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Médicaments : Des remèdes temporaires mais pas de solution

Chaïmaa Abdel-Hamid et Gamila Abdel-Sattar, Mardi, 06 décembre 2016

Avec la dévaluation de la livre face au dollar, la pénurie de médicaments s'accentue. Le gouvernement négocie avec les sociétés pharmaceutiques en vue de régler la crise.

Médicaments : Des remèdes temporaires mais pas de solution
Certains médicaments sont introuvables en pharmacie.

A quelques mètres de l’un des hôpi­taux les plus importants du Caire, une dizaine de personnes sont regroupées devant les portes d’une pharmacie. A l’intérieur, on entend des per­sonnes parler : « Essaie d’appeler l’une des grandes pharmacies, celles qui ont plusieurs branches, peut-être que tu en trouveras », ou encore : « Mon voisin cherchait le même médicament hier, et il en a trouvé dans le quartier de Maadi ». « Tu peux peut-être écrire le nom du médicament sur Facebook, comme ça tes proches peuvent t’aider à le trouver ». Ce type de scène, devenue quoti­dienne, se déroule sous le nez du pharmacien désoeuvré qui se tient devant un ensemble de rayons quasiment vides. « Cela fait des semaines que je sillonne Le Caire pour trou­ver le médicament de mon père qui souffre de cancer. Aujourd’hui, ce médicament a dispa­ru. J’ai fait le tour de presque toutes les pharmacies du Caire et j’ai demandé à tous mes proches dans d’autres gouvernorats de le chercher, mais ce médicament est introuvable aujourd’hui », explique une cliente dans cette même pharmacie. La situation des hôpitaux est tout aussi critique. La grande majorité des hôpitaux, privés ou publics, souffrent d’une grave pénurie de médicaments. Certains demandent aux parents du malade de chercher eux-mêmes les médicaments nécessaires alors que d’autres sont allés jusqu’à accrocher des écriteaux sur lesquels on peut lire : « L’hôpital ne peut plus traiter les maladies rénales ou hépatiques ».

Pour faire face à cette pénurie, le ministre de la Santé, Ahmad Emadeddine, a signé cette semaine un contrat de 186 millions de dollars avec la Société égyptienne pour les produits pharmaceutiques, afin d’importer 146 médicaments en toute urgence. Celle-ci négocie actuellement avec 30 sociétés étrangères, soit par l’intermédiaire de leurs agents en Egypte, soit à travers leurs bureaux à l’étranger, pour conclure cette transaction exceptionnelle. Les responsables du ministère de la Santé assurent que cette démarche n’est qu’un début. D’après eux, le ministère a un plan qui consiste à importer tous les médicaments manquants sur le marché au cours de la période à venir. Le ministère a également accéléré le processus de certification des nouveaux produits pharmaceutiques par la « Food and Drug Administration » (FDA), et par l’Agence européenne des médicaments (EMA), afin qu’ils soient enregistrés, et donc fabriqués plus rapidement.

Des rayons vides

L’Egypte connaît depuis des mois une pénurie de médicaments importés, dont certains sont vitaux pour soigner le diabète, les maladies cardiaques, le cancer ou l’insuffisance rénale. La crise s’est amplifiée début novembre avec le flottement de la livre égyptienne, qui a réduit de moitié la valeur de la monnaie égyptienne. Les entreprises pharmaceutiques souffrent de la baisse des réserves en devises étrangères qui rendent les importations difficiles. Nasrallah Costentin, un pharmacien âgé de 55 ans, explique que jamais dans sa carrière de pharmacien il n’a vu pareille pénurie. « Les rayons sont presque vides, les sociétés n’ont plus de produits à me fournir. Parfois, je suis obligé de vendre les médicaments par plaquette et non pas par boîte, pour qu’il y en ait pour tout le monde. La situation est désastreuse ».

Mahmoud Fouad, directeur exécutif du Centre du droit aux médicaments, se réjouit que l’Etat soit intervenu pour tenter de régler le problème. « Mais dans le fond, ajoute-t-il, il ne s’agit que d’une solution temporaire qui couvrira les besoins du marché pour 3 mois uniquement, et qui ne concerne que 146 médicaments. Cela ne va pas résoudre le problème des 900 autres médicaments qui ont disparu du marché ». Face à la hausse du dollar, les sociétés pharmaceutiques exigent l’autorisation d’augmenter les prix, mais le ministère de la Santé refuse. Le ministre, Ahmad Emadeddine, a indiqué, en effet, « qu’il n’était pas question d’augmenter le prix des médicaments ». Le porte-parole du ministère de la Santé, Khaled Mégahed, a affirmé, pour sa part, que « les distributeurs n’obtiendront pas la hausse des prix qu’ils réclament ». Le gouvernement avait déjà procédé, en mai dernier, à une augmentation du prix de 7 000 médicaments qui étaient vendus jusque-là à moins de 30 L.E., pour que les entreprises pharmaceutiques puissent continuer à les fabriquer. Une telle augmentation n’avait pas eu lieu depuis plusieurs décennies. « Le prix des produits pharmaceutiques est extrêmement stable en Egypte, et nous ne voulons pas que cela change », explique Fouad.

Commission d’enquête

Le député Elia Sarwat Bassily, membre de la commission de la santé au parlement et patron d’une des plus grandes entreprises pharmaceutiques, souligne, pour sa part, que « 99,9 % des composants des médicaments, des matières brutes et même des produits d’emballage, comme le foil d’aluminium et le carton, fabriqués en Egypte également, sont importés. Quand le prix officiel du dollar passe de 8,8 à 17,7 L.E., ça devient trop lourd à porter. Et de surcoût, les sociétés pharmaceutiques ne peuvent pas le répercuter à la vente, puisque le gouvernement impose un tarif fixe. De là vient l’un des principaux facteurs de la pénurie de médicaments. On ne peut pas demander aux entreprises d’amortir l’impact d’une telle hausse sur les produits importés », explique Bassily, qui prévient également que la crise touche aussi la production nationale. « La hausse des prix des produits de base entrave la production, puisque les sociétés ne peuvent pas se permettre de produire à perte et encore moins en grandes quantités. Parfois, pour des raisons de responsabilité sociale, les grandes entreprises peuvent se permettre de fabriquer un produit à perte car elles compenseront leurs pertes par d’autres produits, mais les petites entreprises, elles, ne peuvent pas faire cela. Si elles produisent à perte, elles se retrouveront rapidement obligées de fermer ou d’arrêter leur production », explique Bassili.

Le parlement a décidé de former une commission d’enquête sur la pénurie de médicament. La commission, formée de sept députés, doit tenir sa première réunion la semaine prochaine. « Nous allons inspecter les usines, le siège des entreprises et les entrepôts de médicaments pour déterminer les causes exactes de cette crise. Nous allons également rédiger un rapport avec des recommandations à appliquer de toute urgence », explique le député Ayman Aboul-Ela, membre de la commission. La députée Elizabeth Chaker, également membre de la commission d’enquête, affirme que le but de la commission est de « trouver les vraies raisons de la crise ». Car selon elle, il y a un grand stock de médicaments en Egypte, mais certaines entreprises refusent de le sortir et attendent la hausse des prix.

Le Centre du droit aux médicaments propose, pour atténuer la crise, que les sociétés pharmaceutiques soient dispensées de payer l’électricité, les douanes et l’eau, afin qu’elles n’augmentent pas le prix des médicaments. Cette solution est actuellement en cours d’étude par le gouvernement.

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