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Questions autour du terrorisme

Ahmed Eleiba, Mercredi, 26 octobre 2016

La récente attaque contre un poste de contrôle de l'armée dans le Nord-Sinaï, et l'assassinat, cette semaine, d'un officier hautement impliqué dans la lutte contre les mouvements djihadistes remettent sur le tapis la question de la lutte antiterroriste.

Questions autour du terrorisme
L'armée mène une vaste campagne contre les fiefs terroristes dans le Sinaï. (Photo : Reuters)

L’attentat terroriste sur­venu le 14 octobre à Bir Al-Abd, à 80 km d’Al-Arich, est le premier de son genre dans cette région. Les attentats commis ces six dernières années se limitaient au triangle Rafah-Cheikh Zoweid-Al-Arich.

D’après le porte-parole militaire, le général Mohamad Samir, l’atten­tat de Bir Al-Abd a fait 12 victimes et 6 blessés parmi les soldats et s’est soldé par la mort de 15 assaillants dans un échange de tirs. L’attentat a été revendiqué par Ansar Beit Al-Maqdès, la branche de Daech dans la péninsule. L’armée égyptienne a riposté en menant des frappes aériennes contre plusieurs cibles terro­ristes.

L’attaque de Bir Al-Abd rap­pelle celles commises contre les points de contrôle à Karm Al-Qawadis, à Al-Safa, entre autres, alors qu’on croyait en avoir fini avec ce genre d’atten­tats après la liquidation en août dernier du chef du groupe Ansar Beit Al-Maqdès et de 45 de ses dirigeants.

Mohamad Hammad, qui habite près du lieu de l’attentat, affirme à l’Hebdo que personne ne s’at­tendait à une telle attaque dans cette région « plutôt calme et stable ». Concernant le tempéra­ment de ses habitants et leurs éventuels liens ou sympathies avec les groupes terroristes et leur version radicale de l’islam, Hammad estime que « le milieu n’est pas celui du rigorisme reli­gieux de Rafah et Cheikh Zoweid ». Il explique que dans cette région plutôt calme et pas très peuplée, il n’existe pas d’ac­tivités agricoles ou pastorales. « Les bédouins vivent en groupes dispersés et travaillent dans les carrières ou les cimente­ries toutes proches », dit-il. Même s’il recon­naît que certains habitants sont impliqués dans le commerce des armes et le trafic de drogue, Hammad suggère que les auteurs de cet attentat sont des éléments venus de l’ex­térieur. D’après ses propres sources, les cibles visées par l’armée après l’attentat étaient de « nouveaux refuges auxquels les terroristes ont eu recours ».

Changement de donne

Khaled Okacha, ancien général qui a servi pendant plusieurs années dans le Sinaï, estime de son côté que l’attentat de Bir Al-Abd change la donne sur le terrain, dans la mesure où il s’agit d’une « nouvelle région et d’un nouvel environnement ». Selon lui, cet attentat indique que, malgré la liquidation de son dirigeant et de plusieurs de ses lea­ders, et malgré les frappes successives de l’armée ces trois dernières années, le groupe terroriste Ansar Beit Al-Maqdès reste actif.

Okacha n’exclut pas un lien entre les terro­ristes et les trafiquants d’armes et de drogue. « La contrebande et le trafic d’armes et de dro­gue représentent une infrastructure exploitable que les terroristes peuvent utiliser au moment voulu. Il n’est pas exclu que les terroristes aient eu recours à une coopération avec ces milieux dans une région peu propice au développement de l’extrémisme comme Bir Al-Abd », explique l’ex-général qui s’inquiète surtout de la possibi­lité de voir Ansar Beit Al-Maqdès s’implanter dans de nouvelles zones. « Les raids qui ont suivi cet attentat mon­trent que l’armée veut justement liquider ce nouveau foyer terroriste et couper ses communications avec d’autres réseaux ou cellules dor­mantes qui cherchent à le joindre », ajoute-t-il. Et de conclure : « Jusqu’ici, la réussite des opéra­tions sécuritaires était due à l’en­cerclement des terroristes dans le triangle Rafah-Cheikh Zoweid-Al-Arich. Aujourd’hui, la délocalisa­tion des opérations vers un nou­veau front implique une réévalua­tion et un éventuel élargissement du déploiement sécuritaire ».

Décapité mais pas mort

L’organisation Ansar Beit Al-Maqdès est sensiblement affai­blie mais résiste toujours. C’est l’avis des experts interrogés par l’Hebdo. Selon une source mili­taire ayant servi dans le Sinaï, « l’organisation terroriste essaye de prouver qu’elle est toujours là, surtout après la liquidation en août dernier de son numéro 1, Abou-Doaa Al-Ansari, et la des­truction de son infrastructure d’armement et de communica­tion ». La même source s’em­presse néanmoins de noter que dans le Sinaï « il n’est pas difficile pour une organisation de se réar­mer, malgré les efforts des appa­reils de sécurité contre le trafic d’armes ».

Ali Bakr, expert des mouve­ments islamistes, estime de son côté qu’il est difficile d’annoncer la fin d’une organisation après la liquidation de son chef ou de l’un de ses combattants. Selon lui, chacun de ses groupes dispose d’un système de succession, à travers notamment son Conseil consultatif (Choura), ce qui permet l’émer­gence rapide d’un nouveau leadership. « Il serait donc difficile de prévoir l’arrêt des attentats ou de parler de la fin du terrorisme. Les organisations terroristes peuvent être endiguées, mais tant que la pensée djihadise persistera, et tant que le flux des armes et de l’argent se maintiendra, le terrorisme, même affaibli sous les coups sécuritaires, finira par reprendre son cycle habituel ».

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