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Halte à l’explosion démographique

May Atta, Mercredi, 20 juin 2018

Pour réduire le taux de croissance démographique, le ministère de la Solidarité sociale vient de lancer l’initiative « Deux ça suffit ». Celle-ci s’adresse aux femmes bénéficiant du programme Takafol wa Karama dans 10 gouvernorats, dont 9 en Haute-Egypte.

Halte à l’explosion démographique
Selon l’Organisme central pour la mobilisation et le recensement (CAPMAS), l’Egypte compte actuellement 104 millions d’habitants.

« Deux ça suffit » est un nouveau projet de sensibilisation lancé par le ministère de la Solidarité sociale afin de diminuer le taux de croissance démographique en Egypte. Cette campagne arrive en réponse aux directives du président Abdel-Fattah Al-Sissi qui a mis en garde, à maintes reprises, contre l’impact d’une croissance démographique trop élevée sur le développement. Le président avait appelé à étudier les moyens de faire face à ce défi majeur alors que le taux de croissance enregistre un chiffre record. Selon l’Organisme central pour la mobilisation et le recensement (CAPMAS), l’Egypte compte actuellement 104 millions d’habitants. Il y a 5691 naissances par jour. La population, qui doublait autrefois tous les 50 ans, double aujourd’hui tous les 27 ans.

Le ministère de la Solidarité sociale en collaboration avec le ministère de la Santé, des ONG, le Conseil national de la femme et le Conseil national de la population ont lancé, il y a quelques mois, le projet « Deux ça suffit ». Objectif: sensibiliser les femmes au concept de planning familial et leur fournir les moyens de contraception nécessaires (voir sous-encadré).

Le projet, qui s’adresse à environ 1,149 million de femmes, vise à réduire la natalité à 24 enfants pour 10 familles au lieu de 35 actuellement. C’est ce qu’explique Randa Farès, responsable du projet au ministère de la Solidarité sociale. « Pour l’application de ce projet, le ministère a choisi les femmes qui profitent déjà du programme Takafol wa Karama (solidarité et dignité) lancé il y a deux ans, car celles-ci sont déjà en contact direct avec le ministère et profitent des aides présentées par le programme », explique Farès.

Objectif : les femmes de 15 à 45 ans

Halte à l’explosion démographique
Le projet, qui s’adresse à environ 1,149 million de femmes, vise à réduire la natalité à 24 enfants par 10 familles au lieu de 35 actuellement.

Le projet s’adresse aux femmes de 15 à 45 ans. Comme l’expliquent les responsables, les premières visées sont les familles pauvres et qui ont des enfants scolarisés. Ainsi, toutes les femmes analphabètes qui ont reçu l’aide du programme Takafol wa Karama, qui ont appris à lire et à écrire ou qui se sont procurées un travail à travers ce programme sont concernées par le projet. « C’est à cette première catégorie que nous nous adressons. Il est sûrement plus facile de convaincre une femme qui travaille et qui est lettrée que deux enfants suffisent », explique Farès.

Et d’ajouter: « Le projet sera appliqué dans 2257 villages dans 10 gouvernorats, dont 9 en Haute-Egypte, où les taux de croissance démographique et de pauvreté sont très élevés », estime Farès. Les habitants de la Haute-Egypte représentent 25% de la population égyptienne, et représentent, à eux seuls, 40% des naissances en Egypte.

Mohamad Abdel-Guélil, conseiller du président du CAPMAS, affirme qu’il est assez logique qu’un projet pareil vise en premier lieu la Haute-Egypte. « L’analphabétisme, le mariage précoce, et les traditions sont très répandus dans cette région. L’absence de sensibilisation est la première raison de la croissance démographique démesurée en Haute-Egypte », explique-t-il.

Selon les statistiques, le taux d’analphabétisme et le taux de pauvreté atteignent 50 % dans cette région. Et c’est également en Haute-Egypte que se trouve le taux de chômage le plus élevé. Et selon Abdel-Guélil, ce sont surtout les femmes de Haute-Egypte qui souffrent le plus de cette situation. « Plus le niveau d’éducation des femmes est élevé, moins elles ont le risque de se marier très jeunes ou d’avoir des enfants à un âge précoce », explique-t-il.

