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L’Etat à l’écoute de la jeunesse

Chaïmaa Abdel-Hamid et Gamila Abdel-Sattar, Mardi, 01 novembre 2016

La première Conférence nationale de la jeunesse, tenue du 25 au 28 octobre à Charm Al-Cheikh, a vu la présence du président Abdel-Fattah Al-Sissi et d'une multitude de ministres. Elle a permis l'amorce d'un dialogue entre les jeunes et les officiels.

L’Etat à l’écoute de la jeunesse
Le président Sissi entouré des jeunes.

Plus de 3000 jeunes de différents horizons politiques ont participé, du 25 au 28 octobre, à la première Conférence nationale de la jeunesse, tenue à la station balnéaire de Charm Al-Cheikh. La conférence, parrainée par la présidence de la République et organisée sous l’emblème « Soyez créatifs et lancez-vous », avait pour objectif d’établir un dialogue ouvert entre les jeunes et le pouvoir politique, sorte de forum où ils peuvent s’exprimer sur leurs problèmes, leurs craintes et les obstacles auxquels ils sont confrontés. Au côté du président de la République, de nombreux ministres, responsables politiques, personnalités publiques et hommes d’affaires étaient présents pour répondre aux questions des jeunes. « L’Etat doit aider les jeunes. Nous savons que le pays dispose de ressources limitées, mais les jeunes ont des droits, même dans ces conditions », a déclaré le président de la République lors de son discours d’ouverture. Trois principaux thèmes se sont dégagés des discussions, à savoir les libertés, la crise économique, et enfin l’enseignement et les médias.

Libertés fondamentales

Le sujet des libertés s’est clairement imposé lors de la rencontre. Certains jeunes ont demandé l’amendement de certains articles de la loi sur les manifestations. Jugée liberticide, la loi actuelle avait soulevé un vif débat lors de sa promulgation. « Cet amendement a été notre principale revendication », affirme le jeune député Mohamad Fouad, présent à la conférence. « Nous avons des propositions concrètes au sujet de cette loi. Il s’agit de la suppression du nombre minimum de personnes autorisées à se rassembler, le retour à un délai de 24 heures pour obtenir l’autorisation de manifester, une définition plus précise du périmètre légal où se déroule la manifestation, et enfin, une précision du cadre légal dans lequel la police peut intervenir », précise un autre jeune du Néo-Wafd.

Cette loi régissant les manifestations avait été adoptée en 2013. Elle interdit les rassemblements de plus de 10 personnes et donne des pouvoirs étendus aux forces de sécurité pour réprimer toute tentative de manifestation « illégale ». L’article 7 de la loi interdit notamment aux manifestants de se comporter de manière à constituer une menace pour la « sécurité et l’ordre public », à « porter atteinte aux intérêts des citoyens » ou à « faire obstruction à la justice ». Des termes jugés trop vagues par les opposants à la loi. L’article 5, lui, interdit toute réunion ou rassemblement publics à des fins politiques, dans et à proximité des lieux de culte. Une formulation toute « relative ». Plusieurs centaines de personnes ont été arrêtées en vertu de cette loi. Le président Sissi a promis de réexaminer cette loi. « Le gouvernement étudiera, en coordination avec les instances concernées, les suggestions et les propositions d’amendement de la loi régissant les manifestations », a déclaré le chef de l’Etat. La promesse du chef de l’Etat a été saluée par le public, ce qui a fait dire au chef de l’Etat en guise de plaisanterie : « Vous aimez vraiment manifester ».

Outre la loi sur les manifestations, et toujours dans le domaine des libertés, il fut notamment question des jeunes actuellement détenus sans qu’aucune condamnation ait été prononcée à leur égard. Un comité national, sous la direction de la présidence, sera créé dans un délai de 15 jours et sera chargé d’examiner les dossiers des jeunes placés en détention préventive. « Il n’était pas possible d’aborder le dossier des libertés sans parler des détentions préventives. Il est vrai que l’idée de ce comité, lancée par la présidence, nous a tous surpris. Si ce comité travaille réellement, ce serait un pas important dans notre lutte pour les libertés », déclare Chéhab Waguih, du parti des Egyptiens libres. Le président Abdel-Fattah Al-Sissi a même laissé entendre que des dédommagements pourraient être versés à ces jeunes s’il s’avère qu’ils ont été détenus sans motif légal. Le président n’a pas le droit d’interférer dans les affaires de la justice. Mais il peut prononcer des grâces. Après la conférence, le Conseil national des droits de l’homme a, en effet, préparé une liste de 600 noms de jeunes détenus dans les prisons, afin de l’envoyer à la présidence de la République.

