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Inondations, un drame à répétition

May Al-Maghrabi, Mardi, 01 novembre 2016

Les pluies torrentielles, qui sont tombées vendredi dernier sur plusieurs gouvernorats, ont fait au moins 22 morts. Un bilan lourd qui remet en question l'efficacité des dispositifs adoptés.

Inondations, un drame à répétition

Le début de l’hiver s’annonce dévas­tateur. Des pluies torrentielles sont tombées ce vendredi 28 novembre sur plusieurs gouvernorats d’Egypte semant la panique et faisant des dizaines de victimes. Les gouvernorats touchés sont ceux de la mer Rouge, la Haute-Egypte et Al-Wadi Al-Guédid. Selon un bilan non définitif du ministère de la Santé, 22 personnes ont été tuées dans ces inondations provoquées par des pluies torrentielles. Un bilan qui pourrait s’alourdir. « Certaines personnes sont toujours portées disparues », a indiqué le porte-parole du ministère de la Santé. Par ailleurs, les habi­tants des villes sinistrées affirment que le bilan est beaucoup plus lourd et parlent de dizaines de disparus.

Le président Abdel-Fattah Al-Sissi a ordonné de prendre toutes les mesures nécessaires pour secourir les sinistrés, contenir les effets des dégâts causés par les inondations et indemniser les endommagés. Le président a consacré une somme de 100 millions de L.E., 50 millions pour les indemnisations des victimes, et les 50 autres pour la réparation des zones et des routes dévastées.

Le président Sissi a aussi tenu dimanche une réunion avec le premier ministre, Chérif Ismaïl, et le ministre de Ressources hydrauliques et de l’Irrigation, Mohamad Abdel-Ati, pour discu­ter du plan du gouvernement concernant la gestion de la crise des inondations. Selon le porte-parole de la présidence, l’ambassadeur Alaa Youssef, lors de la réunion avec le ministre de l’Irrigation, a indiqué que l’Etat a entamé, depuis 2014, un plan visant à protéger le pays des dangers des inondations dont le coût est de 4,2 milliards de L.E. Le ministre a ajouté qu’à cet égard, 160 projets ont été déjà exécutés avec un coût de 2 milliards de L.E. « Ces projets ont contribué efficacement à minimiser les dégâts des inondations », a esti­mé le ministre, ajoutant que le reste du plan sera achevé au cours des trois prochaines années.

Le premier ministre, Chérif Ismaïl, s’était aussi rendu à Ras Ghareb, l’une des villes de la mer Rouge la plus touchée par les inondations, pour suivre la situation. Il a déclaré que le gouvernement a décidé de consacrer 50 mil­lions de L.E. pour la rénovation des infrastruc­tures des gouvernorats de la mer Rouge. Le ministère des Ressources hydriques et de l’Irri­gation avait annoncé la formation d’une cellule de crise centrale regroupant tous les orga­nismes de l’Etat concernés pour faire face immédiatement aux effets des inondations et présenter toutes les aides humanitaires et financières possibles aux villes sinistrées. Le ministère de la Solidarité sociale a déclaré avoir accordé des indemnisations de 10 000 L.E. pour les familles des morts et 2000 pour les blessés et les endommagés. Et ceci jusqu’à la formation d’une commission pour recenser en détail les dégâts et indemniser les gens.

La mer Rouge et la Haute-Egypte sinistrées

Des images diffusées sur les chaînes publiques et privées montrent des voitures en panne, des résidents qui pataugent dans l’eau jusqu’aux genoux, d’autres emportés par les inondations et des maisons détruites et submer­gées d’eaux. Des scènes qui laissent se souve­nir du drame des inondations qui avaient tou­ché, l’an dernier, la ville d’Alexandrie faisant des morts et d’énormes dégâts. La colère popu­laire causée par la lenteur de la réaction du gouvernement et le manque des dispositifs préventifs, avait coûté, alors, au gouverneur d’Alexandrie son poste. La majorité des vic­times des inondations provoquées par des pluies torrentielles avaient péri dans des acci­dents de la route ou emportées par les inonda­tions mais aussi électrocutées par le tonnerre.

Avouant la relâche des responsables face à la crise des inondations, le gouverneur de Sohag a limogé, samedi, deux responsables locaux qui ont tardé à prendre des mesures d’urgence pour évacuer l’eau, précisément le transfert du cours de l’eau vers les canaux.

Ras Ghareb, dans la province de la mer Rouge (est), a été l’une des régions la plus sinistrée par les inondations vu sa nature mon­tagnarde. La forte descente des eaux à grande vitesse provenant des hautes montagnes a encerclé la majorité des maisons et a bloqué la plupart des autoroutes. Les torrents d’eau, qui se sont abattus sur cette région, ont causé d’énormes dégâts, et le spectacle est désolant. Tous les terrains agricoles sont inondés, des maisons se sont effondrées et des animaux ont été emportés par les courants.

Les sinistrés de Ras Ghareb ont manifesté leur colère à travers des appels téléphoniques aux chaînes privées. Sur la chaîne CBC, Basma, médecin habitant Ras Ghareb, accuse sans fards le gouverneur et les municipalités de laxisme face à la catastrophe qui a frappé la ville. « J’ai perdu ma grand-mère et mon oncle, et le destin a pu sauver mes trois fils. En dix minutes, l’eau a submergé notre maison. Le niveau de l’eau est arrivé à plus de 5 mètres, mes fils ont escaladé l’armoire et y sont restés pendant trois heures. Ma grand-mère n’a pas pu résister et a été inondée. Essayant de la secourir, mon oncle a été aussi emporté par le courant d’eau. Pendant ces heures d’enfer, aucun responsable ne s’est donné la peine de secourir la ville », s’insurge Basma, imputant au gouvernement la responsabilité du drame humanitaire vécu à Ras Ghareb.

