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Tiran et Sanafir, à qui le dernier mot ?

May Al-Maghrabi, Mercredi, 14 juin 2017

Le commission des lois au Conseil des députés a entamé cette semaine le débat sur la rétrocession des îles de Tiran et Sanafir à l’Arabie saoudite, sur fond d'imbroglio juridique. La controverse porte sur la compétence du parlement à trancher l'affaire.

Tiran et Sanafir, à qui le dernier mot ?
Les discussions de l'affaire de Tiran et Sanafir ont donné lieu à un débat houleux. (Photo : Khaled Mechaal)

Le débat parlementaire sur l’accord de démarcation des frontières maritimes entre l’Egypte et l’Ara­bie saoudite bat son plein. La com­mission des lois a tenu plusieurs audiences auxquelles ont participé des représentants du gouvernement, des députés et des spécialistes du droit international et du droit mari­time. La guerre « des documents » s’est enflammée entre les partisans et les détracteurs de l’accord. Dans sa déclaration devant la commission, le gouvernement a assuré que les îles sont « saoudiennes ». Le gouverne­ment affirme, documents à l’appui, que ces îles n’ont jamais été égyp­tiennes. « Riyad a demandé en 1950 à l’Egypte d’assurer la sécurité des deux îles », dit le gouvernement. Mais des députés de la coalition parlementaire d’opposition 25-30 ainsi que des experts ont présenté eux aussi des documents pour ten­ter de prouver que l’Egypte a exercé sa souveraineté sur ces îles en vertu d’un traité datant de 1906, soit un quart de siècle avant la création de l’Arabie saoudite.

Signé en avril 2016, lors d’une visite du roi Salman d’Arabie saou­dite en Egypte, l’accord de démarca­tion des frontières maritimes est au centre d’un débat houleux, et a déjà fait couler beaucoup d’encre. En vertu de cet accord, les deux îles de Tiran et Sanafir sont reconnues saoudiennes par l’Egypte. L’accord a soulevé une controverse politico-judiciaire entre les opposants et les partisans de l’accord. « Nous sommes tous patriotiques et prêts à défendre notre pays. Les divergences de points de vue ne justifient pas l’échange d’accusations », a déclaré Ali Abdel-Al, président du parle­ment, lors d’une séance tumultueuse lundi, pour atténuer le climat tendu. « Nous sommes réunis pour écouter les avis et les arguments des respon­sables et des experts. Notre ultime but c’est d’arriver à la vérité. Tout le monde doit enfin accepter la déci­sion finale du parlement qui sera prise via un vote transparent », a martelé Abdel-Al. Mais ces propos n’ont pas désamorcé la tension entre les députés. Certains députés sou­tiennent l’accord et pensent que la décision de céder ou non les deux îles appartient au parlement. Alors que d’autres rejettent les arguments du gouvernement et contestent le droit du parlement à débattre d’un accord jugé caduc par la Haute Cour Administrative (HCA) en janvier dernier.

Le Conseil des ministres avait donné son aval à cet accord en décembre 2016 et l’a transmis au parlement pour approbation. Une mesure controversée, puisque l’ac­cord fait toujours l’objet de litiges judiciaires entre les détracteurs de cet accord et le gouvernement. En avril dernier, la Cour des référés avait reconnu la validité de l’accord et invalidé le verdict de la HCA. Cette dernière avait jugé, le 16 jan­vier, caduc l’accord sur la rétroces­sion des îles à l’Arabie saoudite, rejetant un pourvoi présenté par le gouvernement contre l’invalidation de l’accord par le Conseil d’Etat.

Le front de défense de Tiran et Sanafir, géré par l’avocat Khaled Ali, a contesté devant la justice administrative le droit du parlement de trancher l’affaire. Mais l’imbro­glio juridique persiste, et le gouver­nement a soumis le dossier au parle­ment et lui a présenté tous les docu­ments appuyant la validité de sa position en ce qui concerne la signa­ture de cet accord.

Lors de la déclaration du gouver­nement devant la commission des lois, le ministre des Affaires étran­gères, Sameh Choukri, a affirmé aux députés que la décision du gouver­nement d’approuver la signature de l’accord sur la démarcation des fron­tières maritimes avec l’Arabie était basée sur un rapport élaboré par un comité national ayant conclu qu’il n’existe aucun fondement juridique qui prouve la possession par l’Egypte des îles de Tiran et Sanafir. « Ce comité national formé en 2010 regroupe des représentants des ministères des Affaires étrangères, de la Défense et des services de ren­seignements », a précisé Choukri. « Le comité national a conclu que l’ancien président Hosni Moubarak avait ratifié un accord en janvier 1990 (décret 27 du 1990), recon­naissant que les deux îles de Tiran et Sanafir font partie de l’Arabie saou­dite », a-t-il ajouté, indiquant que le comité national s’est aussi référé à une lettre envoyée en mars 1990 par l’ancien ministre des Affaires étran­gères, Esmat Abdel-Méguid, à son homologue saoudien, l’informant de la reconnaissance du gouvernement que « les îles sont saoudiennes ». Selon le ministre, l’Egypte a pris la responsabilité de ces deux îles saou­diennes en 1967 « afin de les proté­ger contre l’agression israélienne », mais en raison de ses engagements internationaux, surtout le traité de paix avec Israël, l’Egypte a demandé aux Israéliens de respecter l’accord entre l’Egypte et l’Arabie saoudite après son entrée en vigueur. Les deux îles ont une importance straté­gique. Elles contrôlent l’entrée du Golfe de Aqaba et donc du port israélien d’Eilat et celui jordanien de Aqaba. La fermeture du détroit de Tiran par Nasser avait provoqué la guerre de 1967 avec Israël qui a occupé les deux îles jusqu’au traité de paix entre l’Egypte et Israël.

