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Personnes souffrant d’un handicap : Une bataille gagnée

Nada Al-Hagrassy, Mardi, 10 avril 2018

Une nouvelle loi relative aux personnes souffrant d'un handicap vient de voir le jour. Elle assure notamment à ces dernières une meilleure protection sociale dans le but de mieux les inclure dans la société. Décryptage.

Personnes souffrant d’un handicap  : Une bataille gagnée
L'intégration des enfants handicapés aux écoles publiques est l'un des acquis de la nouvelle loi.

Le président Abdel-Fattah Al-Sissi vient de ratifier la nouvelle loi relative aux personnes souffrant d’un handicap, après approbation du parlement. Composée de 55 articles, la loi remédie aux failles de celle actuellement en vigueur et répond aux revendications tant réclamées par les personnes souffrant d’un handicap, au nombre de 11 millions en Egypte. Députés, responsables et ONG se félicitent d’une loi qui assure le droit de ces personnes à une vie digne, même si d’aucuns affichent des réserves.

Parmi les nouveautés de la loi figure l’inclusion des personnes de petite taille dans la catégorie des handicaps, et la reconnaissance, pour la première fois, du droit des personnes souffrant d’un handicap mental au mariage. Mariage qui, même s’il n’était pas interdit autrefois par un texte de loi, n’était pas reconnu par la société. La loi présente aussi une définition précise du handicap, de sorte à n’omettre aucune catégorie. Elle définit ainsi le handicap comme toute carence des possibilités d’interaction d’une personne avec son environnement causée par une déficience qui provoque une incapacité permanente et qui mène à des difficultés mentales, intellectuelles, sociales et physiques. En vue de leur protection contre toutes sortes d’abus physiques, la loi criminalise la pratique d’opérations de stérilisation ou d’avortement sur les personnes souffrant d’un handicap. Elle leur assure en outre le droit au logement et à l’éducation (voir sous-encadré).

« C’est un triomphe pour la cause des personnes souffrant d’un handicap d’avoir une loi intégrale qui leur offre la protection nécessaire à tous les niveaux et défend leurs droits », se félicite la députée Heba Hagras, présidente du comité de la solidarité sociale au parlement. Elle indique que la promulgation de cette loi reflète l’intérêt qu’accorde l’Etatau dossier des droits des personnes ayant des besoins spéciaux, surtout que le président Abdel-Fattah Al-Sissi a déclaré l’année 2018 « année des personnes souffrant d’un handicap ». Ceci en respect des textes de la Constitution de 2014, dont l’article 53 interdit toute discrimination à l’égard des citoyens ayant un handicap, alors que l’article 81 stipule que l’Etat doit garantir tous les droits aux personnes souffrant d’un handicap, que ce soit du point de vue économique, social, culturel, sportif, éducatif, et même du point de vue des divertissements et des services publics.

Pour la députée, l’intégration des personnes souffrant d’un handicap dans les écoles et les universités publiques comme privées est l’un des plus importants acquis de la loi. « Il était discriminatoire de les traiter comme une catégorie à part en les obligeant à suivre leurs études dans des écoles spéciales », déclare-t-elle. Il est à cet égard important de rappeler que, selon les chiffres du ministère de l’Education, en 2016, seulement 63000 des 2,25 millionsd’enfants avec un handicap étaient inscrits dans les écoles égyptiennes, soit environ 2,8% des enfants handicapés en âge de scolarisation. « L’une des raisons du faible taux de scolarisation des enfants souffrant d’un handicap était le manque du nombre d’écoles spéciales. Sous la nouvelle loi, la possibilité d’inscrire leurs enfants dans les écoles normales, présentes dans tous les gouvernorats, encouragera les familles à les scolariser, puisqu’ils auront accès à des écoles proches de leur lieu de résidence », indique Hagras.

Intégration assurée

Quant à Salwa Hussein, souffrant elle-même d’un handicap physique et qui a participé au débat social sur le projet de loi, trouve que l’aspect positif de la nouvelle loi ne se limite pas au fait qu’elle offre une assurance sociale et médicale aux personnes avec un handicap. Elle souligne que la loi assurera l’intégration des personnes souffrant d’un handicap à la société en tant que citoyens sur un pied d’égalité avec les autres. « Cette loi vient couronner la lutte des personnes ayant un handicap, qui ont été marginalisées sous l’ancienne loi n°39 de l’année 1975, qui se focalisait sur la réhabilitation sans leur garantir aucun droit, ni aucune protection. La nouvelle loi devra permettre qu’on soit traité en tant que citoyen ayant des besoins spéciaux et non pas en tant qu’une catégorie à part », indique Hussein. Elle estime que pour que la loi puisse atteindre ses objectifs, son exécution doit créer un environnement qui réponde aux besoins des personnes souffrant d’un handicap. A titre d’exemple, elle trouve que même s’il est positif que la loi offre une réduction de 50% sur les tickets des moyens de transports publics pour les personnes avec un handicap, cela ne suffit pas. « Ce n’est pas moins important d’exiger l’aménagement des stations de métro et des trottoirs pour faciliter le déplacement des handicapés », explique-t-elle.

