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Les manoeuvres d’Ankara

Mardi, 26 mars 2019

L’arrestation par la Turquie de douze membres des Frères musulmans, accusés par l’Egypte d’actes de violence, afin de les extrader vers Le Caire, vise à alléger les pressions occidentales sur Ankara, accusé de complaisance avec les groupes extrémistes.

Ahmad Kamel El-Beheri,

Chercheur

La décision turque d’ar­rêter douze membres des Frères musulmans afin de les extrader vers l’Egypte soulève bien des interrogations. Cette démarche intervient moins de deux mois après l’extradition vers l’Egypte d’un autre membre de la confré­rie, Mohamad Abdel-Hafiz Aboul-Ela, accusé dans l’atten­tat contre le procureur général égyptien.

Loin des raisons affichées derrière ces extraditions et qui concernent des permis de rési­dence ou des falsifications de passeports, ce geste de la part de la Turquie, qui intervient alors que ses relations avec l’Egypte ne sont pas au beau fixe, soulève beaucoup de ques­tions.

Ces extraditions représentent-elles un changement stratégique dans les relations entre la Turquie et les Frères musul­mans ou une simple manoeuvre politique de la part d’Ankara ? Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et le Parti de la justice et du développement au pouvoir entretiennent des relations organiques avec l’organisation internationale de la confrérie des Frères musulmans dont ils adoptent la philosophie poli­tique. Ce qui explique l’attitude hostile de la Turquie envers l’Egypte après le renversement du président Mohamad Morsi et la sortie des Frères musulmans du pouvoir et de la scène poli­tique en Egypte. Cette hostilité s’est manifestée explicitement dans les déclarations du prési­dent turc qui s’en prend réguliè­rement au gouvernement égyp­tien et exprime sa solidarité avec les Frères musulmans, ainsi qu’implicitement à travers l’accueil et le soutien financier offerts aux dirigeants de la confrérie et les chaînes de télé­vision qui leur ont été réservées pour attaquer l’Egypte. C’est à la lumière de tout cela qu’on peut expliquer les raisons der­rière les récentes arrestations et extraditions de membres de la confrérie par les autorités turques.

Pressions américaines

Il s’agit d’abord de pressions américaines et occidentales. D’après le journal américain The National Interest, l’extradi­tion début janvier 2019 de Mohamad Abdel-Hafiz Aboul-Ela répondait à des pressions de la part de l’Administration américaine sur le gouvernement turc pour adoucir le ton avec l’Egypte et lui livrer certains éléments accusés d’actes terro­ristes. Les relations de la Turquie avec l’Europe offrent une autre explication. La semaine dernière, le Parlement européen a voté en faveur de la suspension des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne pour des raisons en rapport avec les droits de l’homme et d’autres raisons qui concernent les rela­tions ambiguës qu’entretient la Turquie avec des organisations extrémistes et terroristes. Cette décision a peut-être amené la Turquie à se débarrasser de cer­tains islamistes pour effacer son image de terre d’asile de terro­ristes.

Enfin, la politique antiterro­riste de l’Egypte y a été pour beaucoup. Au cours des cinq dernières années, l’Etat égyp­tien a réussi à bien définir sa politique internationale de lutte antiterroriste. D’abord, en reje­tant toutes sortes de dialogues avec les organisations extré­mistes et armées dans les pays de la région, et en considérant que ces organisations, quelles que soient leurs dénominations, ne sont en effet qu’une seule et même entité. Cette manière de voir les choses a permis à la communauté internationale et aux puissances internationales et régionales de bien com­prendre la position de l’Egypte à l’égard du terrorisme. L’Egypte a été également active auprès des organisations inter­nationales concernées par la lutte antiterroriste pour limiter le soutien politique et financier accordé aux groupes terroristes par certains pays dans la région ou ailleurs. Sur le plan juri­dique, l’Egypte a fourni à l’In­terpol et à des pays occidentaux des preuves contre de nom­breux éléments extrémistes et contre les pays qui les abritent. Tout cela a constitué une pres­sion sur la Turquie pour qu’elle cesse son soutien et sa protec­tion des extrémistes impliqués dans des actes de violence en Egypte.

En guise de conclusion, nous pouvons dire que l’arrestation et l’extradition de quelques extrémistes en Turquie est plus une manoeuvre politique liée aux intérêts régionaux et inter­nationaux d’Ankara qu’un changement stratégique de position vis-à-vis de la confré­rie des Frères musulmans. Les liens solides entre la Turquie et la confrérie ne risquent de se rompre qu’avec le changement du régime d’Erdogan, ce qui n’est pas prévisible dans un avenir proche. Pas plus que le changement de la politique turque vis-à-vis de l’Egypte.

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