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Les Nubiens enfin indemnisés

Chaïmaa Abdel-Hamid, Mardi, 30 juillet 2019

Le gouvernement a décidé d’indemniser les Nubiens évacués de leurs villages lors de l’élévation des eaux du réservoir d’Assouan en 1902, puis lors de la construction du Haut-Barrage dans les années 1960. 11 716 personnes sont concernées.

Les Nubiens enfin indemnisés
Après de longues années, loin de leur terre, les Nubiens seront indemnisés.

Les Nubiens avaient dû quitter leurs terres une première fois en 1902, lors de l’élévation des eaux du réservoir d’Assouan, puis une deuxième fois lors de la construction du Haut-Barrage dans les années 1960. Des milliers de Nubiens avaient alors été évacués de leurs villages et installés dans d’autres terres loin de leurs habitations (voir encadré). Le président Abdel-Fattah Al-Sissi a décidé cette année d’indemniser les citoyens nubiens. Le gouvernorat d’Assouan reçoit, du 25 juin à 31 juillet, les demandes des Nubiens en possession de documents qui prouvent leur droit à une indemnisation.

Le conseiller Omar Marwan, ministre des Affaires parlementaires et président du comité chargé des indemnisations, affirme que le comité examine les documents présentés par les bénéficiaires que le ministère de la Justice a déjà vérifiés et approuvés. Leur nombre s’élève à 11 716 citoyens, dont 3 851 affectés par la construction et la modernisation du réservoir d’Assouan, et 7 865 par la construction du Haut-Barrage. Pour obtenir l’indemnisation, il faut présenter des documents qui prouvent que ses grands-parents avaient des terres ou des logements dans l’ancienne Nubie, et d’autres qui prouvent le droit à l’héritage. Chaque Nubien se trouvant à l’étranger peut également, à travers une procuration, accéder à l’indemnisation.

Concernant les personnes ayant perdu des terrains agricoles, l’Etat leur procurera en échange d’autres terrains cultivables dans les régions de Khor Qandi et de Wadi Al-Amal. D’autres terrains seront également mis à la disposition des citoyens nubiens, dans le cadre du projet de développement de la Haute-Egypte. Si le bénéficiaire ne souhaite pas obtenir de terrain, il a droit à une compensation financière de 25 000 L.E. pour chaque acre. Ceux qui possédaient des logements dans l’ancienne Nubie seront indemnisés et recevront des logements à l’intérieur du gouvernorat d’Assouan à Kom Ombo, Edfou ou dans d’autres gouvernorats comme Alexandrie, Ismaïliya, Charqiya, Ménoufiya, Béheira, Fayoum, Minya, Assiout, Sohag, Qéna ou Louqsor. Une compensation financière de 225 000 L.E. sera attribuée au bénéficiaire qui ne souhaite pas obtenir de logement. Mohamad Adnane, président du Club des Nubiens d’Egypte, explique : « C’est la première fois qu’un gouvernement est attentif à nos demandes. Depuis les années 1950, nous avons entendu toutes sortes de promesses. C’est seulement sous le président Sissi que les promesses ont été tenues. Les procédures ont même commencé et c’est une preuve de sérieux de la part du gouvernement ».

Cependant, Adnane appelle le gouvernement à ouvrir une seconde phase pour les personnes qui peinent à trouver les documents requis qui datent de plus de 100 ans. Historiquement, le problème des Nubiens a commencé, lorsque le président Nasser a décidé de construire un barrage à l’extrême sud de l’Egypte, afin d’augmenter la production d’électricité en Egypte. Plusieurs dizaines de villages nubiens ont dû être évacués, car ils risquaient d’être submergés par le lac Nasser.

Une démarche importante

« L’indemnisation des Nubiens est d’une grande importance pas seulement pour les Nubiens, mais pour tous les Egyptiens », dit Tareq Fahmi, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. Et d’ajouter : « Il s’agit d’une exigence constitutionnelle qui souligne l’unité et la citoyenneté égyptienne. Deux points auxquels le président Sissi procure une grande importance depuis son accession au pouvoir ». La Constitution égyptienne stipule dans son article 236, que l’Etat assure l’élaboration et la mise en oeuvre d’un plan de développement économique intégrale qui englobe les zones frontalières et défavorisées, dont la Haute-Egypte, le Sinaï, Matrouh et la Nubie (…) Ce plan est à réaliser dans les dix années à venir, à compter de l’entrée en vigueur de cette Constitution et dans les conditions définies par la loi. L’Etat s’engage à mettre en oeuvre des projets permettant le retour des Nubiens dans leurs régions d’origine au cours des dix ans à venir et dans le cadre défini par la loi. Tareq Fahmi ajoute que le président accorde un grand intérêt aux zones frontalières, tant au niveau du développement que de la sécurité. Ces régions étaient négligées à l’époque de Moubarak, qu’il s’agisse de celles du sud, comme la Nubie, ou celles de l’est comme le Sinaï. « La région de la Nubie a été à un moment donné politiquement manipulée par l’étranger avec des appels à la séparation ou à une intervention étrangère. Ces appels visaient à déstabiliser le pays et à le diviser. Heureusement, ces appels ont disparu aujourd’hui. Cette dernière démarche et les travaux de développement renforcent les liens entre ces régions frontalières et l’ensemble de l’Etat », analyse le politologue.

