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Le Caire-Washington : des liens plus forts

May Al-Maghrabi, Mardi, 31 juillet 2018

L’Administration américaine a rétabli une aide militaire de 195 millions de dollars destinée à l’Egypte, et gelée depuis 2017. Une décision qui reflète l’importance du Caire dans la politique régionale des Etats-Unis.

Le Caire-Washington : des liens plus forts

L’administration américaine de Donald Trump a décidé de débloquer une aide militaire de 195 millions de dollars à l’Egypte, gelée début 2017. « Nous reconnaissons les mesures prises par l’Egypte en réponse aux inquiétudes des Etats-Unis, l’Administration a donc décidé de permettre à l’Egypte d’utiliser les 195 millions de dollars (suspendus depuis 2017 », a indiqué le département d’Etat américain dans un communiqué publié mercredi 25 juillet. « Les Etats-Unis sont déterminés à renforcer leurs relations stratégiques avec l’Egypte », ajoute le communiqué, évoquant notamment des « objectifs communs en matière de sécurité et de contre-terrorisme ».

Selon le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Ahmad Abou-Zeid, le secrétaire d’Etat américain, Michael Pompeo, a informé son homologue Sameh Choukri de la décision américaine lors d’un appel téléphonique, mardi 24 juillet, mais l’Etat égyptien a préféré laisser Washington l’annoncer. « La décision de Washington reflète l’importance des relations égypto-américaines », a souligné Abou-Zeid. Choukri a évoqué avec son homologue américain le renforcement de la coopération bilatérale en matière de lutte contre le terrorisme, ainsi que les dossiers régionaux. Le secrétaire d’Etat américain a affirmé, lui, « l’engagement de son pays pour renforcer les relations stratégiques avec l’Egypte ». Pour rappel, début 2017, Le Caire avait vivement réagi après la décision du Congrès américain de geler ces fonds en raison de « mauvais résultats en matière de démocratie et de libertés civiles ».

Fin mai dernier, lors de la visite d’une délégation du Congrès en Egypte, le chef de la diplomatie égyptienne a déclaré que « l’aide américaine à l’Egypte au cours de la dernière période ne reflète pas la particularité des relations bilatérales et ne sert pas les intérêts communs ». Barack Obama avait aussi décidé, en 2013, de geler partiellement l’aide militaire à l’Egypte (1,3 milliard de dollars), invoquant des « atteintes aux droits de l’homme », puis il l’a rétablie en mars 2015.

Changement de position

Le Caire-Washington : des liens plus forts

Aujourd’hui, le déblocage de l’aide militaire réconforte Le Caire, affirme Tareq Fahmi, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, et reflète l’importance de l’Egypte dans la lutte contre le terrorisme. « Cette décision a été devancée par plusieurs signes positifs marquant un changement dans la position de l’Administration américaine vis-à-vis de l’Egypte et surtout une meilleure compréhension de la situation en Egypte », affirme Fahmi. Il y a eu d’abord la reprise, en septembre dernier, des exercices militaires conjoints Bright Star suspendus depuis 2009, et ce, alors qu’un exercice naval égypto-américain est en cours cette semaine (voir photo-légende). Outre la coopération militaire, il y a d’autres indices positifs.

« On ne peut pas séparer cette décision de la reconnaissance, il y a deux semaines par le Congrès américain, du danger que représentent les Frères musulmans pour la sécurité nationale américaine », note Fahmi qui souligne aussi qu’une délégation sécuritaire de haut niveau présidée par le général Abbass Kamel, chef des renseignements généraux, a effectué récemment une visite aux Etats-Unis pour discuter de la coopération sécuritaire et militaire. « La visite de cette délégation a contribué au dégel de l’aide militaire. Quand la décision de suspendre l’aide a été prise en 2017, elle était basée sur des informations erronées sur l’état de droits de l’homme. Aujourd’hui, grâce aux efforts égyptiens, l’Administration américaine a réalisé que le gel de l’aide américaine était une mauvaise décision, car basée sur des informations mensongères présentées par les Frères comme par certains activistes hostiles au régime. D’où l’importance des contacts et des visites menées, au cours des derniers mois, par les responsables égyptiens pour dévoiler la vérité de la situation dans un pays qui lutte contre le terrorisme », analyse Fahmi.