Les arguments du gouvernement

Tiran et Sanafir, à qui le dernier mot ?
Les discussions de l'affaire de Tiran et Sanafir ont donné lieu à un débat houleux. (Photo : Khaled Mechaal)

La déclaration de Choukri rime avec un rapport gouvernemental présenté à la commission des lois cette semaine. « Les deux îles ont toujours été une partie de l’Arabie saoudite et elles n’ont jamais été une propriété égyptienne », souligne le rapport selon lequel « les Saoudiens ont béni le contrôle égyp­tien des deux îles parce qu’ils étaient conscients de leur importance stra­tégique pour la sécurité nationale de l’Egypte ». Le rapport souligne en outre que l’Egypte avait informé les Nations-Unies à plusieurs reprises qu’elle n’avait pas de souveraineté sur les deux îles. Selon le gouverne­ment, en mai 1967, le délégué per­manent de l’Egypte à l’Onu a affir­mé dans une lettre officielle que l’Egypte « n’a jamais essayé d’im­poser son contrôle sur les deux îles ou de revendiquer la souveraineté sur elles ». Le rapport note que l’Egypte conservera le droit d’admi­nistration des deux îles même après la ratification de l’accord.

Zones d’ombre

Dans un communiqué publié dimanche, l’Association de la pro­tection de la Constitution, présidée par Amr Moussa, ancien candidat présidentiel, et ancien président de la Ligue arabe, a dénoncé la discus­sion de l’accord au parlement, alors que la justice n’a pas encore tranché le litige judiciaire sur les îles. Créée en mars 2016, dans le but d’ancrer une « culture constitutionnelle », cette association regroupe des per­sonnalités politiques et publiques comme le politologue Amr El-Shobaky, le chirurgien cardiaque éminent Magdi Yaacoub, et le romancier Bahaa Taher. Le commu­niqué appelle le parlement à remettre les discussions sur le dossier jusqu’à ce que le litige juridique soit tran­ché.

La controverse porte sur la nature même de l’accord. S’agit-il d’un acte de souveraineté ou non ? En vertu de l’article 151 de la Constitution, le président de la République conclut des accords et des conventions internationaux, mais ne les ratifie qu’après l’appro­bation du parlement, à l’exception cependant des accords relatifs aux coalitions internationales et à la sou­veraineté qui ne peuvent être ratifiés qu’après leur soumission à un réfé­rendum populaire. Se prononçant devant les députés, le conseiller Omar Marawan a affirmé que le parlement a le plein droit de discuter cet accord et d’en décider. « Cela relève du rôle du parlement, confor­mément à l’article 151 de la Constitution, qui accorde au parle­ment le droit d’approuver les accords et les conventions interna­tionaux d’une part. D’autre part, la Cour des référés a décidé que la justice administrative ne statue pas sur les accords de démarcation des frontières », a défendu Marawan. Défense partagée par le juriste Bahaa Abou-Chouqqa, président de la commission des lois au parle­ment. « Il s’agit d’un accord inter­national sur la démarcation des frontières que le parlement est habi­lité en vertu de la Constitution à approuver ou à modifier. Si les docu­ments et les débats prouvent que ces îles appartiennent à l’Arabie saou­dite, l’accord sera valide sans réfé­rendum après la ratification du pré­sident de la République », indique-t-il. Avis rejeté par la coalition parle­mentaire 25-30 regroupant des députés indépendants. Le député Ahmad Al-Tantawi, qui appelle à soumettre l’accord à un référendum populaire, rappelle que l’accord a été annulé en juin 2016 par le Conseil d’Etat et en janvier 2016 par la HCA, plus haute juridiction. Dans les attendus du jugement, la HCA avait souligné que la souveraineté de l’Egypte sur ces îles « ne pouvait être abandonnée ».

« Le parlement n’a pas le droit de décider d’un accord invalidé par la plus haute juridiction du pays. Même si la compétence de la HCA est en pourvoi devant la Haute Cour constitutionnelle, il fallait attendre le verdict qui n’est pas encore pro­noncé », appelle Al-Tantawi. Réagissant aux docu­ments présentés par le gouverne­ment, Al-Tantawi note qu’en vertu de l’accord de paix signé entre l’Egypte et Israël, ces îles sont dans la zone C sous le contrôle de l’Egypte, et l’Arabie saoudite n’a jamais été mentionnée durant les négociations. Position partagée par le député Khaled Youssef, de la coa­lition 25-30, qui insiste sur le fait que le parlement « n’a pas le droit de discuter cet accord ». Il réclame, au nom de la coalition, au président du parlement de permettre à des juristes et des experts qui estiment que les îles sont égyptiennes d’ex­pliquer devant le parlement les documents auxquels ils se réfé­rent. Une demande acceptée par Abdel-Al. Le recours à des experts adoptant le point de vue du gouver­nement a été au centre des disputes lors des audiences. Les jours diront à qui revient le droit de trancher le sort de cet accord fort controversé : le parlement, la justice ou un référen­dum populaire ?

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