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L'ancien ministre de l'irrigation Mohamad Allam : « L’Ethiopie a l’intention de construire quatre autres barrages »

Osman Fekri, Mardi, 18 juin 2013

Le chef de la diplomatie, Mohamad Kamel Amr, s'est rendu cette semaine en Ethiopie pour évoquer le sujet de la construction du barrage de la Renaissance. L’ancien ministre de l'Irrigation, Mohamad Nasreddine Allam, propose des démarches concrètes. Entretien.

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Al-Ahram Hebdo :L’Ethiopie a déclaré que l’objectif de son barrage était de produire l’électricité et qu’il n’aurait aucune conséquence négative sur le quota de l’Egypte dans les eaux du Nil.Etes-vous d’accord ?

Mohamad Nasreddine Allam : L’Ethiopie a aussi déclaré qu’elle utiliserait près de 5 milliards de mètres cubes des eaux du barrage dans l’irrigation. Mais, indépendamment de ces déclarations, laissez- moi vous dire que la construction du barrage éthiopien réduira l’importance de notre Haut-Barrage, la clé du robinet sera entre les mains des Ethiopiens. Sur le plan environnemental, les conséquences seront catastrophiques sur les lacs situés au nord du barrage : le niveau de l’eau chutera, sa salinité et son degré de pollution augmenteront et les richesses piscicoles seront sensiblement affectées. Pour l’Egypte, nos études indiquent que le niveau des eaux souterraines baissera dans le Delta et la Vallée, et on perdra au moins 3 millions de feddans de terres agricoles. En gros, notre perte annuelle en eau sera de l’ordre de 9 milliards de mètres cubes alors que l’électricité générée par le Haut- Barrage et le barrage d’Assouan sera réduite d’environ 25 %. Et il va sans dire que les ambitions des Ethiopiens ne s’arrêtent pas au barrage de la Renaissance, ils ont l’intention de construire quatre autres barrages sur le Nil Bleu. Je le dis à tous les responsables et dirigeants de ce pays : les futures générations ne nous pardonneront jamais si on échoue à préserver nos droits historiques sur les eaux du Nil.

— L’Ethiopie n’est pas le seul pays à avoir durci le ton, puisque l’Ouganda vient d’annoncer son intention de construire « le plus important » barrage sur le Nil, tout en appelant les pays voisins à faire de même ...

— Il s’agit d’une position et de déclarations hostiles et incompatibles avec les liens historiques de ce pays avec l’Egypte. Nous avions toujours eu une coopération dans le domaine de la lutte contre les plantes parasitaires qui posaient beaucoup de problèmes aux Ougandais, un projet auquel l’Egypte a contribué au cours de ces dernières années à hauteur de 20 millions de dollars. Nous avons aussi contribué à hauteur de 5 millions de dollars au financement de petits barrages en Ouganda. L’Egypte a toujours aidé ses voisins africains tant que leurs projets de développement ne menaçaient pas ses propres intérêts.

— Quelle est votre évaluation du comité tripartite qui regroupe l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie ?

— Ce comité créé essentiellement pour concerter les positions autour du barrage éthiopien se réunit tous les ans, alors que la construction de ce barrage est à pied d’oeuvre depuis avril 2011. A ma connaissance, l’avis de ce comité est consultatif et n’est pas contraignant pour l’Ethiopie. Si ce pays répète tout le temps que la construction du barrage est une décision définitive, je ne trouve pas de raison pour que les négociations continuent, sinon pour donner un semblant de légitimité au projet éthiopien. Le maximum que ce comité peut faire c’est de formuler des recommandations sur le fonctionnement du barrage après sa construction.

— Comment évaluez-vous la gestion de ce dossier par le ministère de l’Irrigation et par le gouvernement en général ?

— Après d’innombrables réunions au niveau du gouvernement et du ministère de l’Irrigation, nous avons l’impression que les responsables ne disposent pas d’une connaissance suffisante du dossier. Je pense que l’Egypte ne s’est pas préparée à l’éventualité de voir se construire un ou plusieurs barrages en amont du Nil, alors que le danger planait depuis très longtemps. Aujourd’hui, il est clair que la précarité de notre situation intérieure a eu des répercussions négatives sur notre influence régionale : l’Egypte s’est montrée trop flexible au sein du comité tripartite, ce qui a encouragé l’Ethiopie à annoncer le détournement du cours du Nil Bleu quelques heures après le départ du président Morsi d’Addis-Abeba.

— Qu’est-ce que vous proposez ?

— Je propose la formation d’une délégation dirigée par le diplomate Magdi Amer, ministre adjoint des Affaires étrangères pour l’Afrique, pour expliquer au monde entier la légitimité de nos inquiétudes et de notre position. Il faut travailler au sein de la Ligue arabe et utiliser comme carte de pression les investissements des pays du Golfe en Ethiopie et qui sont évalués à 20 milliards de dollars. Il faut travailler auprès des Nations-Unies et expliquer le danger que représente la construction de ce barrage dans une zone à haut risque sismique, pour des millions d’Egyptiens et de Soudanais. Mais avec tout cela, il est indispensable de négocier directement avec les Ethiopiens. L’Egypte investit 2 milliards de dollars en Ethiopie, elle a participé aux études préalables à la construction du barrage et elle doit réclamer son droit d’être impliquée dans son fonctionnement.

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