Le jeu des intérêts américains dans la région

Le Caire-Washington : des liens plus forts

Le politologue Amr Abdel-Ati, spécialiste des affaires américaines, estime que pour maintes raisons, il était impossible que les Etats-Unis maintiennent sine die la suspension de l’aide. D’ailleurs, il rappelle que cette aide est importante pour les intérêts stratégiques et économiques tant des Etats-Unis que de l’Egypte. Le rétablissement de l’aide est lié à la politique de l’Administration américaine dans la région. L’Administration Trump se soucie plus de la sécurité du Proche-Orient, indispensable pour préserver les intérêts américains. Une sécurité que le président américain veut assurer sans intervenir directement dans la région. Dans ce contexte, l’Egypte demeure pour les Etats-Unis un pivot et un acteur influent dans la région, surtout dans les conflits en Libye, en Syrie et au Yémen. L’Egypte est aussi le principal médiateur dans le processus de paix entre Israël et les Palestiniens, et entre les factions palestiniennes.

L’Egypte est la première ligne de défense dans la guerre contre le terrorisme, essentielle pour les intérêts américains au Moyen-Orient. « En fortifiant le rôle égyptien dans la région, les Etats-Unis évitent une intervention américaine dans les zones de conflits dans la région. Chose qui arrange certes le président Trump qui a exprimé sa volonté de prendre ses distances vis-à-vis des conflits interarabes », explique Abdel-Ati, qui affirme que c’est par pur pragmatisme que l’Administration américaine a dégelé l’aide militaire à l’Egypte. Il évoque notamment une volonté américaine de former une alliance sécuritaire et politique au Moyen-Orient avec des pays arabes dont l’Egypte, la Jordanie et les pays du Golfe, servant de rempart contre l’agression iranienne, le terrorisme et l’extrémisme. « L’Administration Trump est consciente de l’importance de l’Egypte et de son rôle axial dans la région », affirme le politologue.

Et d’ajouter que malgré les divergences sur certains dossiers régionaux comme le statut de Jérusalem, Le Caire n’a jamais exprimé son intention de remettre en cause son partenariat avec Washington. Selon lui, même l’ouverture du Caire envers la Russie visait plutôt à inciter Washington à établir des relations équilibrées avec Le Caire. « L’Egypte a intérêt à maintenir ses liens avec les Etats-Unis qui lui permettent de se doter d’armes sophistiquées. Or, l’Egypte cherche à reformuler ses relations avec les Etats-Unis sur des bases d’indépendance, ce qui lui permet de préserver ses intérêts stratégiques et son engagement régional sans se heurter aux intérêts américains », conclut le politologue.

Exercice naval multipartite

Des unités des forces navales spéciales égyptienne, américaine, saoudienne et émiratie ont participé à partir du 24 juillet à l’exercice militaire conjoint « Eagle Greeting-Eagle Response 2018 » en mer Rouge. La Jordanie, le Pakistan et la Corée du Sud y participent en tant qu’observateurs. L’exercice avait commencé par des cours théoriques sur les moyens de détecter les mines. L’exercice a aussi inclus des travaux de recherche par des véhicules télécommandés et des exercices sur le droit de visite et d’inspection des navires suspects ainsi que l’entraînement aux moyens d’attaquer les côtes. Les exercices s’inscrivent dans le cadre du renforcement de la coopération militaire entre l’Egypte et les pays amis, et qui visent à échanger les expertises et à développer les forces armées conformément aux derniers systèmes de combat. Ils s’inscrivent aussi dans le cadre de la coopération entre les forces armées égyptiennes et américaines.

A noter que la coopération militaire égypto-américaine a connu un essor relatif pendant ces derniers mois, avec surtout la reprise, en septembre dernier, des exercices militaires égypto-américains « Bright Star » suspendus en 2009. Selon le général Nasr Salem, expert militaire, la coopération militaire égypto-américaine a de beaux jours devant elle. « Chacune des deux parties a besoin de l’autre. L’Egypte a besoin des Etats-Unis pour profiter des armes avancées et la formation des militaires. Et les Etats-Unis, pour bénéficier de la position stratégique de l’Egypte au Moyen-Orient », conclut l’expert.

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