Pour Abdel-Guélil, l’analphabétisme et le chômage des femmes sont les principales causes de la croissance démographique élevée. « 27 % des Egyptiens, dont la plupart sont des femmes, sont analphabètes. Le taux de chômage en Egypte tourne autour de 11,5%, mais le taux de chômage des femmes est de 26%. Si le pays ne parvient pas à résoudre ces deux problèmes, il sera difficile de freiner la croissance démographique », explique-t-il.

Pour réaliser cet objectif, un budget de 85 millions de L.E. a été débloqué, dont 75 millions par le ministère de la Solidarité sociale et le reste, soit 10 millions de L.E., par le Fonds des Nations-Unies pour la population. « La période fixée pour mener ce projet est deux ans. Si le budget du ministère de la Solidarité sociale le permet, le projet sera mené au niveau de l’ensemble de la population et pas seulement au niveau des femmes du programme Takafol wa Karama», dévoile Farès.

Au-delà du projet

Bien que la plupart des experts aient salué le projet, ils assurent que cette initiative ne peut résoudre, à elle seule, le problème de la croissance démographique. C’est du moins ce que pense Viviane Fouad, experte en développement et responsable au Conseil national de la population. Elle explique que le projet de « Deux ça suffit » est une étape positive, mais qui reste insuffisante pour une lutte réelle contre l’explosion démographique. L’experte souligne que sur le plan technique, pour diminuer le taux de croissance démographique, il faut un projet applicable sur 10 ou 15 ans, et non pas sur deux ans comme le projet en cours. De plus, ajoute Fouad, le budget consacré à de tels projets, doit faire partie du budget annuel de l’Etat et non pas avoir un budget ministériel occasionnel. Viviane Fouad ajoute qu’il faut des cliniques publiques de planning familial dans tous les gouvernorats et pas seulement celles des ONG. « Les moyens de contraception doivent être accessibles dans les cliniques et les hôpitaux publics et privés et les pharmacies à bas prix et pas seulement dans 70 cliniques appartenant à des ONG. C’est l’un des rôles du gouvernement. Il doit construire des cliniques dans les villages où il n’y a pas de services de planning familial. Ces cliniques doivent suivre périodiquement l’état de santé de chaque femme », estime-t-elle. Un avis partagé par Khaled Samir, membre du conseil de l’ordre des Médecins, qui assure qu’il existe effectivement un manque de moyens de contraception dans les pharmacies: « Certains moyens de contraception sont introuvables. Le gouvernement doit fournir ces moyens dans les pharmacies, les cliniques et les hôpitaux publics et privés et à bas prix, pour garantir leur accessibilité à toutes les femmes et à tout moment ».

Il ajoute qu’il faut aussi commencer à travailler sur les mentalités et l’héritage social qui entravent les efforts de planning familial. Il appelle à lancer des campagnes de sensibilisation dans les écoles, les universités et les institutions religieuses. « Le gouvernement doit avoir un programme de sensibilisation expliquant les bienfaits d’avoir une petite famille de deux ou trois enfants au maximum et montrant la manière d’utiliser les contraceptifs ainsi que les lieux où les femmes peuvent les obtenir. Il faut publier des livres pour les étudiants des écoles et des universités énumérant les avantages économiques et sociaux d’avoir une petite famille », conclut Samir.

Les ONG à pied d’oeuvre

100 ONG dépendant du ministère de la Solidarité sociale dans 10 gouvernorats sont responsables du projet « Deux ça suffit ». Randa Farès, la responsable du projet, assure que le ministère a choisi les ONG les plus proches des femmes dans leurs régions et qui ont une bonne réputation.

Après avoir suivi une formation par le Fonds des Nations-Unies pour la population, les membres des ONG se chargent de contacter et visiter les femmes dans leurs gouvernorats. « Les ONG doivent faire 342000 visites en vue d’une sensibilisation directe, et organiser 408 séminaires par mois », explique Farès. Elle ajoute qu’un médecin et une infirmière, bien formés par le ministère de la Santé, recevront les femmes dans 70 cliniques dirigées par les ONG. La plupart de ces cliniques seront dans des régions dépourvues de ce genre de service. Le ministère de la Santé se chargera d’équiper les clinques afin de fournir gratuitement aux femmes les moyens de contraception. « Le médecin et l’infirmière ont pour rôle de choisir le moyen de contraception convenable à chaque femme en leur expliquant ses effets secondaires. Ils doivent aussi suivre l’état de santé des femmes périodiquement », assure Farès.

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