Des réserves persistent

Mona Almaz, ayant elle aussi un handicap physique et membre d’une ONG pour les personnes souffrant d’un handicap, ne minimise pas l’importance de cette loi. Or, elle se méfie de la possibilité que certains contournent ses articles. Elle donne l’exemple de l’obligation des employeurs à engager 5 % de personnes avec un handicap, un pourcentage qui figurait déjà dans l’ancienne loi et que la nouvelle loi a maintenu. « Ce taux n’a jamais été respecté. C’est pourquoi la nouvelle loi prévoit des peines de prison et des amendes contre tout patron d’entreprise publique ou privée qui s’abstient d’appliquer le taux d’embauche fixé pour les personnes avec un handicap. Mais il est aussi important de mettre en place un système de suivi et de contrôle assurant l’application stricte de cette clause », souligne Almaz. Et d’ajouter: « Certains patrons obligent les personnes souffrant d’un handicap à signer un document. Il s’agit d’une démission signée d’avance, et c’est devenu une pratique très courante en l’absence d’une véritable surveillance de la part des instances concernées », ajoute-t-elle.

Un avis partagé par Mohamed Chaarawi, malvoyant et chef du syndicat des Personnes souffrant d’un handicap, encore non officiel pour l’instant. Il affirme que maintes entreprises privées recrutent des personnes avec un handicap pour profiter d’une exonération d’impôts, tout en leur payant une somme dérisoire qui ne dépasse pas les 250 L.E. Ils profitent donc d’une exonération de milliers de L.E. contre le versement d’une somme qui ressemble plus à une aumône aux personnes qu’ils engagent. « Alors que certaines de ces personnes ont obtenu des médailles d’argent et de bronze aux Jeux paralympiques », explique amèrement Chaarawi.

Loin de baisser les bras, surtout avec la promulgation de la nouvelle loi, ce dernier est actuellement en train de récolter 20000 signatures de personnes souffrant d’un handicap pour fonder le premier syndicat officiel pour les personnes ayant un handicap. « Cela nous permettra de surveiller l’exécution des articles de la loi pour qu’elle nedevienne pas lettre morte », indique-t-il. Il a également l’intention de fonder une entreprise dans laquelle les personnes avec un handicap constituent 95 % de l’effectif. « Cela nous permettra de montrer les vraies capacités des personnes ayant des besoins spéciaux. Nous ne sommes ni entrave, ni fardeau pour la société. C’est tout à fait le contraire et nos exploits sportifs le montrent bien », déclare Chaarawi.

Mona Almaz souligne, quant à elle, que la loi est un pas important en faveur des personnes souffrant d’un handicap, mais qu’elle ne suffit pas à résoudre tous leurs problèmes. Ainsi, l’ONG dont elle est membre lancera une campagne de sensibilisation destinée à faire connaître leurs droits aux personnes avec un handicap. « L’ignorance, soit de la part des personnes avec un handicap elles-mêmes, soit de la part des fonctionnaires dans les établissements publics, des droits des personnes ayant des besoins spéciaux, entrave souvent l’accès de ces personnes aux services et avantages que leur offre la loi. A titre d’exemple, beaucoup de fonctionnaires ignorent que les personnes souffrant d’un handicap ont droit à 5 % des postes dans les établissements publics ou à un pourcentage de logements construits par le gouvernement », dit Almaz, ajoutant que la réussite de la nouvelle loi dépendra en premier lieu de la volonté politique de servir les personnes ayant un handicap et d’une culture sociale en faveur de leurs droits.

Principaux points de la nouvelle loi relative aux personnes souffrant d’un handicap

— La loi stipule le droit des personnes souffrant d’un handicap à tous les services et les activités. Elle prévoit en outre des peines de six mois de prison ou une amende de 10000 L.E. pour les personnes qui se font passer pour une personne ayant un handicap ou qui aident d’autres personnes à le faire.

— En vue de protéger les personnes souffrant d’un handicap des abus, la loi incrimine toute forme de discrimination ou de ségrégation à leur égard.

— Les personnes souffrant d’un handicap auront accès aux écoles et universités gouvernementales et privées. La loi exige aussi qu’au moins 10% des places dans les résidences universitaires leur soient réservées. Elle sanctionne toute personne contribuant à priver un enfant souffrant d’un handicap d’éducation.

— Parmi les avantages qu’apporte la nouvelle loi figure aussi l’exigence de l’Etat de consacrer un taux de 5 % des logements construits aux personnes souffrant d’un handicap. Pour assurer l’application rigoureuse de cette clause, la loi prévoit une peine de prison de 6 mois à un an de prison ou une amende de 10000 à 30000 L.E., multipliée par le nombre de cas d’infraction, pour tout responsable qui ne respecte pas la loi.

— En vertu de la nouvelle loi, les personnes ayant un handicap profiteront d’une réduction de 50% sur tous les transports publics. Quant aux véhicules équipés pour répondre à leurs besoins, ils seront exempts de taxes. La loi offre aussi une exemption fiscale pour les personnes souffrant d’un handicap et leurs proches du premier et deuxième degrés qui s’occupent d’elles. Toutes les personnes souffrant d’un handicap seront par ailleurs couvertes par une assurance médicale intégrale.

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