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Camp David, 40 ans après

May Al-Maghrabi, Mardi, 25 septembre 2018

Signés le 17 septembre 1978, les accords de Camp David ont posé le cadre d’une paix globale entre Israël et les Arabes. S’ils ont permis à l’Egypte de rétablir sa souveraineté sur le Sinaï et de se consacrer à son développement, le règlement définitif du conflit israéo-arabe reste lointain.

Camp David, 40 ans après
288 heures de négociations ardues ont été nécessaires pour que camp David voie le jour.

« Les accords de Camp David n’auraient pas pu être conclus sans le courage du président Sadate et du premier ministre israélien, Begin. Depuis, cette paix a toujours été maintenue. Aujourd’hui, le processus de paix peine à trouver son chemin avec l’expansion des colonies israéliennes en Cisjordanie et les divisions interpalestiniennes », a déclaré l’ancien président américain Jimmy Carter, parrain des accords de Camp David, dans un message vidéo diffusé lors d’un séminaire tenu mardi 18 septembre à l’Université américaine du Caire à l’occasion du 40e anniversaire de Camp David.

Le 17 septembre 1978, l’ancien président, Anouar Al-Sadate, décide de franchir le pas, et de signer avec Menahem Begin, alors premier ministre israélien, les accords de Camp David, sous le parrainage du président américain Jimmy Carter. Il a fallu 288 heures de négociations ardues pour conclure ces accords, qui ont soulevé un immense espoir de mettre fin au conflit israélo-arabe (voir enc).

40 ans après, ces accords divisent toujours. Si certains y voient une opportunité saisie par l’Egypte pour récupérer le Sinaï, mettre un terme à trois décennies de guerre et se lancer sur la voie du développement, d’autres, au contraire, trouvent que ces accords n’ont pas réalisé leurs objectifs fondamentaux, dont le règlement global du conflit arabo-israélien et la normalisation entre l’Egypte et Israël. Les opposants reprochent, notamment, à Camp David d’avoir affaibli la résistance des Arabes dans leur conflit avec Israël, et d’avoir rompu la position unanime des Arabes à l’égard d’Israël. Ils donnent comme argument le blocage total du processus de paix et le récent transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem.

Une opportunité manquée

Des faits qu’il est injuste d’imputer à l’initiative de paix du président Sadate, estime son neveu, l’ancien député Mohamad Anouar Al-Sadate qui se dit « fier » de son oncle, qui avait « beaucoup de courage et de vision en négociant la paix avec Israël ». Selon lui, la conclusion d’une paix entre l’Egypte et Israël a été une chance que les pays arabes auraient dû saisir pour parvenir à un règlement global du conflit israélo-arabe. « Les divisions interarabes persistent toujours et les critiques adressées à l’Egypte n’ont jamais favorisé la tenue de négociations de paix entre Israël et les pays arabes », regrette Al-Sadate. Il est convaincu que l’Egypte a obtenu de ces accords le meilleur qu’elle pouvait obtenir dans la conjoncture difficile de l’époque. « Il suffit de dire que ces accords ont permis à l’Egypte de récupérer le Sinaï et de rétablir sa souveraineté sur l’ensemble de ses territoires. Quelle aurait été la situation si l’Egypte n’avait pas signé ces accords qui peuvent d’ailleurs être modifiés en cas de besoin ? », affirme Al-Sadate. Et d’ajouter que ceux qui s’opposent aux accords de Camp David n’ont jamais présenté des alternatives.

Le politologue Tareq Fahmi indique que le succès ou l’échec d’un accord se mesure au profit qu’il rapporte aux signataires. « Il est vrai que Camp David a permis à Israël de sécuriser son front sud et d’obtenir la reconnaissance. En revanche, ils ont permis à l’Egypte de récupérer le reste du Sinaï, de rétablir sa souveraineté sur l’ensemble de ses territoires et de revenir avec force sur la scène internationale. L’Egypte a donc profité des accords de Camp David. La paix a permis à l’Egypte de reconstruire son armée, aujourd’hui classée dixième à l’échelle mondiale sur 133 armées. Elle s’est consacrée au cours des quatre dernières décennies au développement et au redressement de son économie. Elle a pu aussi rétablir des relations stratégiques avec les grandes puissances sur des bases d’indépendance », affirme Fahmi. En réplique à ceux qui accusent l’Egypte d’avoir trahi la cause arabe en signant un accord de paix « séparé », le politologue affirme que l’Egypte est restée le principal médiateur dans le processus de paix israélo-palestinien. « Les efforts déployés par l’Egypte dans toutes les sphères internationales en faveur de la cause palestinienne sont incontournables. Et là, il ne faut pas omettre que les circonstances lors de la conclusion de Camp David étaient différentes de celles d’aujourd’hui. L’Administration Carter était très favorable à une paix globale au Proche-Orient et à un règlement du conflit israélo-palestinien. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui », souligne Fahmi. Si aujourd’hui, il n’y a toujours pas de paix entre Israël et les pays arabes, c’est à cause du manque de volonté d’Israël. « Le président Sadate avait de bonnes intentions lors des négociations ardues à Camp David. Aujourd’hui, la situation sur le terrain prouve qu’Israël ne visait pas la paix, mais voulait plutôt neutraliser l’Egypte qui était le pays le plus puissant et le plus influent dans le conflit israélo-arabe. Les accords de Camp David ont établi un cadre global pour la paix au Moyen-Orient, mais c’est à cause des velléités israéliennes que cet objectif n’a pas été atteint », indique Hussein Haridi, ancien ambassadeur d’Egypte à Washington au moment des accords de Camp David. Selon lui, il était important d’établir une paix entre l’Egypte et Israël, mais il était également important que cette paix ne soit pas séparée sans négociations parallèlles sur le plan arabe. « Le président Sadate n’aurait peut-être pas dû se précipiter à conclure ces accords avant de parvenir à un consensus arabe », insiste Haridi.