Poursuivre le développement

Les revendications des Nubiens ne se limitent pas aux indemnisations. Ils appellent également à développer leur région conformément à l’article 236 de la Constitution. L’Etat a, en effet, commencé à déployer de grands efforts pour le développement d’Assouan et de la Nubie dans le cadre du plan de développement du sud de l’Egypte. Ainsi, une zone industrielle a été installée dans les villages nubiens d’Al-Guéneina et d’Al-Chébak. Des travaux de remplacement et de rénovation de l’infrastructure et des réseaux d’eau potable et des égouts sont en cours dans un nombre de villages du gouvernorat avec un coût de 1,2 milliard de L.E. Le gouvernorat d’Assouan témoigne également de plusieurs projets agricoles et d’élevage, dont le plus grand projet d’élevage de volailles de la région de Tochka, avec un investissement total de 200 millions de L.E. A l’ouest d’Assouan, à proximité du Haut-Barrage, la première centrale du complexe solaire de Benban est désormais raccordée au réseau électrique national, d’une capacité de 525 MW. Salah Zaki Mourad, citoyen nubien et ancien membre du Club des Nubiens, souligne qu’outre ces grands projets qui sont très importants pour la réincarnation de la Nubie, ce gouvernorat du sud renferme des richesses énormes que l’Etat doit mettre à profit. « Nous appelons au développement de la région de Nasr Al-Nouba et la région située à l’arrière du barrage. Deux régions touristiques très importantes qui méritent le plus grand intérêt dans le cadre du développement de la Nubie et qui peuvent attirer de nombreux touristes chaque année », affirme-t-il. « Les terres nubiennes renferment des richesses qui doivent être exploitées par l’Etat, notamment la région de Wadi Al-Alaqi, riche en or, la région du lac Nasser, riche en poisson, et les montagnes d’Assouan, riches en granite », ajoute-t-il. Et de conclure : « Concernant les villages nubiens, nous appelons le gouvernement à accélérer l’installation des services nécessaires, notamment des écoles et des hôpitaux. Nous savons que c’est bien dans le plan du développement de l’Etat. Mais le plus vite sera le mieux » .

Le long parcours des Nubiens

Le déplacement des Nubiens remonte à la construction du Haut-Barrage. 31 des 44 villages de la Nubie ont été vidés de leurs habitants en quatre phases, à partir de 1902 et jusqu’en 1964. C’est en 1902, avec la construction du réservoir d’Assouan, qu’a eu lieu le premier déplacement. 10 villages ont coulé avec l’élévation de l’eau et les habitants ont dû quitter les lieux. La deuxième migration fut avec la première élévation du réservoir en 1912. Huit autres villages ont coulé, obligeant également leurs habitants à partir. Une nouvelle élévation du réservoir en 1933 a inondé 10 villages supplémentaires. Puis enfin, un quatrième déplacement, a commencé en octobre 1963 et jusqu’en juin 1964. La construction du Haut-Barrage a obligé à nouveau 18 000 familles à partir.

Les Nubiens, installés depuis toujours dans la région du lac Nasser, ont dû ainsi quitter cette région vers de nouvelles terres, à plus de 300 km de leurs villages d’origine, à 50 km au nord d’Assouan. Ils ont été installés à Nasr Al-Nouba, une région qui fut donnée par l’Etat. Le reste des Nubiens fut installé à Kom Ombo, non loin d’Assouan. Les Nubiens la surnomment Al-Nouba Al-Guédida ou la Nouvelle Nubie, car ils pensent que l’ancienne est leur véritable terre, leur terre d’origine. Les Nubiens n’ont jamais véritablement accepté Al-Nouba Al-Guédida ou la Nouvelle Nubie.

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