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Halte au trafic d’organes

May Atta, Mardi, 24 janvier 2017

Pour lutter au mieux contre le trafic d’organes, le gouvernement décide de durcir les peines. Mais certains spécialistes estiment nécessaire de mettre en place des mesures préventives qui diminueraient le trafic. Explications.

Halte au trafic d’organes
Les contrevenants du trafic d’organes risquent d’ores et déjà une peine de prison ferme de 15 ans et une amende allant de 500 000 L.E. à 1 million de L.E.

Le Conseil des ministres a soumis, cette semaine au parlement, des modifications de la loi no 5 de l’année 2010, qui réglementant la transplantation d’organes. L’objectif est de lutter contre les réseaux de trafic d’organes en Egypte. Les modifications ajoutées à la loi durcissent les peines pour trafic d’organes. Depuis des années, ce phénomène prospère dans le pays par l’intermédiaire d’un réseau clandestin travaillant pour le compte de certains hôpitaux et centres médicaux privés. « L’absence de peines dissuasives dans la loi en vigueur favorisait la persistance de ces pratiques illégales. Aujourd’hui, le gouvernement décide de durcir les peines relatives aux transplantations d’organes effectuées en dehors du cadre réglementé par la loi », a déclaré Ahmad Emadeddine, ministre de la Santé, lors d’une conférence de presse tenue la semaine dernière au siège du Conseil des ministres. Il a souligné que la loi de 2010 détermine précisément les cas, les lieux et les conditions de la transplantation d’organes.

En vertu du projet de loi approuvé par le gouvernement, et dans l’attente d’une approbation du parlement, les contrevenants du trafic d’organes risquent d’ores et déjà une peine de prison ferme de 15 ans et une amende allant de 500 000 L.E. à 1 million de L.E. Dans les cas où l’opération entraîne la mort du donneur, le médecin risque la peine capitale, alors que l’ancienne loi le condamnait à 3 ans de prison et une amende de 20 000 L.E. Ses assistants risquent, eux, une peine de 15 ans de prison et une amende allant de 500 000 L.E. à 1 million de L.E. Pour l’intermédiaire entre le donneur et le receveur, la condamnation est de 5 ans de prison et une amende de 300 000 L.E. Enfin, l’hôpital où s’effectue l’opération de transplantation illégale d’organes peut être fermé pour une durée de 10 ans et voir sa licence suspendue.

Ce renforcement de la loi a été décidé suite au démantèlement d’un important réseau international de trafic d’organes à Guiza, en décembre dernier. Cette affaire avait dévoilé l’ampleur du phénomène avec de nombreuses arrestations dans le secteur de la santé. Rappelons que selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’Egypte compte parmi les cinq pays où le trafic d’organes est le plus important. La loi sur les transplantations datant de 2010 restait très vague et n’avait pas permis de mettre fin, ni même de réduire efficacement les réseaux d’organes clandestins.

Un système de santé défaillant

Alaa Ghannam, médecin et membre de l'« Initiative égyptienne pour les droits personnels », ne nie pas l’importance d’un durcissement des peines. Cela dit, il estime nécessaire d’établir une stratégie d’actions qui accompagneraient la nouvelle loi. « Il existe d’autres facteurs, notamment sociaux et administratifs, qui favorisent ce trafic, comme la pauvreté et la défaillance des systèmes de contrôle sur les hôpitaux, ainsi que le système d’assurance médicale. Le durcissement des peines va contribuer à réduire le taux de trafic d’organes, mais il ne le fera pas disparaître », explique Ghannam.

Selon lui, pour une lutte efficace, il faut revoir l’ensemble de la loi régissant les transplantations d’organes et mettre en place un nouveau système d’assurance médicale, qui inclurait ce type d’opérations. « Pour barrer la route aux trafiquants, les greffes d’organes doivent s’effectuer uniquement dans les hôpitaux publics, sous le contrôle du ministère de la Santé. Les autorisations dont bénéficient actuellement les hôpitaux privés facilitent le contournement de la loi régissant la transplantation d’organes », juge Ghannam. Selon lui, le démantèlement du réseau de trafic d’organes de décembre dernier illustre ce manque de contrôle. Il ajoute que pour que cette loi soit effective, il faut assurer la transparence des procédures nécessaires à une transplantation et intégrer ces opérations au système d’assurance médicale. Il juge qu’une telle mesure permettrait aux plus pauvres d’accéder à des opérations extrêmement coûteuses.

« Si les opérations de transplantation d’organes ne sont pas intégrées au système d’assurance médicale, nous risquons de voir les pauvres se transformer en véritables pièces de rechange pour les riches », indique Ghannam. A ce propos, il explique que le coût élevé des organes est lié à la rareté des donneurs, puisqu’il est préférable que ceux-ci soient vivants au moment du don, bien que la législation de 2010 autorise la greffe d’organes de personnes décédées. « La définition de la mort clinique, le consentement de la famille du donateur et d’autres questions n’ont pas encore été tranchés », ajoute-t-il. A ce propos, il note que dans la plupart des pays du monde, 80 % des organes de transplantation sont prélevés sur des personnes décédées, et c’est pourquoi il y a peu de trafic d’organes.

Cette vision est partagée par Khaled Samir, membre au conseil de l’ordre des Médecins. Selon lui, l’activation d’une législation sur la greffe d’organes des morts tarde en raison d’une hésitation du gouvernement à ouvrir un dossier qui fait l’objet de polémiques politico-religieuses. Pour certains, la greffe d’organes, qu’ils proviennent d’un mort ou d’un vivant, est contraire aux principes de la religion, pourtant, plusieurs pays musulmans ont déjà adopté des lois qui réglementent la transplantation d’organes, comme l’Arabie saoudite et le Koweït. « Il devient urgent d’aller au-delà de ces polémiques et de chercher plutôt à sauver les vies de millions de malades. Il suffit d’observer que 30 % des Egyptiens souffrent des maladies hépatiques, et 10 % d’entre eux ont besoin d’une transplantation ». Au-delà des avis religieux condamnant la greffe d’organes, l’obligation dans la loi actuelle d’avoir le consentement de la famille du donneur après sa mort complique l’obtention d’organes. A cet égard, il revient sur la nécessité de s’inspirer des législations établies dans la plupart des pays du monde pour proposer des solutions sûres en Egypte. « En bref, si l’Etat souhaite réellement combattre ce phénomène, il est nécessaire de se positionner clairement sur toutes ces questions qui font encore débat », conclut Samir.

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