Des plaintes similaires des habitants de la Haute-Egypte qui affirment que les secours ne sont arrivés qu’après plus de 24 heures de la catastrophe. A noter que l’Organisme de météorologie a affirmé qu’il avait prévenu tous les gouverneurs et les instances concernées, une semaine à l’avance, des pluies torrentielles sur le Sinaï et la Haute-Egypte. Dimanche, les forces armées ont dépêché à Ras Ghareb des groupes de secours et des équipements pour aspirer l’eau, réparer les routes et les maisons dévastées et participer aux efforts de recherche des disparus. Le président de l’Organisme général des routes et des barrages, le général Adel Turc, a déclaré, pour sa part, que 16 groupes de travail oeuvrent sur les routes de la mer Rouge, de Haute-Egypte, de Qéna, de Sohag, de Farafra, dans la Nouvelle Vallée et la route de Suez Al-Zaafarana.

Accusations de laxisme

Face à ces accusations, les gouverneurs et les responsables des villes sinistrées affirment qu’ils ont pris toutes les mesures nécessaires mais l’ampleur de la catastrophe était au-des­sus des moyens dont ils disposent. « On n’a pas manqué d’efforts. Les secours ont com­mencé dès la première heure des inondations et se sont poursuivis pendant 12 heures. Mais le volume des pluies était sans précédent, cou­pant les routes, ce qui a entravé l’arrivée des ambulances et des camions-citernes pour aspirer l’eau et sauver les sinistrés. La situa­tion a été hors contrôle lors des inondations. L’électricité et l’eau ont été coupées, le flux d’eau a emporté des maisons, des voitures et des habitants. Le secours nécessitait des moyens et des instruments dont on ne dispose pas, et c’est pourquoi qu’on s’est servi des équipements des compagnies du pétrole », se défend Mohamad Helmi, président de la ville de Ras Ghareb. Le ministre des Ressources hydriques et de l’Irrigation avait indiqué que le volume des pluies tombées sur les gouverno­rats de la mer Rouge est estimé à 120000 mètres cubes et que le taux d’eau réservés derrière les 5 barrages de la mer Rouge a atteint plus de 1,8 million de m3 et sa hauteur est arrivée à 7,5 mètres. Le ministre a aussi affirmé que toutes les mesures sont prises pour évacuer ces eaux dans le Nil. Il a été décidé, suite à ce drame, de construire trois barrages à Ras Ghareb, qui seront achevés l’hiver pro­chain.

Commission d’enquête

Des justifications qui ne semblent pas convaincre. Dimanche, lors d’une séance géné­rale du parlement, des députés ont tiré à boulets rouges sur le gouvernement et les gouverneurs. Ils ont critiqué la mauvaise gestion de la crise des inondations qui a contribué à alourdir le bilan des victimes. Appelant à juger les respon­sables pour laxisme et négligence, les députés ont décidé de former une commission d’en­quête pour évaluer la gestion gouvernementale de la crise. « C’est un fiasco du gouvernement qui, encore une fois, n’a pas su gérer la crise des inondations. Les responsables n’ont pris aucune mesure préventive pour éviter cette catastrophe, alors que la météo l’avait prévue. Tous les ministres et les gouverneurs concernés doivent en rendre compte », appelle le député wafdiste, Amr Aboul-Yazid. Colère partagée par le député du gouvernorat d’Hurghada, Ahmad Al-Dawi, qui affirme que les inonda­tions en mer Rouge n’étaient pas une surprise, mais les responsables n’ont rien fait pour pro­téger les villes ou secourir les sinistrés. « Seule l’intervention des forces armées a pu alléger les dégâts mais où sont les autorités locales ? », se demande furieusement Al-Dawi.

Selon l’expert en ressources hydrauliques, Maghawri Chéhata, c’est l’absence d’une stra­tégie de gestion des crises et d’un plan de tra­vail basé sur des données scientifiques qui est au centre de ce bilan lourd de victimes des inondations. « Le gouvernement n’agit qu’après la catastrophe, alors qu’il peut l’évi­ter ou, au moins, minimiser les répercussions en prenant les mesures préventives néces­saires », estime Chéhata. Il donne l’exemple du gouverneur d’Al-Wadi Al-Guédid qui, grâce à l’installation à la hâte d’un rempart de sable à l’entrée de la ville, au début des pluies, a pu éviter l’inondation de la vallée. « Il fallait se préparer à l’avance à ces inondations en véri­fiant la capacité des lacs, la présence des bar­rages dans les zones montagnardes, la perfor­mance du système de drainage sanitaire et des infrastructures. De telles mesures devraient être prises quelques mois avant le début de la saison des pluies, mais le plan d’entretien périodique du système d’évacuation des eaux de pluies n’est jamais sur l’agenda des gouver­neurs », regrette Chéhata, qui prévient aussi que la plupart des infrastructures sont devenues inefficaces face aux changements climatiques que connaît l’Egypte.

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