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Vers l’approbation de la loi sur les églises

Chaïmaa Abdel-Hamid et Gamila El-Tawila, Mardi, 16 août 2016

Le parlement s’apprête à discuter le projet de loi sur la construction des églises. Censé assouplir les procédures en vigueur, le texte est accueilli favorablement par les trois Eglises égyptiennes.

Vers l’approbation de la loi sur les églises
(Photo : Mohamdad Moustapha)

Longtemps débattue, la loi sur la construction des églises est sur le point de voir le jour. Selon la Constitution de 2014, une telle loi, jusque-là inexis­tante, doit être ratifiée au cours de l’actuelle ses­sion parlementaire. Elle devrait abroger celle qui est actuellement en vigueur, qui remonte à la période ottomane, et qui inclut des règles très restrictives interdisant par exemple l’édification d’églises à proximité d'écoles, d’édifices gouver­nementaux, ou encore d'axes de circulation.

Les récents amendements introduits sur le pro­jet de loi, élaboré par le ministère de la Justice, ont été accueillis favorablement par l’Eglise orthodoxe. Elle avait, auparavant, affiché des réserves sur la première version du projet de loi. « L’Eglise n’a aucune réserve sur les articles de la loi et souhaite qu’elle soit approuvée par le parlement », a déclaré cette semaine le pape Tawadros II, patriarche de l’Eglise orthodoxe, en réaction aux amendements introduits sur les modifications de la loi. Le pape avait auparavant estimé que les problèmes confessionnels sont dus à 50 % à la construction des églises. Les représen­tants de trois Eglises de l’Egypte, (orthodoxe, catholique et protestante), ont donc signé, la semaine dernière, la mouture modifiée du projet de loi, affirmant leur accord sur les nouveaux textes de la loi. Elle devra être discutée, cette semaine, à la commission de législation au parle­ment et ensuite soumise à une séance générale pour son approbation. « Les trois Eglises sont d’accord sur les textes modifiés du projet de loi sur la construction des églises. Les amendements introduits sur la loi permettent de légaliser le statut des églises, construites autrefois en contra­vention aux lois. Et cela à condition qu’elles soient conformes aux normes du code de construction numéro 119 pour l’année 2008 », a déclaré, pour sa part, le conseiller Magdi Al-Agati, ministre des Affaires juridiques et parlementaires. Il a indiqué que le projet de loi a été envoyé au Conseil des ministres et au Conseil d’Etat pour sa révision avant d’être envoyé au parlement.

Cette détente entre le gouvernement et l’Eglise sur le dossier de la construction des églises inter­vient à l’issue d’une rencontre, il y a deux semaines, entre le pape Tawadros II et le prési­dent Abdel-Fattah Al-Sissi. Selon Anba Paula, responsable des relations publiques auprès de l’Eglise, cette rencontre a permis de donner un coup de pouce au projet de loi. « A l’issue de cette rencontre, on a discuté avec le conseiller Magdi Al-Agati sur les articles controversés de la loi et l’on est parvenu à un consensus sur la majorité des points controversés », a indiqué Anba Paula, saluant une volonté politique de régler ce dossier.

Etapes de construction

La nouvelle version du projet de loi, composée de 8 articles, détermine les conditions et les pro­cédures nécessaires pour la construction des églises. Le projet de loi traite aussi la légalisation du statut des églises construites avant la promul­gation de la loi. Parmi les points controversés à la première version du projet de loi, auxquels ont remédié les amendements introduits, figure l’ap­probation exigée du président de la République pour construire une église. Le nouveau projet de loi propose que la construction de nouvelles églises ne soit approuvée que par le gouverneur. Les amendements prévoient aussi la création d’un comité ad hoc chargé de s’assurer que toutes les conditions exigées par la loi sont remplies. Un délai de quatre mois a été fixé pour trancher de la demande présentée. Si ce comité ne donne aucune réponse dans le délai fixé, cela serait considéré comme une approbation implicite. En cas de refus, l’église qui a présenté la demande peut faire appel devant le Conseil d’Etat.

