La signature de l'accord sur les études de faisabilité à Khartoum le 20 septembre 2016.
La Commission nationale tripartite s’est réunie pour la 13e fois au Caire afin d’examiner les répercussions du barrage de la Renaissance. Douze spécialistes et techniciens des trois pays — l’Egypte, l’Ethiopie et le Soudan — étaient présents à cette occasion, de même que les représentants des deux bureaux d’études français BRL et Artylia. Ces derniers ont été chargés d’effectuer les études techniques pour évaluer les répercussions du projet sur les pays en aval. Ils ont présenté une première version de leur travail lors de la réunion.
Selon l’ingénieur Ahmad Bahaa, président de la délégation égyptienne à la réunion, le rapport émis par les bureaux français a été largement discuté. Les délégations des différents pays ont émis des remarques sur le rapport et celles-ci seront prises en considération par les bureaux d’études afin d’établir le mécanisme de fonctionnement du barrage. Les responsables ont expliqué que cette phase préliminaire ne visait qu’à déterminer le mécanisme de fonctionnement du barrage sur lequel les bureaux devront travailler. Durant cette rencontre, les représentants des trois pays se sont engagés à respecter les recommandations des experts des bureaux consultatifs. Celles-ci établiront le mécanisme le plus approprié pour le fonctionnement du barrage (opération de remplissage ...) tout en respectant l’accord de principe signé par les présidents des trois pays en mars 2015. La Commission nationale tripartite s’est aussi mise d’accord pour continuer les discussions relatives au rapport des bureaux français dans deux semaines. Cette 14e réunion sera accueillie au sein de la capitale éthiopienne, Addis-Abeba.
Des études qui prennent du temps
Les études tant attendues avancent lentement, alors que sur le terrain, les travaux de construction du barrage s’accélèrent. Selon les responsables éthiopiens, la construction devrait se terminer vers la fin juillet et l’Ethiopie se prépare ainsi à remplir le premier niveau du barrage, qui possède une capacité de 15 milliards de m3. Abbas Charaqi, expert hydrique au Centre des recherches et des études africaines de l’Université du Caire, explique : « On s’attendait à ce que ce premier rapport — qui résulte de sept mois de travail des bureaux français — présente des résultats plus concrets sur les répercussions du projet éthiopien. Le fait qu’il s’agit uniquement d’un rapport préliminaire nous a surpris. Cela induit qu’on devra encore attendre plusieurs mois avant d’avoir les premiers traits de ces études. D’après l’accord conclu avec ces bureaux, une rencontre mensuelle devait avoir lieu, mais cela n’a pas été le cas ».
Il avait déjà fallu presque deux ans pour trouver un accord afin de commencer le travail d’études. Après de multiples négociations, l’Egypte, l’Ethiopie et le Soudan se sont mis d’accord pour engager deux cabinets de conseil afin d'effectuer l’étude sur l’impact du barrage, l’un était alors français et l’autre hollandais. Un accord de principe a été signé le 23 mars 2015 à Khartoum. Dans celui-ci, les trois pays se sont engagés à respecter les résultats des études qui seront élaborées par les deux bureaux. Suite à des divergences entre les deux cabinets de conseil, le cabinet hollandais s’est retiré du projet, plaçant ainsi l’Egypte dans une situation compliquée. Il a finalement été convenu de remplacer le cabinet hollandais par un cabinet français. Ces bureaux ont été chargés de réaliser une étude technique pour calculer les taux d’évaporation et d’infiltration dans le lac de stockage, ainsi que le taux de salinité de l’eau.
L’expert égyptien rappelle que, durant les négociations, la partie éthiopienne ne voulait pas que les études portent sur les conditions techniques de la construction, mais uniquement sur les répercussions du barrage et le mécanisme de remplissage. Cette position explique notamment pourquoi l’Ethiopie a continué les travaux sans attendre le résultat des études.
Des études non contraignantes
Selon Hani Raslan, spécialiste des pays du bassin du Nil au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, « Addis-Abeba a entraîné ses partenaires égyptiens dans de longs cycles de négociations autour du choix des bureaux d’études, dont le travail ne sera même pas contraignant pour les trois pays ». En effet, l’article 5 de l’accord de principe n’impose pas cette obligation aux Etats. Raslan estime de même que « l’Ethiopie cherche avant tout à gagner du temps afin que le barrage devienne un fait accompli ». Rappelons que l’Ethiopie avait adopté la même stratégie avec le Kenya pour le barrage GIBE III sur la rivière de l’Omo, principale source d’eau du lac Turkana au Kenya. Dans ce cadre, de longs cycles de négociations avaient débuté en 2008. L’expert souligne que la question qui fait aujourd’hui l’objet de désaccords — et qui est centrale pour les intérêts égyptiens — est celle du nombre d’années qui seront nécessaires pour remplir le lac de stockage. L’Ethiopie pense commencer à remplir son lac lors du début de la saison des crues. Cela affectera le volume d’eau reçu par l’Egypte, sa part historique est estimée à 55,5 milliards de m3 par an. Au terme de trois ans de remplissage, Addis-Abeba devrait retenir 25 milliards de m3 par an sur la part égyptienne, pour atteindre un stock d’environ 74 milliards de m3 d’eau dans le lac du barrage. Cela devrait pouvoir générer jusqu’à 6 000 mégawatts d’électricité.
Le projet a été lancé par le gouvernement éthiopien le 2 avril 2011. Une fois construit, le barrage de la Renaissance devrait avoir une capacité de 74 milliards de m3, 145 m de hauteur et 1 800 m de long. Ce sera le plus grand barrage hydroélectrique d’Afrique et le dixième du monde en terme de puissance, avec une capacité de production de 5 250 MW.
L’Ethiopie devrait ainsi quadrupler sa capacité de production électrique et permettre de faire face à une croissance de la demande de près de 10 % par an. Les objectifs du barrage sont multiples : il s’agit de prévenir les inondations, de satisfaire ses propres besoins énergétiques et de commencer à exporter de l’électricité vers les pays voisins. De plus, l’agriculture pourra se développer aux alentours de ce nouveau plan d’eau. Le nouvel Etat du Soudan du Sud pourra également en bénéficier selon des règles établies entre les deux pays. Pour Charaqi, les études des bureaux français peuvent servir à rapprocher les points de vue entre les trois pays concernés, mais il ne s’agit pas d’une solution radicale qui mettra fin aux difficultés qui existent entre eux. « Parallèlement à ces études, l’Egypte doit absolument continuer les négociations politiques avec l’Ethiopie pour tenter, non seulement de prolonger le nombre des années de remplissage du lac, mais aussi pour parvenir à un accord lui garantissant sa part actuelle dans les eaux du Nil », conclut-il.
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