Certains jeunes, tel Mohamad Youssef, porte-parole du parti d’Al-Dostour, ont boycotté la conférence. « Nous avons refusé de participer à cette rencontre car elle nous semblait surmédiatisée. Nous avons vu ces mêmes responsables à maintes reprises et rien n’a été fait. Nous avions perdu toute confiance en les responsables, affirme-t-il. Mais il faut avouer que certaines décisions de cette conférence sont positives, comme la modification de la loi sur les manifestations. Mais il faut attendre et voir ».

L’économie en crise

Outre les libertés, la crise économique a figuré en bonne place dans les discussions à Charm Al-Cheikh. La hausse vertigineuse du dollar constitue, en effet, une source d’inquiétude pour de nombreux jeunes qui s’interrogent sur l’avenir de l’économie égyptienne et la réaction de l’Etat par rapport à ce problème. Le dollar connaît depuis quelques mois une hausse vertigineuse sur le marché des changes atteignant 16,20 L.E. Or, cette hausse s’est répercutée sur les prix des marchandises, notamment celles importées comme les voitures, les téléphones portables et autres. Evoquant le problème du dollar, le président Sissi a demandé aux jeunes de travailler eux-mêmes pour mettre fin à cette crise. « C’est votre rôle aussi de surmonter cette crise, car je ne pourrai pas y faire face tout seul », a déclaré le président. Et d’ajouter en s’adressant aux journalistes que certains journaux ont contribué à la hausse injustifiée du dollar. « La crise a commencé avec la publication de fausses informations sur le taux de change du dollar. Or, ces taux n’avaient rien à avoir avec la réalité ».

Les discussions ont porté aussi sur le rôle de la Bourse, le développement économique et le rôle de la science et des technologies dans la croissance économique. Une séance a été consacrée aux moyens de promouvoir les PME et leur rôle dans la lutte contre le chômage. « Nous aimerions que les jeunes jouent un rôle plus important dans l’économie », déclare Mohamad Farid, membre du parti des Egyptiens libres. « Les jeunes devraient avoir la chance de participer de manière plus importante au secteur des PME. Les idées et les personnes sont prêtes, c’est le cadre légal qui manque. Ainsi, nous avons proposé certaines modifications législatives qui permettraient de contrôler le marché et d’éviter le monopole, afin de faciliter le financement des projets novateurs de la nouvelle génération », explique Farid. A cet égard, le président s’est dit prêt à engager le parlement, afin d’étudier toutes les propositions formulées par les jeunes des différentes tendances politiques.

Enseignement et médias

L’éducation et les médias ont également été débattus. Une séance intitulée « L’enseignement... une nouvelle vision » a été consacrée à la modernisation et au développement de l’enseignement. Le président Abdel-Fattah Al-Sissi a reconnu que les ressources actuelles de l’Egypte ne permettent pas d’engager une véritable réforme de l’enseignement. Le chef de l’Etat a affirmé toutefois que des efforts sont déployés en vue d’améliorer la situation de l’enseignement en se basant sur les expériences de plusieurs pays. « Nous pensons que l’éducation doit être une priorité de l’Etat à l’heure actuelle, car elle a une influence directe sur les autres secteurs », pense Moustapha Abou-Zahra, secrétaire général du parti Mostaqbal Watan (avenir d’une patrie). Suite aux discussions, il a été convenu d’organiser un atelier de travail, d’une durée d’un mois, sur l’avenir de l’enseignement en Egypte. Celui-ci réunira des experts et des représentants des partis politiques. Le président Sissi a demandé en outre la création d’un organe formé de jeunes qui se chargerait d’aider le ministère de l’Education dans sa mission. Il a également souligné l’importance de créer des ponts entre les étudiants et les entreprises, de développer la culture et de relancer le projet national pour la réhabilitation des jeunes prédicateurs. « Je suis prêt. Je vais écouter tous les points de vue et toutes les propositions seront examinées », a déclaré le chef de l’Etat.

Concernant les médias, les jeunes ont demandé la promulgation rapide des lois régissant les médias. La loi sur la presse écrite et les médias audiovisuels a été déférée au parlement il y a plusieurs mois, mais n’a toujours pas vu le jour. Le président Sissi a demandé au parlement d’accélérer la promulgation des lois relatives aux médias, ceci lors d’une séance consacrée à l’impact des médias sur l’opinion publique à laquelle ont assisté un grand nombre de journalistes, d’universitaires et de spécialistes des médias, ainsi que des membres du Conseil des députés.

Cette première Conférence de la jeunesse marque la volonté de l’Etat de tisser un dialogue social, notamment avec les jeunes. Une initiative qui semble se concrétiser.

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