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Les dessous d’une inclination

Samar Zarée, Mercredi, 07 juin 2017

A Alexandrie, un bâtiment s'est soudainement incliné sur un autre. Il n'y a pas eu de victimes, mais l'affaire remet sur le tapis le dossier des infractions de la construction immobilière.

Les dessous d’une inclination
A Alexandrie, l’effondrement des bâtiments est très répétitif.
Alexandrie,
De notre correspondante —

Les habitants du quartier d’Al-Azarita à Alexandrie se sont réveillés, jeudi 1er mai, sur une scène bizarre. Un immeuble d’habitation de treize étages s’est incliné sur un autre. La police a dû évacuer trois structures adjointes qui pourraient êtres menacées à n’importe quel instant. L’immeuble s’est incliné sur un bâtiment situé sur l’autre bord de la chaussée. Cette inclination inhabituelle qui a attiré l’attention de tous ceux qui ont vu la scène n’est pas choquante pour les Alexandrins, dont le gouvernorat est connu pour être le premier au niveau des gouvernorats en matière d’infractions immobilières. Ils en ont vu d’autres. L’évacuation de l’immeuble a pu éviter une véritable catastrophe. « Nous avons entendu très tôt le matin un bruit similaire à un bombardement, c’est pour cela que nous sommes tous descendus dans la rue, et après quelques heures, le bâtiment a pris cette inclinaison », raconte Mohamad Khalil, l’un des habitants de l’immeuble sinistré. Il ajoute que cet immeuble est contrevenant puisque le permis de construction a été remis pour la construction d’un rez-de-chaussée et de deux étages, mais le propriétaire en a construit onze. « Grâce à Dieu, la vie des habitants a été sauvée, car on a quitté l’immeuble quelques heures avant son inclinaison », ajoute-t-il. Al-Sayed Khafaga, un autre habitant de l’immeuble démoli, avoue qu’en achetant son appartement, il y a deux ans, il connaissait à l’avance que le bâtiment était contrevenant. « J’étais fautif quand j’ai acheté un appartement dans un bâtiment contrevenant, mais c’est la petite somme que j’ai payée qui m’a encouragé à le faire. Je n’ai payé que 380 000 L.E., une somme relativement médiocre par rapport aux prix à ce quartier, maintenant j’ai tout perdu, l’argent et l’abri », regrette-t-il, la pensée distraite comme c’est le cas des habitants sinistrés qui s’attendent un lieu qui les abrite.

Le gouverneur d’Alexandrie, Mohamad Sultan, a annoncé que des logements ont été offerts aux 400 habitants sinistrés. Mais ces derniers se disent insatisfaits des lieux où ils sont logés provisoirement. Ces camps de logements, où ils ont passé une seule nuit, se trouvent à la rue de Zawiyet Abdel- Qader au quartier d’Al-Amriya à l’ouest d’Alexandrie. Un bidonville qui manque des services. « Nous refusons de rester ici, même si c’est provisoire. Regardez les amas d’ordures entourant le lieu. On a trouvé des scorpions et des insectes dans les appartements, c’est horrible, on ne reste pas ici », se plaint-t-il. Quelques habitants se sont rendus vers leur immeuble démoli, refusant les logements fournis par le gouvernorat. « On préfère rester à la rue que rester à cette place. On demande au président Al-Sissi d’intervenir pour nous loger dans des lieux dignes », sollicite l’une des habitantes. Des plaintes que le gouverneur d’Alexandrie a prises en considération, promettant de trouver d’autres lieux de logement aux habitants devenus sans abri. Il a proposé de les faire loger au centre de la jeunesse d’Al-Chatbi, plus proche et plus convenable, jusqu’à ce que le gouvernorat leur prépare des appartements à la région d’Al- Amriya.

Une corruption qui ronge

Le cas de ce dernier immeuble vient réaffirmer la poursuite des contraventions dans le domaine de construction au vu et au su des responsables des municipalités. Ali Morsi, chef du quartier, assure : « Ce bâtiment a commencé à s’incliner il y a plus de deux ans, et l’affaire s’est aggravée avec le temps, vu que le sol est saturé d’eau souterraine, ce qui a affecté les fondements du bâtiment », explique-til. Morsi ajoute qu’une décision d’arrêt des travaux de construction concernant cet immeuble a été émise par la municipalité, mais n’a jamais été respectée par le propriétaire qui avait eu recours à toutes les astuces pour la contourner. Le propriétaire avait présenté de fausses informations concernant son adresse pour ne pas recevoir les notifications officielles. Selon Morsi, le bâtiment a fait l’objet de vingt décisions de démolition des étages contrevenants, mais ces ordres n’ont jamais été exécutés à cause du refus des habitants de quitter. « Les entrepreneurs procèdent aux travaux illégaux durant les jours fériés », ajoute-t-il.

Des arguments qui ne déchargent ni le propriétaire ni les responsables de la municipalité de la responsabilité. Après l’arrestation du propriétaire de l’immeuble, tous les fonctionnaires de la municipalité ont été déférés au Parquet général dans le cadre des enquêtes sur cette affaire. A Alexandrie, l’effondrement des bâtiments est très répétitif que ce soit en raison de la vétusté des bâtiments ou du non-respect de la législation en termes d’urbanisme que favorise la corruption des conseils municipaux. Un dossier épineux que ravive le drame de cette semaine. Selon les déclarations du gouverneur d’Alexandrie, le recensement préliminaire, qu’effectuent les conseils municipaux, révèle qu’il existe 17 000 bâtiments contrevenants en termes de nombre des étages autorisés. Il s’est aussi engagé à démolir toutes les contraventions représentant un danger sur la vie des habitants.

Des promesses qui se répètent à l’issue de chaque catastrophe, mais qui ne sont pas souvent tenues, selon Tareq Al-Sayed, député de la circonscription. Il estime que pour faire face à la corruption, devenue monnaie courante aux municipalités d’Alexandrie comme au niveau de tout le pays, il faut avoir une volonté politique. « L’affaire a besoin d’une décision souveraine à l’instar de celle de la récupération des terrains de l’Etat usurpés qu’a ordonnée le président Sissi, il y a deux semaines. Le problème ne réside pas au niveau des lois qui sont déjà dissuasives, mais au niveau de leur application ferme et sans exception », appelle Al-Sayed.

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