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Violences en Egypte : Dans la spirale

Ola Hamdi, Mardi, 26 mars 2013

La manifestation devant le siège des Frères musulmans à Moqattam en ce « Vendredi pour restaurer la dignité » s’est transformée en bataille rangée. Bilan : plus de 200 blessés. Reportage.

Violences
200 blessés sont le produit du « Vendredi pour restaurer la dignité ». (Photo : Mohamad Moustapha)

Manifester près du quartier général des Frères est considéré par ces derniers comme une provocation inacceptable. Ils ont essayé d’en dissuader les opposants mais en vain. Samedi, tandis que la confrérie fait circuler, depuis la veille, des photos de ses membres en sang, battus, ou brûlés par des cocktails Molotov, Rachad Al-Bayoumi, adjoint du guide des Frères musulmans, déclare : « Si ces violences prouvent quoi que ce soit, c’est le caractère vil des manifestants ».

Bien que les accusations de vandalisme fusent depuis les heures noires de ce « Vendredi pour restaurer la dignité », ce n’est pas au siège de la confrérie des Frères que l’émeute a pris, mais sur la place Al-Nafoura. A cette entrée principale du quartier de Moqattam, des Frères musulmans s’étaient apparemment embusqués pour barrer la route à une partie des manifestants comptant rejoindre le rassemblement devant leur siège.

Des photos similaires des blessés du côté des manifestants anti-Frères peuplent aussi la toile et les écrans de télé vendredi et samedi. En miroir également, les déclarations des figures de l’opposition, dont Mohamed ElBaradei : « La violence engendre la violence, et la tragédie de la nation ne sera pas résolue à travers la violence ». Et Amr Moussa : « Nous rejetons tous la violence, et nous ne pouvons pas accepter de contre-violence ».

En seulement quelques heures, ce seront plus de 200 blessés, dont 30 dans un état grave.

Vers 15h, tout dérape

La foule qui compte plusieurs personnalités publiques scande : « Nous ne nous laisserons pas intimider, nous ne baisserons pas la tête, nous ne serons pas réduits au silence » et « A bas le pouvoir du guide suprême » face à l’imposant cordon de sécurité qui les sépare du bâtiment du siège de la confrérie.

Derrière le cordon, les Frères musulmans sont retranchés déjà depuis la veille. Leurs jeunes, rassemblés devant le bâtiment où ils viennent de prier, scandent « L’islam est la solution », et demandent la protection de Dieu pour le siège central de leur organisation. « Je suis venu de Charqiya pour défendre l’islam et pour protéger le siège de notre organisation. Nous ne sommes pas des moutons, et nous ne volons pas le pouvoir comme disent les libéraux, nous avons un président élu », clame Mohamad, 35 ans.

Mohamad Achmaoui, employé et habitant du quartier, assure qu’il a vu des centaines de membres de la confrérie arriver dès la veille par bus : « Certains sont sur les toits des immeubles appartenant à des islamistes ». Il critique aussi l’importance de la présence des forces de l’ordre : « Pourquoi viennent-ils protéger le siège des Frères musulmans ? ».

L’ambiance est tendue, plusieurs fois il a fallu calmer les esprits du côté des opposants, où les insultes ont fusé et des jeunes ont tenté de forcer le cordon anti-émeute, déclenchant des salves régulières de gaz lacrymogènes.

Mais vers 15h, tout dérape : des jeunes à moto déboulent devant le siège de la confrérie et annoncent que « les Frères musulmans nous attaquent sur la place Al-Nafoura ! ». Un vent de panique saisit la foule qui se précipite par grappes au secours des siens. Jets de pierres et coups de bâtons ont apparemment déclenché la bataille qui s’intensifie de minute en minute. La quinzaine d’ambulances postées dans le quartier se redirigent aussi vers cette place, et commencent leur balai incessant, auprès des pro comme des anti. Et les motos d’évacuation des blessés de même. A 16h, la bataille fait rage : des tirs impossibles à identifier sont régulièrement entendus. Des bus affrétés par la confrérie ont été incendiés. Dans leur colère, les manifestants arrêtent les voitures et battent qui est Frère musulman ou qui n’est simplement pas du Caire. Des partisans des Frères tirent à la chevrotine. La violence se propage à toutes les rues du quartier, tandis qu’un épais nuage noir stagne au-dessus de la montagne. Les forces de police, elles, sont restées postées devant le bâtiment du siège de la confrérie.

« Dangereux voyous »

Plus de 20 partis et mouvements politiques, pour la plupart libéraux, dont Al-Dostour et les Egyptiens libres, en plus d’une trentaine de personnalités publiques, avaient appelé à ce « Vendredi pour restaurer la dignité », consistant en un rassemblement devant le siège de la confrérie. Portant les revendications politiques de l’opposition, la manifestation à cet endroit précis venait également en réponse aux incidents de la semaine précédente. Le 16 mars, des opposants, des journalistes et des photographes avaient été violemment agressés par des Frères musulmans. Le 17, c’est la police anti-émeute et les manifestants anti-Frères qui étaient montés au clash.

Tandis que tous les manifestants de ce vendredi ont été qualifiés de « dangereux voyous », c’est à une véritable levée de bouclier de l’ensemble des forces islamistes, confrérie et PLJ en tête, qu’on assiste depuis vendredi soir. La condamnation des violences de vendredi par les Frères est pourtant lourde de menaces : « Si nous l’avions voulu, la jeunesse des Frères n’aurait fait qu’une bouchée de ces assaillants, sans même avoir recours aux armes », a ainsi déclaré Mahmoud Hussein, secrétaire général de la confrérie, qui avait annoncé jeudi qu’elle défendrait elle-même son quartier général, si besoin est. « Seul Dieu connaît l’étendue de la colère et de la frustration des Frères musulmans », a ajouté Hussein. Le sentiment côté manifestants, comme le rapportent plusieurs témoignages, est qu’il y a une sorte de vendetta contre tout opposant au régime. Ils rappellent le 5 décembre dernier, quand 10 manifestants sont morts et plus de 450 ont été blessés, par des partisans des Frères contre un sit-in devant le palais présidentiel sous les regards passifs des forces de l’ordre.

Lorsque la nuit tombe, les habitants se glissent dans les rues pour y monter des barricades, afin d’empêcher de nouveaux affrontements. L’un d’eux interpelle sombrement : « Mais que fait le président face à la violence qui se propage ? Il doit reconnaître ses erreurs. Il doit laisser toutes les forces politiques participer au pouvoir. Nous devons tous être partenaires pour reconstruire ce pays ».

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