En ce qui concerne les églises construites sans permis avant la promulgation de la nouvelle loi, elles auront 8 mois, à partir de la mise en vigueur de la loi, pour présenter des demandes de légali­sation de leur statut. La discorde entre le gouver­nement et l’Eglise sur l’article 2 de la loi a été aussi dépassée. En vertu de cet article, la construction des églises a été proportionnelle au nombre des coptes résidant à l’agglomération où l'on réclame la construction d’une église. Une norme qui a été modifiée pour évaluer le besoin d’avoir une église dans une région quiconque en fonction de la densité d’habitation de cette région. De même l’article 5, exigeant au gouver­neur d’obtenir l’approbation du ministère de l’Intérieur avant de trancher d’une demande de construction d’une église, a été modifié pour devenir « en coordination avec les autorités concernées ».

Cet assouplissement des conditions de la construction des églises est censé régler une crise qui remonte à des décennies. La restauration et la construction des églises ont, en effet, été souvent au centre des tensions sectaires qui éclatent de temps à autre. Ce droit à la construction des églises est réclamé par la communauté copte depuis les années 1970. Maints projets de loi ont été présentés aux gouvernements successifs, notamment depuis l’année 2006, mais sont restés lettre morte. C’est dans ce contexte qu’Akram Lamei, chef du comité des médias à l’Eglise évangélique, se félicite d’avance d’une loi contri­buant à rassurer la communauté copte, valorisant la citoyenneté, et surtout atténuant les tensions sectaires. Il note que depuis le décret « hamayo­ni », datant de l’époque ottomane (1856), les coptes enduraient des conditions draconiennes. Ce décret comprenait 10 conditions restrictives à la liberté de construire des lieux de culte chré­tiens. Les plus importantes étant l’obtention d’une licence et le consentement du voisinage, des appareils sécuritaires, et la nécessité de don­ner des informations détaillées sur l’emplace­ment géographique de l’église. « L’application rigide de ces règlements a toujours entravé la construction des églises, surtout aux gouverno­rats de Haute-Egypte, où la rigidité des moeurs dominant ainsi que le fanatisme religieux restent fort présents, décourageant les responsables d’autoriser la construction des églises. Par conséquent, de nombreux villages habités par des coptes restent toujours privés d’églises », regrette Lamei.

Réserves

Toutefois, si les représentants des trois églises ont accueilli à bras ouverts ce projet de loi, cer­taines personnalités coptes demeurent sceptiques sur son sort, surtout qu’il ranime déjà un débat au sein du parlement. Le député Atef Makhalif estime que le projet de loi renferme des termes vagues qu’il fallait préciser pour éviter d’être mal exploités pour entraver la construction des églises. Il donne l’exemple de l’article 2 qui a lié le permis de construction à la densité de popula­tion. « En l’absence des normes déterminées sur le taux de densité de population nécessitant l’existence d’une église à un quartier quiconque, la formulation ouvre la porte à chacun de juger à son gré nécessaire ou pas la construction d’une église. Il faut avoir des critères et des normes fixes », réclame Makhalif. Quant à l’avocat Naguib Guébraïl, activiste copte de droits de l’homme, il met en garde contre trois articles « piégés » au projet de loi, dont l’article 2. Il note que les amendements n’ont pas annulé l’autorisa­tion sécuritaire exigée pour la construction des églises. Cette autorisation sécuritaire a été tou­jours l’une des entraves les plus importantes pour la construction des églises, voire a souvent servi de prétexte, selon Naguib. « Les amendements en question n’ont fait que changer la forme sans toucher au fond. On a simplement remplacé le mot du ministère de l’Intérieur par les autorités concernées. Une exigence injustifiable qui se contredit au concept même de la loi censée récu­pérer aux coptes un droit ancrant la citoyenneté et l’égalité devant la loi », critique-t-il. Il craint aussi que le terme « détermination d’un délai pour que la justice tranche des recours présentés contre un refus de construction d’église ne puisse laisser les procès traîner pour des années, ce qui ne permettra pas de remédier crucialement à la crise de construction des églises endurée depuis des années ». Et de conclure : « L’expérience nous a appris que la bureaucratie égyptienne est plus forte que la loi. La problématique ne réside pas dans les clauses de la loi, mais plutôt dans la pratique sur le terrain ».

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