation. Il a exprimé le mécontentement de l’Egypte face au prolongement de ces négociations, soulignant que « le refus des propositions égyptiennes signifie une insistance de la part de l’Ethiopie à imposer une vision unilatérale sans prendre en compte les intérêts des deux pays en aval ou les dommages qui les menacent ».

Ce n’est pas tout, le ministre des Affaires étrangères, Sameh Choukri, a également exposé devant la 152e réunion du Conseil de la Ligue arabe les litiges des négociations égypto-éthiopiennes et s’est dit inquiet vis-à-vis du retard de ces négociations. Les ministres arabes ont manifesté leur grande solidarité avec l’Egypte et le Soudan concernant la protection de leur sécurité hydrique, saluant les efforts continus de l’Egypte pour parvenir à un consensus permettant de réaliser les intérêts conjoints de l’Egypte, du Soudan, mais aussi ceux de l’Ethiopie.

Pour Amani Al-Taweel, il s’agit d’un pas indispensable pour l’avancée de ces négociations : « L’Egypte, en exposant l’affaire devant les pays européens et arabes et en présentant les répercussions négatives sur le pays, commence à internationaliser le problème. Il s’agit d’une première carte de pression sur l’Ethiopie que joue l’Egypte en parallèle aux négociations qui peinent à avancer ». Mais il ne s’agit pas du seul scénario possible devant Le Caire. Aymen Abdel-Wahab explique, pour sa part, que l’Egypte peut encore hausser plus le ton. « Si les pourparlers se poursuivent à ce même rythme pendant les prochaines réunions, l’Egypte peut recourir au Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine, présenter une plainte et dire que le remplissage rapide du barrage nuira à ses intérêts et menacera la sécurité en eau du pays. Les études réalisées sur le barrage en 2013 par les cabinets de conseil qui ont recommandé des études techniques, hydrauliques et environnementales plus approfondies sont une preuve concrète contre l’Ethiopie », conclut Abdel-Wahab.

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