Barrière psychologique

Les relations entre l’Egypte et Israël n’ont jamais dépassé le stade officiel ces 40 dernières années. Il s’agit, selon Haridi, de relations « contractuelles et mesurées » basées sur le traité de paix. Aujourd’hui encore, les syndicats professionnels et ouvriers et la plupart des intellectuels sont contre la normalisation. « Il existe toujours une barrière psychologique entre le peuple égyptien et Israël. Le refus populaire de la normalisation a été alimenté au fil des décennies par la poursuite de la politique de la main lourde par Israël dans les Territoires palestiniens, ce qui a empêché toute possibilité d’une coopération véritable », pense Hussein Haridi. Si 65 % de la population égyptienne actuelle est née après les guerres entre Israël et l’Egypte et après les accords de Camp David, il semblerait que le rejet d’Israël demeure une constante.

Le professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, Moustapha Kamal Al-Sayed, explique que l’Egypte vit la normalisation à deux niveaux. D’un côté, il y a le niveau officiel, et de l’autre celui de la société civile et du reste de la population qui sont réticents à l’égard des rapports avec Israël. Au niveau officiel, les relations diplomatiques sont réservées, même si des accords économiques ont été conclus. En 2004, Le Caire et Tel-Aviv ont signé un important accord commercial bilatéral, l’Accord des zones industrielles qualifiées (Qualified Industrial Zones, QIZ). Il permet aux producteurs égyptiens d’exporter des marchandises sur le marché américain, sans taxe, à condition qu’elles contiennent un pourcentage de produits israéliens. A l’époque de l’ancien président Hosni Moubarak, l’Egypte vendait aussi le gaz à Israël. « L’acceptation par l’Egypte d’une normalisation totale dans les sphères diplomatiques, politiques et certains secteurs économiques n’a pas été suivie par une normalisation culturelle, sportive ou populaire », explique Al-Sayed qui se demande, 40 ans après leur signature : que reste-t-il des accords de Camp David ? Israël et l’Egypte vivent en paix même si les relations bilatérales sont limitées. L’élargissement de la paix au monde arabe n’a pas eu lieu. Quant au règlement de la question palestinienne, il est sans cesse renvoyé aux calendes grecques.

Retour sur les dates-clés

9 novembre 1977 : Le président Sadate stupéfait le monde en annonçant son intention de se rendre en Israël. « Je suis prêt à me rendre chez eux à la Knesset pour discuter. Je suis prêt à me rendre au bout du monde si cela peut éviter qu’un de mes soldats ou officiers ne soit blessé », avait-il déclaré. Six jours plus tard, le premier ministre israélien, Menahem Begin, l’invite officiellement.

9 novembre 1977 : Sadate arrive à Jérusalem, s’entretient avec le chef du gouvernement et propose devant la Knesset une paix « juste et durable » dans la région. La visite est historique, car jusqu’ici tous les contacts égypto-israéliens étaient secrets.

7 septembre 1978 : Le président Sadate signe avec Menahem Begin, alors premier ministre israélien, les accords de Camp David, sous le parrainage du président américain Jimmy Carter. Il a fallu 288 heures de négociations ardues pour parvenir à la signature de ces accords intitulés : « Cadre pour la conclusion d’un traité de paix entre l’Egypte et Israël » et « Cadre pour la paix au Proche-Orient ». Le premier protocole est un cadre pour la paix au Proche-Orient, qui prévoit une période transitoire de cinq ans pendant laquelle des négociations auront lieu sur le statut de la Cisjordanie et de Gaza (territoires palestiniens). Le préambule souligne que « la base convenue pour un règlement pacifique du conflit entre Israël et ses voisins est la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations-Unies, dans toutes ses parties ». Le second texte stipule que les deux pays se sont engagés à signer un traité de paix dans les trois mois. Israël s’engage à rétablir la souveraineté égyptienne sur le Sinaï et à effectuer un retrait substantiel de ses troupes trois à neuf mois après la signature du traité. Il stipule aussi la reconnaissance par l’Egypte du droit de libre passage des navires israéliens dans le Canal de Suez, le détroit de Tiran et le golfe de Aqaba. Aux deux documents sont jointes des lettres de « clarification » échangées lors du sommet. Celles-ci confirment un désaccord total entre l’Egypte et Israël sur Jérusalem, et des divergences sur l’avenir de la Cisjordanie et de Gaza.

10 décembre 1978 : Les efforts de Sadate et de Begin sont couronnés par le prix Nobel de la Paix.

6 mars 1979 : Un traité respectant les accords de Camp David était signé.

6 mars 1979 : L’Egypte est exclue de la Ligue arabe et les quartiers généraux de la ligue sont transférés du Caire à Tunis. L’adhésion de l’Egypte à la ligue a été rétablie en 1990.

1981 : Sadate est assassiné par des islamistes hostiles aux accords de paix avec Israël.

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